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Billet de blog 10 mai 2023

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L’anti-mélenchonisme, maladie infantile du renouveau de la gauche

Dans un article paru sur AOC intitulé « Gauche d’abord la farce puis la tragédie », le politiste Philippe Marlière proposait une analyse de la situation de la gauche française pour le moins erronée mais assez représentative de ce que peuvent produire une obsession anti-mélenchoniste combinée à une incapacité à faire le deuil d’une gauche dominée par le Parti Socialiste.

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Dans un article paru le 18 avril 2023 sur AOC intitulé « Gauche d’abord la farce puis la tragédie[1] », qui s’inscrit dans un mouvement plus général (et récurrent) d’hostilité à LFI et plus particulièrement à son candidat à l’élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon[2], le politiste Philippe Marlière, proposait une analyse de la situation de la gauche française pour le moins erronée mais assez représentative de ce que peuvent produire une obsession anti-mélenchoniste combinée à une incapacité à faire le deuil d’une gauche dominée par le Parti Socialiste.

Ce double aveuglement conduit à une analyse hors sol entachée d’inexactitudes d’autant plus surprenantes qu’elles sont énoncées par un professeur de sciences politiques.

De l’art de trouver anormal que la gauche française ne soit pas de droite…

Dans cet article, Philippe Marlière identifie dans un premier temps plusieurs anomalies dont la gauche serait affectée et qui expliqueraient son faible poids électoral actuel.

La gauche française souffrirait tout d’abord de ne pas posséder de pôle social-démocrate dominant, les exemples allemand, danois, grec, espagnol et portugais étant notamment convoqués à l’appui de cette affirmation. S’agissant des exemples allemands et danois on peut toutefois s’interroger sur leur pertinence. Il semble en effet difficile de raccrocher le SPD à la gauche si l’on en juge par les politiques qu’il a soutenues seul, à l’époque Schröder, ou au sein de coalitions, précédemment avec la CDU de l’époque Merkel ou actuellement avec les libéraux et les écologistes. Dans le cas danois, invoquer l’exemple d’un parti menant une des politiques les plus hostiles aux étrangers au sein de l’UE ne peut que susciter des interrogations. Quant à la référence à la situation grecque, elle semble également étonnante puisque c’est justement la conversion social-démocrate de Syriza qui a précipité sa perte. Restent effectivement les situations espagnoles et portugaises dont il est toutefois difficile de tirer des conclusions pour l’ensemble de la gauche européenne, ceci d’autant plus que le cas italien est malheureusement oublié. Ce dernier est pourtant particulièrement intéressant dans la mesure où le renoncement de la gauche italienne et sa transformation en parti (social ?)démocrate ont conduit à son effacement et facilité l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite…

Philippe Marlière poursuit son raisonnement en dénonçant le caractère prétendument anachronique de la gauche française, lequel serait lié à sa domination par un mouvement populiste de gauche, LFI en l’occurrence. Outre l’usage de la notion de mouvement populiste, qui mériterait d’être un peu plus développée et définie, qualifier la situation d’anachronique et décréter le déclin de ce type de mouvements, nés pour la plupart il y a seulement une dizaine d’années, semble pour le moins rapide. Si les résultats électoraux de certains de ces mouvements sont inférieurs à ce qu’ils ont pu être lors de précédentes élections, seul le temps long permettra de conclure à un éventuel déclin.

L’argument du vote utile invoqué pour délégitimer une candidature ayant prouvé sa capacité de rassemblement

Une fois ces prétendues anomalies identifiées, Philippe Marlière se livre à une forme de procès en illégitimité de LFI assez peu convaincante (« La domination de LFI à gauche est en trompe-l’œil », « interprétation tendancieuse du score présidentiel de Mélenchon »), reposant sur l’idée que le vote en faveur de Jean-Luc Mélenchon en 2022 aurait été artificiellement gonflé par un vote utile. Or, invoquer le vote utile dont aurait bénéficié Jean-Luc Mélenchon afin de minorer son score aux précédentes élections présidentielles, revient à commettre une double erreur d’analyse. D’une part, tout candidat qui réalise un score de 20% ou plus aux élections présidentielles bénéficie de ce vote utile. Hollande ou Mitterrand avant lui, avaient bénéficié d’un vote utile, tout comme Macron bénéficie du vote utile de la bourgeoisie qui, en dépit de légères divergences sur des sujets tels que le respect des libertés publiques, de l’écologie ou de la politique migratoire qu’elle considère comme secondaires, estime en bonne bourgeoisie qu’elle est, qu’il est le candidat le plus utile à sa préoccupation prioritaire, à savoir l’accroissement de ses intérêts financiers. D’autre part, et cela souligne le peu de cohérence du propos de son auteur, cette capacité à capter le vote utile de la gauche constitue justement une force du candidat Mélenchon. On ne peut dans un même propos dénoncer le vote utile dont il a pu bénéficier et quelques lignes plus loin affirmer que Mélenchon divise son camp. Soit il divise son camp et ne bénéficie donc pas du vote utile, soit il le rassemble en s’appuyant sur ce vote utile.

La candidature Mélenchon de 2022 et la création de la NUPES, ont justement permis un rassemblement des forces de gauche évitant sa disparition. Loin d’être l’entreprise de domination décrite par Philippe Marlière, la création de la NUPES peut davantage être interprétée comme une main tendue de LFI au reste de la gauche. Les autres forces politiques ne s’y sont pas trompées, et les candidats aux législatives ne se sont pas fait prier pour surfer sur le score du candidat LFI à la présidentielle. Si LFI avait été préoccupée par son seul intérêt, elle aurait pu systématiquement présenter des candidats face aux candidats des autres partis de gauche, qui seraient ressortis laminés de cette séquence (la plupart n’ayant alors plus aucun députés). LFI aurait renforcé sa domination, la gauche en serait ressortie durablement affaiblie. Mais ce n’est évidemment pas le choix qui a été fait. On a connu plus dominateur et diviseur comme comportement.

Convoquer Fabien Roussel à l’appui d’une démonstration revient toujours à s’aventurer sur un terrain très glissant

S’agissant d’ailleurs de division, il est d’ailleurs curieux que Philippe Marlière évoque Fabien Roussel, non pas pour mentionner la division, cette fois-ci réelle malgré son très faible score, que sa candidature a pu jouer lors de l’élection présidentielle, mais pour affirmer qu’il « parle au nom de tous (ou presque) à gauche quand il déclare que la Nupes, en l’état, est dépassée ». Outre sa candidature, dont on peut légitimement questionner l’intérêt, ou ses multiples déclarations à l’emporte-pièce, qui illustrent à merveille les effets du déclin de la formation des cadres au sein du PCF[3], Fabien Roussel s’est effectivement signalé par cette sortie sur le caractère supposément dépassé de la NUPES, opposant sa volonté de rassembler la gauche jusqu’à Bernard Cazeneuve. Or, il est pour le moins douteux que Fabien Roussel parle au nom de presque toute la gauche lorsqu’il propose de se rapprocher d’un des êtres les plus chimiquement purs du quinquennat Hollande. Tenant de l’austérité et des politiques de compétitivité lorsqu’il était ministre du budget, ministre de l’intérieur lorsque les forces de l’ordre ont opéré leur tournant en matière de répression des mouvements sociaux (mort de Rémi Fraisse, répression lors des manifestations contre la loi El Khomri), parti depuis faire fortune dans un grand cabinet d’avocats d’affaires, Bernard Cazeneuve incarne en effet en merveille ce sinistre quinquennat et préfigure parfaitement le macronisme.

Mais si Fabien Roussel ne parle pas, et c’est heureux, à presque toute la gauche (on serait même tenté de dire qu’il ne parle presque pas à la gauche si l’on se fie à son score des présidentielles), il semble malheureusement influencer l’analyse de Philippe Marlière. En conclusion de son article, ce dernier assimile ainsi le quinquennat Hollande à une farce, qu’il oppose à la tragédie en cours que constituerait l’émergence d’une NUPES dirigée par Jean-Luc Mélenchon.

Considérer le quinquennat Hollande comme une farce, voilà la tragédie

Qualifier de farce la présidence Hollande revient justement à nier le caractère tragique de ce quinquennat. Tragique pour la gauche mais plus encore pour les victimes des politiques mises en place durant cette période. Il est douteux que ceux qui subissent les conséquences de l’allongement progressif de l’âge de départ à la retraite (réforme Touraine), ou de la facilitation des licenciements économiques (loi El Khomri), trouvent motif à rire. Sur le plan politique, outre le fait que ce quinquennat a servi de rampe de lancement pour Emmanuel Macron, il a malheureusement discrédité durablement l’idée même de gauche auprès d’une frange croissante de l’électorat, contribuant aux taux d’abstention que nous connaissons et à la montée du vote RN. On a donc connu des farces plus réjouissantes. Quant à qualifier de tragique le fait d’avoir permis, via cette alliance que constitue la NUPES, d’empêcher le pouvoir actuel de disposer d’une majorité à l’assemblée, comprenne qui pourra…

L’anti-mélenchonisme, pointe avancée d’un anti-LFIsme, tiendrait-il du réflexe petit-bourgeois ?

De telles contradictions et erreurs d’analyse ne peuvent s’expliquer que par un double aveuglement relativement fréquent chez les intellectuels un temps proches du Parti socialiste[4]. Aveuglement premier suscité par un anti-mélenchonisme primaire, d’où l’injonction finale faite à Jean-Luc Mélenchon de laisser la place « à celles et ceux qui se préoccupent encore de sauver la gauche », dont Philippe Marlière est coutumier[5]. Aveuglement second lié au refus d’envisager que le centre de gravité de la gauche puisse être incarné par autre chose qu’un parti « social-démocrate ». Or, outre le fait que le PS n’a jamais réellement correspondu à un parti social-démocrate, l’appellation elle-même semble pour le coup assez anachronique. Depuis plusieurs décennies, la social-démocratie, qui s’est davantage incarnée en Allemagne ou dans le nord de l’Europe, subit la disparition des deux conditions de son existence, à savoir l’existence de la « menace communiste » et une certaine forme de modération du patronat dans l’accaparement des richesses, imposées par les nécessités économiques, qui permettaient aux partis appartenant à cette famille politique de revendiquer la négociation de quelques compromis. La chute de l’URSS et la « mondialisation » (libre circulation des capitaux et des marchandises) ont fait chuter ces quelques garde-fous, permettant au patronat de s’affranchir de toute forme de compromis et rendant de fait inutiles les partis socio-démocrates qui se sont alors transformés en partis démocrates à l’américaine ou dit de façon plus imagée en « gauche de droite ».

Dans ces conditions, il serait temps de faire le deuil de cette époque où le PS était le parti dominant à gauche. Durant plusieurs décennies, on a demandé à l’électorat populaire et le plus à gauche (malgré le tournant de la rigueur, malgré la désindustrialisation, malgré la signature de traités européens contraires aux intérêts des salariés, malgré les privatisations) de voter utile pour le parti « de gauche » le plus bourgeois et le plus favorable aux intérêts du capital. Le temps est désormais venu pour la bourgeoisie de gauche de rendre la pareille en soutenant l’alliance ou le mouvement le plus à même de rompre avec les politiques menées ces dernières décennies, quand bien même ce mouvement ou cette alliance seraient menés par un personnage qui ne correspond pas à leur ethos bourgeois. Cette bourgeoisie sera-t-elle à la hauteur de l’enjeu ou préfèrera-t-elle se livrer à son jeu habituel du « tout sauf Mélenchon » ou du « tout sauf LFI », celui-ci prenant la forme d’articles tels que celui évoqué, d’organisation de primaires populaires ou de tentatives pas toujours subtiles d’entretenir de supposées rivalités au sein de LFI ?

[1] https://aoc.media/opinion/2023/04/17/gauche-dabord-la-farce-puis-la-tragedie/ , une version remaniée de cet article étant disponible sur le club de Mediapart : https://blogs.mediapart.fr/philippe-marliere/blog/280423/la-nupes-une-question-de-discredit-politique

[2] Le jeudi 27 avril, L’Express titrait par exemple en une « La chute de Mélenchon », tandis que l’éditorial du Monde du 3 mai, après de nombreux article consacrés aux supposées difficultés de la NUPES, s’intitulait « A gauche, le problème Mélenchon ».

[3] Voir « Le parti des communistes », Julian Mischi, éditions Hors d’atteinte, 2020

[4] Frédéric Sawicki constitue un exemple assez idéaltypique de cette catégorie

[5] Il suffit pour s’en convaincre de lire de nombreux billets de son blog. J’avais d’ailleurs pris la peine de répondre à l’un d’entre eux il y a quelques années : https://blogs.mediapart.fr/noam-ambrourousi/blog/180216/philippe-marliere-sombre-dans-l-anti-melenchonisme-primaire

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