Noëlle Tassy
Patiente-experte SEP, membre du Patient Advocacy Committee de l'EBMT
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Billet de blog 9 déc. 2019

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Episode 2/5 – Une procédure d’hématologie sur le pas de porte de la neurologie

La série de 5 billets "Autogreffe de moelle osseuse pour le traitement de la sclérose en plaques : point de discorde entre malades et neurologues" propose d’aborder les principales entraves à l’accès des patients-SEP à l’ACSH, en France et plus largement en Occident. N°2 : Où l’on comprend le caractère disrupteur de l’ACSH en neurologie, repère les forces en présence et s’affranchit des confusions

Noëlle Tassy
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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Avertissement :

Dans ce billet, dans un souci d’allègement du texte, j’utilise les termes « communauté des neurologues » ou «neurologues ». Ils désignent l’immense majorité des membres de la profession dès lors qu’il est question de la procédure d’autogreffe de cellules souches hématopoïétiques (ACSH) et des patients-SEP en recherche d’ACSH. Les positions qui y sont décrites ne valent que dans ce contexte précis. Il existe bien entendu des exceptions, des neurologues « dissidents », ouverts à ce traitement et prêts à aider leurs patients à l’obtenir, dans leur pays ou à l’étranger. Leurs noms, très peu nombreux, figurent sur une liste internationale de neurologues « ACSH friendly » que les patients qu’ils ont soutenus recommandent pour leur compétence et leur humanité.

C’est dans le même esprit qu’il est fait référence aux « malades », aux « patients » et « patients-SEP » : ces termes désignent les personnes souffrant de sclérose en plaques qui souhaitent bénéficier d’une autogreffe. L’information sur cette procédure étant actuellement peu accessible, elles représentent une minorité de patients.

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Un traitement disruptif en neurologie

Lorsque l’on recherche l’origine des obstacles au développement de l’ACSH dans le traitement de la sclérose en plaques (SEP), c’est le néologisme  disrupteur qui s’impose. « Le disrupteur est celui qui déboule sur un marché aux situations établies et le bouleverse avec une proposition de valeur inédite. »

Le marché aux situations établies dont il est question ici est celui de la quinzaine de molécules et de biothérapies nées depuis 25 ans de la collaboration des départements de neurologie et de l’industrie pharmaceutique. Ces traitements de première, deuxième et troisième intention[1], ciblent l’espacement des poussées dans la forme rémittente-récurrente et le retardement de l’apparition du handicap. D’efficacité inégale sur les malades, ils sont impuissants à repousser le moment de la bascule vers la forme secondaire progressive actuellement orpheline de médicament, comme l’est aussi la forme progressive d’emblée. Ces médications ne sont pas parvenues à ôter à la sclérose en plaques son  caractère incurable, qui terrifie ceux qui en sont frappés depuis la première description qu’en a faite Jean-Martin Charcot en 1868.

Quelle est la proposition de valeur inédite de l’autogreffe de moelle osseuse sur ce marché ?

Elle surpasse tous les acquis thérapeutiques obtenus pendant un quart de siècle par la neurologie. Avec l’ACSH, il ne s’agit plus de ralentir la progression de la maladie mais de la stopper; il ne s’agit plus de répits de durées variables mais de véritables guérisons lorsqu’elle est administrée suffisamment tôt ; il ne s’agit pas d’effets restreints à la forme rémittente-récurrente mais d’une portée étendue aux formes progressives[2] ; enfin, il ne s’agit plus de prescrire aux malades, à vie, de couteuses et lourdes biothérapies, mais de leur administrer une seule fois un protocole susceptible de les en émanciper définitivement. Validée depuis quatre décennies en oncologie, elle est libre de brevets et d’impératif de retour sur investissements.

En somme, l’ACSH des hématologues est aux traitements des neurologues ce que serait Tony Parker déboulant dans le tennis et s’emparant sans effort de la première place de l’ATP et des préférences du public. C’est le petit nouveau surdoué félicité par les professeurs et rejeté des camarades qu’il prive du statut de « meilleurs éléments ». C’est aussi l’invité surprise que les patients-SEP amènent dans les cabinets de neurologie sans y être attendu, et que l’on aimerait voir rester sur le pas de porte.

Neuro – hémato : disciplines asymptotiques

Chaque spécialité médicale résulte d’une histoire qui lui est propre, s’organise autour de ses sociétés savantes, de paradigmes spécifiques, d’hypothèses de recherche, de molécules prometteuses, de protocoles expérimentaux, référentiels de pratiques et grands noms aux publications remarquées dans de prestigieuses revues scientifiques. Si les disciplines cohabitent et peuvent coopérer ensemble, chacune dispose d’un territoire et d’une patientèle circonscrits aux pathologies particulières dont elle détient l’expertise. En l’espèce, l’introduction de l’ACSH dans le soin de la SEP est moins l’aboutissement d’une collaboration dûment développée entre l’hématologie et la neurologie que le fruit du hasard. Car c’est par sérendipité que l’efficacité de l’ACSH sur la sclérose en plaques a été décelée : quand des patients souffrant à la fois d’un cancer du sang et de SEP ont reçu une autogreffe pour traiter le cancer et ont vu celui-ci régresser en même temps que leurs symptômes neurologiques.

Cette découverte n’est pas nouvelle puisque les premières greffes réalisées sur des patients-SEP remontent à 1995 (pour davantage d’informations, lire ici). Mais de nombreuses années d’applications assorties d’excellents résultats ne sont pas encore parvenues à réunir les professionnels des deux spécialités autour de l’intérêt des malades.

Je propose à présent d’examiner le positionnement des principaux acteurs de ces disciplines tel qu’il est observé et subi par les patients-SEP : les sociétés savantes d’hématologie et de neurologie, dont le rôle est de faire progresser et de diffuser les connaissances dans leurs domaines respectifs, et les hématologues et les neurologues, qui mettent en œuvre ces connaissances dans le cadre des soins apportés à leurs patients.

Les sociétés savantes

Les sociétés savantes d’hématologie jouent un rôle moteur dans la diffusion de l’ACSH en établissant des recommandations en matière d’indications thérapeutiques pour le soin des maladies auto-immunes en général et de la sclérose en plaques en particulier. Ainsi, les praticiens européens sont invités à se référer aux travaux de la Société européenne de Greffe de Moelle (EBMT) qui énonce un certain nombre de critères caractérisant le « candidat idéal » à l’ACSH (Recommandations 2019 en anglais consultables ici ). La Société Francophone de Greffe de Moelle Osseuse et de Thérapie Cellulaire (SFGM-TC), en lien avec la Société francophone de Sclérose en Plaques, réalise un exercice similaire (Indications 2018 disponibles en français  ). Outre Atlantique, la Société américaine de greffe de moelle osseuse a publié en février 2019 une déclaration de principe stipulant que l'autogreffe de cellules souches hématopoïétiques constitue une procédure sûre et efficace pour les SEP rémittentes et que, dès lors, elle doit être considérée comme un traitement standard de deuxième intention (Déclaration disponible ici ). On ne peut donc pas douter de la détermination des sociétés d’hématologie à ouvrir l’accès à l’autogreffe aux patients-SEP.

Les sociétés savantes de neurologie sont très discrètes sur la procédure d’autogreffe de moelle et, quand elles l’évoquent, émettent des réserves qui tranchent avec les conclusions de leurs homologues de l’hématologie. En septembre et octobre 2019, lors du Congrès du Comité Européen pour le Traitement et la Recherche sur la Sclérose en Plaques (ECTRIMS) et du Congrès de l’Académie Européenne de Neurologie, des interventions solidement documentées[3] ont conclu à la sécurité et à l’efficacité de l’ACSH en termes de disparition des signes d’activité de la maladie et d’amélioration de la qualité de vie des malades. Mais le mot de la fin est revenu à ceux qui préconisent de nouveaux essais randomisés pour confirmer une avancée thérapeutique pourtant déjà éclatante (sur la critique de l’exigence d’essais, s’aventurer ici).

C’est que la neurologie concentre son intérêt et ses efforts sur les objets de recherche qu’elle s’est elle-même donnée. La recherche fondamentale y poursuit l’objectif de compréhension de l’étiologie et des mécanismes de la sclérose en plaques (génétique, immunologie, neurobiologie, pathogenèse,…). Au cœur des investigations actuelles : l’imagerie médicale, les fonctions des lymphocytes T, de la protéine PAK1, l’intérêt des biomarqueurs de type neurofilaments, le rôle de la vitamine D ou encore la remyélénisation. Les résultats de la recherche fondamentale alimentent une recherche clinique dynamique qui bénéficie des financements de l’industrie pharmaceutique orientée vers la conception des thérapies à venir.   

Les hématologues

Les hématologues sont les experts des maladies du sang, et les hématologues-greffeurs pratiquent quotidiennement des ACSH pour le traitement de ces pathologies. Grâce aux manifestations et communications organisées par les sociétés savantes mentionnées plus haut, ils sont au fait des possibilités d’application de l’ACSH aux affections auto-immunes et ouverts à l’administration des protocoles spécifiques susceptibles de soulager les patients. La prescription d’autogreffes pour la sclérose en plaques n’est toutefois pas de leur ressort. N’étant pas familiers de cette maladie, c’est en étroite collaboration avec les neurologues qu’ils souhaitent préparer les autogreffes, les réaliser et en effectuer le suivi hématologique.

Les neurologues

Ils sont spécialistes du système nerveux et de ses atteintes, telle que la SEP. Pour le traitement de celle-ci, ils disposent aujourd’hui d’une palette de biothérapies immuno-modulatrices et immuno-suppressives qui leur permet de définir pour chaque patient une stratégie thérapeutique visant la maximisation de l’efficacité et la minimisation des risques d’effets secondaires graves. C’est à eux que revient le pouvoir de prescrire les autogreffes de moelle osseuse qui seront réalisées par les hématologues-greffeurs.

Les neurologues sont davantage destinataires des communications des sociétés de neurologie que de celles d’hématologie. Ce circuit d’information peut expliquer, au moins partiellement, le grand nombre de ceux qui méconnaissent l’ACSH et sont réticents à son utilisation.

Ainsi, tandis qu’en règle générale les malades, toutes pathologies confondues, se voient proposer et expliciter par leur médecin les protocoles disponibles, les neurologues ne sont quasiment jamais ceux par qui les patients-SEP apprennent l’existence de l’ACSH. Il est plus fréquent qu’ils soient interpellés par les malades à qui ils font alors des réponses approximatives en forme de fin de non-recevoir. Il est donc quasiment impossible pour un patient d’obtenir l’appui de son neurologue pour bénéficier d’une autogreffe.

Il en existe pourtant une poignée qui voit dans l’ACSH, à l’instar des malades, le meilleur des traitements actuels contre la SEP et un transfert fructueux entre disciplines médicales plutôt qu’une désagréable immixtion dans leur domaine réservé d’expertise. Ceux-là clament, avec le public de Roland Garros : « Bienvenue Tony Parker ! ».

Les confusions des discours

L’ACSH appliquée à la SEP se situe donc à l’intersection de deux spécialités – hématologie et neurologie – qui évoluent traditionnellement de manière cloisonnée et tiennent chacune leur propre discours sur la procédure. De la pluralité des propos nait rarement l’exactitude ; en l’occurrence, le discours aujourd’hui dominant est entaché d’un certain nombre d’omissions et de raccourcis sources de confusions.

Je rectifierai ici deux d’entre elles.

Il est FAUX de dire que l’ACSH est une procédure expérimentale

Une confusion commune consiste à assimiler l’insuffisant niveau de connaissance qu’en ont les neurologues à une prétendue dimension « expérimentale » du traitement.

Or, on ne rappellera jamais assez que l’autogreffe de moelle osseuse est agréée par les autorités de santé et que ses différentes étapes – mobilisation des cellules souches, cytaphérèse, conditionnement, aplasie et reconstitution hématopoïétique – sont parfaitement effectuées quotidiennement dans des centaines de départements d’onco-hématologie dans le monde.

Contrairement à ce qu’il en est souvent dit, l’ACSH n’est donc en aucun cas une pratique «expérimentale ». Il s’agit d’une procédure largement éprouvée qui échappe seulement à la maîtrise technique des neurologues et à l’histoire de leur discipline.

 Il est FAUX de dire que l’ACSH est un traitement par « cellules souches »

Une autre erreur répandue est de ne retenir de la dénomination « autogreffe de cellules souches hématopoïétiques » que l’attrayante expression de « cellules souches ».

D’abord, l’omission du qualificatif « hématopoïétique » - qui renvoie aux cellules souches dont sont issues les différentes cellules du sang : lymphocytes, globules rouges et plaquettes – peut conduire à mettre l’ACSH sur le même plan que les injections de cellules souches neurales ou mésenchymateuses qui n’en sont encore, elles, qu’au stade expérimental. Et nous voilà renvoyés au point précédent.

Ensuite, la mise en avant de la notion de « cellules souches » masque la véritable composante déterminante de l’ACSH qu’est la chimiothérapie intensive administrée pour détruire le système immunitaire auto-réactif. Si le terme est moins engageant, la substance est capitale pour espérer interrompre le processus pathologique ; les cellules souches permettent « seulement » d’accélérer la reconstitution hématopoïétique.

Et les malades dans tout ça ?

Il est de l’intérêt des patients-SEP, quelle que soit la forme de maladie dont ils souffrent, que la neurologie continue à investiguer de multiples pistes de recherche et à travailler à l’élaboration des thérapeutiques de demain, plus efficaces et bien tolérées, qui enrayeront le processus auto-immun, répareront les lésions du système nerveux central et régénèreront les fonctions motrices, sensitives et cognitives.

Mais il leur est extrêmement dommageable que l’accès au meilleur traitement actuel, offert dès aujourd’hui par l’hématologie, leur soit aussi fermé.

© Tous droits réservés

[1] Le traitement de première intention (ou de première ligne) est le premier traitement administré à un malade pour soigner sa pathologie. S’il a échec de ce traitement, un autre, dit deuxième intention, lui est donné. Si celui-ci échoue à son tour, un traitement de troisième ligne est proposé et ainsi de suite jusqu’à épuisement des médications disponibles. L’escalade thérapeutique, dans son principe, mobilise successivement des traitements à l’efficacité croissante et aux risques également croissants.

[2] Pour se rafraichir la mémoire sur les différentes formes de sclérose en plaques, cliquer ici.

[3] Programme et résumé des résultats des études en anglais consultables ici 

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