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Billet de blog 16 janvier 2021

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Rouvrir les universités ? Pour quoi faire ?

« Rouvrir les universités », c’est sur ce point que le gouvernement tente de cristalliser le débat autour de la crise étudiante. Une tentative de tour de passe-passe : en attirant l’attention sur la problématique de l’isolement social des étudiant·e·s, le gouvernement souhaite surtout dissimuler le fait que c’est leur politique d’austérité qui tue.

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Illustration 1
"Le gouvernement assassine les étudiant·es", Collage Féministe de Lyon © CollagesLyon

Le 14 janvier, la Ministre Frédérique Vidal a annoncé que les étudiant·e·s reprendront les cours en présentiel, uniquement pour les premières années, en travaux dirigés (TD) et ce en demi-groupe. Voilà la mesure phare du gouvernement qui tente de répondre à la détresse étudiante alors que le spectre d'une vague de suicide dans les facs se dessine… 

Rouvrir les Universités : dans quelles conditions ?

Les universités n’ont pas les moyens d’ouvrir dans des conditions sanitaires acceptables, que ce soit pour les étudiant·e·s ou pour le personnel. La catastrophe des partiels, récemment organisés dans les universités, en est la preuve. L’université est à bout de souffle, elle l’était bien avant la crise sanitaire. Elle n’est aujourd’hui simplement pas en mesure de fournir les efforts nécessaires, que ce soit sur le plan humain ou matériel, pour reprendre les cours en présentiel.

La solution retenue par le gouvernement, faire revenir les étudiant·e·s quelques heures par semaine, est sans doute la pire pour répondre à la détresse étudiante. Les étudiant·e·s dont le logement familial est éloigné des campus vont devoir réinvestir leur logement universitaire ou trouver d’autres solutions pour se loger. Un loyer supplémentaire, des conditions de logement qui se détériorent, les mesures prises risquent d'aggraver encore un peu plus la situation. Le tout, sans vraiment favoriser le lien social : les étudiant·e·s resteront confiné·e·s à partir de 18h, les lieux de socialisation étudiantes, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’université, resteront fermés. Les deux heures et demie de cours en présentiel par semaine ne changeront rien à cela.

L’isolement social, une maladie spécifiquement étudiante ?

Si la réouverture des universités est au cœur de la politique de notre gouvernement c’est qu’à les écouter, le problème majeur de nos étudiant·e·s serait l’isolement social. Frédérique Vidal explique ainsi que la situation des étudiant·e·s est extrêmement difficile car iels sont « privée·e·s de relation humaines », qu’il existe un « profond sentiment d’isolement » et qu’iels ont l’impression que « la crise leur a volé leurs plus beaux moments ».

Jusqu'à preuve du contraire, les étudiant·e·s sont biologiquement constitué·e·s de la même manière que le reste de la population. Si l'isolement social produit chez eux et elles des dégâts si considérables, c’est que c’est une goutte d’eau qui fait déborder un vase qui commençait déjà à fuir bien avant la crise sanitaire.

En 10 ans, le coût de la vie étudiante a augmenté de 27%. En 2019, 20% des étudiant·e·s vivaient en dessous du seuil de pauvreté. Avec la baisse des aides au logement (APL), la baisse des aides à destination des jeunes actifs et des étudiant·e·s salarié·e·s, la revalorisation des bourses, après 3 ans de gel, qui ne compense même pas les effets de l’inflation, une nouvelle cotisation à payer à l’inscription (CVEC) et la multiplication par 15 des frais d’inscriptions pour les étudiant·e·s étranger·e·s, la situation n’a fait qu'empirer ces dernières années.

Cette misère n’a pas attendu la crise sanitaire pour produire des effets terribles. Selon une étude d’Audiar sur les étudiant·e·s de Rennes en 2017, iels étaient 17,1% à ne pas manger à leur faim de manière répétée, faute de moyens financiers ou de temps. Le 8 novembre 2019 déjà, un étudiant s’immolait devant le restaurant universitaire à Lyon après avoir pointé du doigt sa condition d’étudiant précaire sur Facebook.

En rouvrant les universités, le gouvernement souhaite retrouver ces « temps calmes » où les étudiant·e·s souffraient, sans toutefois tenter de se suicider, du moins en de moindre proportion. Oui, l’isolement social est un problème, mais il est malheureusement nécessaire dans ce contexte de crise sanitaire. Ce qui ne n’est pas nécessaire, ce sont ces étudiant·e·s mal-logé·e·s ou qui se retrouvent avec des dettes de loyers. Ce qui n’est pas nécessaire, ce sont ces étudiant·e·s qui n’arrivent pas à accéder à la santé.  Ce qui n’est pas nécessaire, ce sont ces étudiant·e·s qui n’arrivent pas à manger à leur faim.

Alors pourquoi cette cristallisation du débat autour de la réouverture des universités ?

Finalement, ce débat autour de la réouverture ou non des universités n’est qu’une tentative de tour de passe-passe. En espérant attirer l’attention sur la problématique de l’isolement sociale des étudiant·e·s, le gouvernement tente surtout de cacher le fait que ce sont les politiques d’austérité qu’iels mettent en place avec tant de convictions qui tuent des étudiant·e·s.

Cette détresse, ces mort·e·s, sont facilement évitables : il suffit de donner de l’argent aux étudiant·e·s pour leur permettre de vivre dignement. L’UNEF dans sa pétition « 1,5 milliard pour sortir les étudiant·e·s de la galère » a établi une liste de propositions pertinentes : resto U à 1€, revalorisation des bourses, revalorisation des APL, construction de logements CROUS, chèques santés et autres… Des solutions il y en a. Le financement ? Le gouvernement nous a prouvé que l’argent magique existait, plusieurs centaines de milliards pour « sauver l’économie ». Peut-être pourrait-on en utiliser pour sauver la vie des étudiant·e·s cette fois ? Ne manque donc que la volonté.

NDLR : Pour toutes « blagues » concernant l'utilisation des points médians, et de manière plus générale, l'écriture inclusive, envoyez vos commentaires directement par courrier au 23 quai de Conti, 75270 Paris cedex 06 - CS 90618.

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