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Billet de blog 29 novembre 2014

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Lettre ouverte à Pablo Iglesias: "Patria o muerte"?

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                         "Moi, je suis patriote et je n'aime pas qu'il y ait des militaires d'autres pays sur le territoire espagnol."

 Tels sont tes mots rapportés par la presse le 11novembre dernier  pour justifier ta volonté de faire sortir l'Espagne de l'OTAN (le tutoiement n'est ici le signe d'aucune familiarité déplacée mais la forme la plus usuelle en Espagne). Ce sont ces mots qui motivent la missive que je t'adresse ici.

 En effet, suivant pas à pas, comme tant d'autres des deux côtés des Pyrénées, avec sympathie et espoir l'évolution de Podemos, je ne peux que constater l'accumulation des ambiguïtés, des imprécisions, parfois des contradictions dans les déclarations des dirigeants du parti.

 Amour sacré de la patrie…

 Je sais bien, il suffit de parcourir la presse espagnole pour le voir, que vous êtes soumis à un tir de barrage absolument inouï de la part de cette caste que vous combattez. Mais précisément, ne convient-il pas alors, pour faire front, de s'efforcer à  la clarté, à la précision et, comme on dit ici, à la transparence ?

 Ainsi, dis-tu, "je suis patriote", ce qui, tu en conviendras, n'est pas une simple clause de style. Car qu'est-ce que cela signifie "être patriote" ? C'est de toute évidence aimer sa patrie, "amour sacré de la patrie..." comme dit la Marseillaise, mais alors vient inéluctablement la question qui ne peut être éludée : qu'est-ce donc que la patrie ?

 Quelle est, Pablo, cette patrie dont tu es amoureux ? Est-ce la Patria española telle qu'on la trouve illustrée sur ce site des nostalgiques du franquisme ? Évidemment non. Est-ce la patrie de Rajoy, de Aznar, de Gonzalez, de Guerra et de son amie Cayetana qui vient de nous quitter ? Est-ce la patrie des nationalistes basques, galiciens, catalans, etc. ? Sans doute pas.

Peut-être est-ce la patrie du fameux "Patria o muerte" que lança le Che Guevara du haut de la tribune des Nations Unies le 11 décembre 1964 ? Mais alors qu'est-ce que cette patrie mise en regard de la mort ?

 Ce n'est évidemment pas celle de Batista fuyant piteusement, en ce nouvel an de1959, Cuba dont il avait fait le bordel des États-Unis. Non cette "Patria" c'est bien entendu la "Revolución". Et cela vient de loin : "Le mot patriotisme désigne par priorité entre 1789 et 1791 l'attachement à la nouvelle France" (F. Furet, La Révolution, 1, p.182, Hachette, 1988), la nouvelle France, c'est-à-dire la Révolution.

 Quand "le peuple rentre chez lui"

 Mais alors attention, car septembre 1792 n'est pas loin et "La victoire ou la mort : la règle terrible n'est pas seulement celle de la Terreur mais aussi du patriotisme" (Furet, p.236).Et l'on sait bien que le patriotisme révolutionnaire, celui des sans-culottes pour qui la patrie, mais la patrie universelle, était celle de l’égalité et de la liberté, celle de l’abolition des ordres et des privilèges, est bien fragile car  "Le patriotisme révolutionnaire, s'il a cessé de mobiliser la rue parisienne, a dérivé vers la gloire militaire" (Furet, p. 274).

 Mais alors, attention, attention à ces mots qui font vibrer les foules un instant, un instant seulement, car comme le dit Michelet, il vient toujours un moment où "le peuple rentre chez lui" et il vint un moment où " à la vertu civique des sans-culottes se substituait l'héroïsme du soldat".

 Et nous savons ce qu’il est devenu ce patriotisme de la gloire militaire : il s’est perverti en proclamations héroïques qui ont présidé à tous les massacres, les massacres de peuples que l’on a fait sortir de chez eux pour les jeter sur les champs de bataille au nom de la patrie.  

 De sorte que la question revient, obsédante, qu’est-ce donc que  la patrie ? Cette patrie  dont tu dis, Pablo, être un patriote, et qu’est-ce que la nation, cette Espagne dont tu dis qu’elle est constituée de nations ? Et qu’est-ce que le peuple, non, pardon, tu dis, vous dites à Podemos, "la gente" ? Tout le monde hors "la casta" ?

 Ce qui nécessite que tu précises ce que tu entends par "casta" et au plus tôt puisque, tu le sais, des voix, nombreuses, s’élèvent dans les rangs même de Podemos, sur "la plaza Podemos", pour se demander si après la "Asamblea", après votre "prise de pouvoir", vous n’êtes pas égarés sur la voie de  la reconstitution d’une nouvelle caste ?

 L’absurde fierté

 Ne vois-tu pas alors la nécessité de préciser ce que tu entends par, "je suis patriote" car il me semble entendre en bruit de fond de cette mélodie rebattue l’inepte rengaine  "et je suis fier d’être espagnol" comme ici en France, tant de bons Français disent, je suis fier d’être français. Et je dis inepte car, en effet, fier d’être espagnol ou fier d’être français est une absurdité tu le sais bien, car nul ne peut être fier de ce qu’il n’a pas choisi.

 Tu ne peux pas être plus fier d’être né en Castille que je ne le suis d’être né en Quercy. C’est une absurdité, une incohérence que d’être fier de ce que seul le hasard a fait et en quoi notre volonté n’a aucune part.

 Et c’est ainsi que caressant  les gens  dans "le bon sens" ne crois-tu pas que tu participes de cette " hégémonie culturelle", de cette  idéologie dominante que, par ailleurs, tu prétends combattre ?

Un jour, j’ai entendu Daniel Cohn Bendit (avec qui j’ai des désaccords profonds) dire la chose sans doute la plus intelligente qu’il ait jamais dite : "Ma patrie c’est l’endroit où je suis tombé amoureux".

 Pour ma part, né de ce côté-ci des Pyrénées par hasard, comme j’aurais pu naître à Barcelone ou à Escatrón (Zaragoza), je n’ai pas de patrie. Trop d’effluves mortifères s’exhalent de ce mot, mais j’ai des lieux, des petits bouts de Terre où j’ai été amoureux, dont je suis amoureux, cette falaise normande, ce causse quercynois, cette ruelle cordouane, cette autre de l’Albaicín de Grenade mais aussi ces vers sublimes du Romancero gitano de Lorca et cette phrase infinie de Proust saluant les aubépines de Combray et les pommiers en fleur sur la route de Balbec.

 Je n’ai pas de patrie, sinon la terre entière, pas de patrie mortifère, pas de "Patria o muerte", mais la Terre et la vie, Tierra y Libertad, Pablo, para que "VIVA  LA VIDA !".

Atentamente  compañero. 

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