Le film débute par une longue scène, une querelle entre voisins à propos d’un jardin luxuriant. Une jungle, un monde hostile où « psychopathe » et « paranoïaque » s’invectivent.
Juste après ce prologue, voici Gigi, “Gigi la loi” comme on le surnomme. Policier dans une petite ville de Vénétie, à San Michele al Tagliamento, il sillonne les routes de campagne, alerté là par un feu, ici par des jeunes en scooter, toujours branché à la radio de son véhicule grâce à laquelle il pourra draguer la dernière jeune recrue de la patrouille. On lui signale un corps près de la voie ferrée, celui d’une jeune femme. Suicide ? Meurtre ? Ce n’est pas le premier corps que l’on trouve ici. Alors Gigi, avec son flegme de dandy, va surveiller, suivre celui qui lui paraît le plus suspect, sans jamais lâcher ses sourires aux dames, ses lunettes noires et ses saluts aux commerçants.
Dans la vraie vie, Gigi, c’est Pier Luigi Mecchia, l’oncle du réalisateur Alessandro Comodin qui signa en 2012 L’Été de Giacomo, beau documentaire autour des vacances du fils sourd de son meilleur ami. Pier Luigi Mecchia fut policier dans ce village. Alessandro Comodin a écrit pour lui cette comédie villageoise par endroit burlesque, évoquant l’univers de Jacques Tati ou le monde des reportages de Strip-tease. Les aventures de Gigi la loi a reçu le Prix spécial du jury lors de la dernière édition du Festival de Locarno.
Un documentaire fictionné (tendance du moment ? Il y eu Aya, le mois dernier sur les écrans) pourtant bien plus ambigu que le résumé qu’on en fait.
Le jardin d’Eden peut-il enfermer toutes les haines ? Sous ses allures sympathiques ou rigolardes, Gigi semble prêt à beaucoup faire pour pister celui qui lui a montré le chemin du cadavre de la jeune femme. Il n’hésite pas non plus à s’emparer de la mobylette débridée d’un jeune de la campagne pour s’amuser à quelques dérapages dans les champs tout en lui conseillant sérieusement « de ne pas croiser un policier ». Ou à flirter lourdement via la radio de sa voiture, sans que l’on comprenne si la jeune femme de l’autre côté est séduite par son jeu ou se paye carrément sa figure. Tout est trouble, pas très net.
Dans ce village d’Italie, le temps semble n’avoir pas de prise, comme s’il s’était déjà arrêté en éjectant la bourgade du monde. L’innocence et l’inconscience prennent alors un goût âpre, inquiétant. A l’image des ultimes révélations dont Gigi fait confidence à la collègue partageant un temps son véhicule.
Sophie Dufau, journaliste à Mediapart
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Agrandissement : Illustration 4
Les Aventures de Gigi la Loi d’Alessandro Comodin, 1 h 42, sortie le 26 octobre
Ce film a reçu le label “Oh my doc !” créé en 2020 par France Culture, la Cinémathèque du documentaire, l’association Les Écrans, la plateforme Tënk et Mediapart afin de chaque mois soutenir la sortie en salle d’un documentaire remarquable.