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Billet de blog 26 mai 2020

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Coronavirus et politiques migratoires : le confinement instrument du rejet

« Confinement », situation amère dont l’humanité connait maintenant les implications psychologiques, physiques, économiques … Contraintes malheureusement bien mieux connues des exilé-e-s. Enfermé-e-s ou restreint-e-s dans leur liberté de mouvement depuis de nombreuses années, la crise du coronavirus n’a fait qu’exacerber les logiques de rejet à leur encontre. Et ça n’a pas l’air fini.

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Illustration 1
© Pangea

Évolutions juridiques négatives

La régularisation temporaire qui a eu lieu au Portugal est restée l’exception pendant la crise du coronavirus. La majorité des pays de destination et de transit migratoires ont profité de la brèche ouverte par la pandémie pour attiser la peur de l’autre, appuyer les traits d’un ennemi extérieur et fermer davantage leurs frontières, restreignant encore les droits des personnes migrantes. La Grèce vient de voter une nouvelle loi sur l’asile qui méprise les règles les plus élémentaires du procès équitable tout en prolongeant et en facilitant l’enfermement des arrivant-e-s dans les camps surpeuplés de la mer Egée. Au niveau règlementaire, plusieurs pays dont le Viet-Nam, la Thaïlande, la Suisse, à l’instar de l’Union Européenne, ont fermé leurs frontières par divers décrets alors que l’élite de leur bourgeoisie parcourait parfois leur territoire sur des distances bien plus grandes que celles limitées aux frontières par les nouvelles règlementations. Un non-sens sur le plan sanitaire.

Des pratiques encore plus violentes

Outre les nouvelles règlementations émises au profit de la crise, les pratiques violentes, l’enfermement systématique et les conditions de détention des personnes migrantes ont empiré. Si le HCR a appelé à inclure les personnes réfugiées dans les plans de réponse au coronavirus, on a du mal à imaginer des situations récentes dans lesquelles ces personnes ont été encore plus mal traitées. Les refoulements ont continué de la Grèce vers la Turquie, cinquante sept états ont fermé leurs frontières à qui voudrait demander l’asile, des centaines de personnes sont mortes en Méditerranée sans qu’aucun secours ne leur soit donné … la liste est longue. En France, malgré les demandes du défenseur des droits de fermer les centres de rétention, l’enfermement a continué dans la Zapi 3, sorte de prison secrète pour étrangers à l’aéroport de Roissy. Sans possibilité de respecter les règles sanitaires de distanciation, de nombreuses personnes restent prisonnières des CRA (Centres de Rétention Administrative). Le Conseil d’État a même refusé de fermer ces centres, au motif que le nombre de détenus y était en baisse … Aux Etats-Unis, l’enfermement administratif de personnes étrangères est si massif depuis le début de la crise sanitaire que le Haut Commissariat aux Droits Humains de l’ONU s’en est fendu d’un communiqué spécifique appelant à la libération des personnes enfermées dans des lieux à haut risque.

Au simple motif de ne pas détenir les bons papiers, et d’avoir fui des situations dangereuses en Libye, en Grèce, en Turquie, en Syrie, en Afghanistan, en Erythrée ou dans les Amériques, les personnes arrivées ou arrêtées ces derniers mois aux Etats-Unis ou en Europe ont encaissé des situations exacerbées d’enfermement et de violence. Cette fois-ci avec moins de présence associative ou médiatique que d’ordinaire, mesures de confinement obligent. Davantage intéressée par le rejet que par la santé des personnes migrantes, la Commission Européenne a appelé les Etats membres à expulser de plus belle dès le rétablissement des vols, pour « rattraper le retard accumulé » pendant les mesures de confinement.

En Méditerranée centrale, la non-assistance aux boat-people, déjà bien fréquente, est devenue encore plus cruelle depuis que le Covid-19 sert de prétexte à laisser mourir les gens en mer. La zone de recherches et secours maritime (SAR) de Malte est devenue le théâtre de bateaux abandonnés à leurs naufrages. Les ports européens refusant de débarquer les personnes migrantes pour cause de pandémie, Malte et l’Italie coordonnent les retours des naufragé-e-s en Libye si jamais des navires de commerce parviennent à les sauver. Les avions de Frontex et les centres de coordination de secours maritimes (MRCC) étant parfaitement au courant des naufrages, ils préfèrent donner l’ordre aux secouristes, policiers et militaires de ne pas intervenir. Lors des interventions qui ont malgré tout eu lieu, l’armée maltaise s’est adonnée à des manœuvres dangereuses et même au sabotage du moteur d’une embarcation. Une flotte de navire de pêche a été coordonnée pour faire le sale boulot, soit renvoyer les gens en Libye vers des camps qui respirent la torture et la mort. En somme, des refoulements déguisés en secours au motif que les ports européens ne sont plus sûrs pour cause de Covid-19. Une situation également dénoncée par le HCR, en vain.

Lames de rasoir, île inondable, déforestation ... nouvelles frontières du monde déconfiné

En Espagne, le gouvernement Sanchez a trouvé judicieux de supprimer sa clôture à lames de rasoir (dite « concertina ») qui entourent l’enclave de Ceuta au Maroc. Un geste qui aurait pu paraître humain s’il n’avait été immédiatement suivi d’une décision marocaine de monter une clôture de même type au même endroit. Sans s’essayer au même type de communication à visage humain, la Grèce a ajouté une clôture également dotée de lame de rasoirs à Evros, renforçant cette frontière de quatre-cent gardes.

Dans les Balkans, on observe une déforestation le long de la frontière Croatie-Bosnie Herzégovine pour éviter que les exilé-e-s ne s’y cachent en dépit des cris d’alarme des organisations écologistes et humanitaires. Des barbelés (décidément, c’est la mode!) font par ailleurs l’objet d’un appel d’offre par le ministère de la défense serbe. Cette demande intervient « en urgence », selon les autorités, puisque l’armée a été déployée dans les centres où sont confinés les exilé-e-s pour y gérer la surpopulation dans le contexte de la pandémie.

Au Bangladesh, le gouvernement a profité de la crise du coronavirus pour tester son projet dit Ashrayan-3. Ce dernier consiste à enfermer des Rohingas à Bhasan Char, une île inondable géologiquement formée en 2006 et qui risque de disparaître à chaque mousson. Le projet Ashrayan-3 existe depuis 2015 et a déjà coûté 276 millions de dollars, sans que personne ne soit confiné sur l’île jusqu’à présent. Mais en mai 2020, trois cent personnes y ont été placées après avoir été interceptées dans le Golfe du Bengale ce qui laisserait penser qu’elles tentaient de quitter les camps de réfugiés du Bangladesh et leurs conditions inhumaines. Si les critiques du HCR et des organisations de défense des droits humains ont pu retarder l’ouverture d’un camp sur Bhasan Char, la pandémie de Covid-19 et la stigmatisation des personnes réfugiées comme potentielles porteuses du virus a fourni l’opportunité nécessaire aux autorités du Bangladesh pour concrétiser le projet.

La plage n’est pas ouverte à tout le monde

Alors que la classe moyenne qui en a encore les moyens veut savoir si elle pourra aller à la plage cet été, l’Italie et la Grèce ouvrent peu à peu leurs frontières pour que les touristes de l’espace Schengen (et d’Israël pour la Grèce) puissent venir se la dorer et générer des profits. En attendant, même avec visa, un Tunisien de Sfax, à moins de 200 km du territoire italien de Lampedusa, ne pourra pas se rendre en Sicile alors qu’un Dublinois pourra le faire. S’il était l’objectif d’éviter que des microbes fassent le moins de distance possible, c’est raté.

Restrictions sur l’asile et les mouvements, enfermement, clôtures, déforestation, construction de camps dans des lieux encore plus reculés et dangereux … les frontières d’un monde annoncé comme sain, où la pandémie est maîtrisée et où les personnes jouissent d’une liberté de circulation relative se dessinent. À ses portes, ce monde fabrique des camps dans lesquels sont enfermées des personnes stigmatisées comme malades et dangereuses. Selon les logiques étatiques, ces personnes ne seraient-elles ni dignes de pouvoir se protéger, ni dignes d’avoir la vie préservée ?

La liberté de circulation reste un horizon politique à défendre

Les gouvernements auraient alternativement pu profiter de la pandémie pour se rendre compte que le fait de renvoyer ou de cantonner chaque personne à son pays de nationalité ou à des camps surpeuplés n’est pas la meilleure solution. Au contraire, les rapatriements de touristes et d’expatriés ont pu causer des contaminations. L’enfermement des exilé-e-s dans les camps a créé des foyers de coronavirus. La pandémie prend également de l’ampleur en raison des expulsions depuis ces foyers. L’égalité de traitement, en permettant à chaque personne quelle que soit sa nationalité ou son statut juridique, de se confiner dans de bonnes conditions, aurait fait davantage de sens. De même que le respect du droit de fuite aurait évité de nombreuses morts aux frontières. Il aurait ainsi été possible de confiner sans tuer, et de lutter contre la pandémie sans lutter contre les exilé-e-s.  

S’il est certain que le coronavirus impose des restrictions de mouvement pour lui barrer la route, ces restrictions ne doivent pas forcément suivre le tracé des frontières ni remettre en cause le droit d’asile. Encore moins justifier des enfermements et des expulsions supplémentaires. En tout état de cause, on constate que la pandémie a été un prétexte et non un argument sanitaire rationnel d’acharnement contre les personnes migrantes. L’égalité de traitement entre personnes nationales et étrangères doit donc rester un horizon politique à défendre, ainsi que celui de la liberté de circulation pour tou-te-s une fois la pandémie maîtrisée.

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