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Billet de blog 8 novembre 2022

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Colombie : les cent premiers jours de Petro, nouveau président de gauche

Pour la première fois dans son histoire récente, la Colombie a élu un homme de gauche à la présidence du pays, Gustavo Petro. Après presque cent jours de son mandat, les questions relatives à l’énergie et à la gestion économique occupent une bonne partie des débats.

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Ce n’est pas la pandémie, mais deux autres grands événements qui ont secoué profondément la Colombie ces derniers temps : les manifestations gigantesques, et violentes, contre la réforme fiscale annoncée par l’ancien président Duque (2021), et la victoire de Gustavo Petro en juin 2022 après une campagne électorale très tendue.

Trois mois après son arrivée au pouvoir, Petro, dont on peut lire le portrait ici, a réussi un tour de force : faire voter une nouvelle réforme budgétaire sans une once de contestation sociale. Exploit d’autant plus grand que cette réforme, cruciale pour mener à bien sa future politique sociale, ne respecte pas vraiment ses promesses. Pendant sa campagne, Petro parlait de taxer les quatre mille Colombiens les plus fortunés, ainsi que les boissons gazeuses et le sucre en général, responsable de nombreux problèmes de santé. La réforme réellement votée exonère précisément les retraités les plus riches (les retraites ne sont pas soumises à l’impôt en Colombie, et de très grosses inégalités existent). Elle taxera par contre un bon nombre de produits alimentaires (dont le lait en poudre, les cacahuètes, les hamburgers, les biscuits) mais non pas les boissons gazeuses ou le tabac.

Comment expliquer que malgré ces différences entre les promesses et leur réalisation, et sur un sujet aussi sensible que les impôts, les Colombiens ne se révoltent pas, comme dans le passé récent ? Quelles sont les nouvelles orientations de la politique colombienne ?

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Prise de fonctions, le 7 août 2022 © Photo de Nelson Cardenas, @cantarranasur

Rappelons d’abord que Petro avait été élu en promettant la fin de l’exploitation des hydrocarbures, la hausse des impôts des quatre mille Colombiens les plus fortunés, l’annulation des dettes des étudiants, le développement des énergies renouvelables, le soutien à la recherche technique et scientifique, un processus de paix avec la guérilla ELN (Armée de Libération Nationale), et le rétablissement des relations avec le Venezuela, entre autres. 

Comme pour Lula au Brésil, sa victoire dans les urnes a été étroite. Peut-être est-ce dû à cela, ainsi qu’en raison des craintes qu’il suscite dans une partie de la population manipulée par l’extrême droite (qui l’injurie à coup de « communiste » ou « guérillero »), qu’il a formé un cabinet hétéroclite, composé de membres des partis traditionnels libéral et conservateur, de technocrates provenant du parti de centre, d’une ministre des mines opposée aux énergies fossiles, d’un défenseur des droits humains au ministère de la défense (dans un pays où l’armée est une grande violeuse des droits humains), de deux femmes issues de l’extrême gauche (comme ministres de la culture et du travail).

Aussitôt arrivé, Petro a annoncé plusieurs projets phares, dont la réalisation d’une « paix totale ». D’abord, il est prêt à acheter des terres aux grands propriétaires terriens, et notamment aux éleveurs, un territoire de la taille de la Belgique pour les redistribuer aux populations déplacées durant le conflit avec les Farc.  La « paix totale » suppose également de dialoguer avec les groupes dissidents des Farc (n’ayant pas déposé les armes en 2017, lors des accords de paix), avec les bandes criminelles et les narcos, ainsi que l’ouverture de pourparlers de paix avec la guérilla ELN, et  de renouer les relations commerciales et diplomatiques avec le président du Venezuela Nicolas Maduro (de nombreux guérilléros de l’ELN et des dissidences des Farc s’y trouvent).

La recherche de la paix avec l’ELN et avec les nombreux groupes armés a toujours été un terrain miné en Colombie. Il est fort vraisemblable que les violences vont augmenter localement (d’ores et déjà, l’ELN et les dissidences des Farc se livrent une guerre à mort, sans parler de la violence des groupes et cartels mafieux). Cette première priorité de Petro ne sera pas facile à réaliser.

Un second grand volet de l’action du gouvernement a trait à la politique énergétique. La balance des paiements de la Colombie dépend dans une grande mesure de l’exportation du charbon, des hydrocarbures et des minerais (60% des exportations du pays). Ces biens ont remplacé le café depuis les années 1990, pendant longtemps le premier produit d’exportation national.

Petro plaide depuis plusieurs années pour l’abandon des énergies fossiles en Colombie. Il a défendu un arrêt des nouvelles explorations de pétrole, de gaz et de charbon, et leur remplacement par des énergies renouvelables (solaire, éolien). Pour remplacer les devises qu’apportent ces exportations, il veut attirer des millions de touristes étrangers en Colombie. Il souhaite également soutenir l’agriculture (amélioration de la productivité, lutte contre l’insécurité alimentaire) et demande une aide importante pour l’Amazonie (la Colombie possède 6,4% de la forêt amazonienne).

L’idée d’arrêter les explorations de pétrole et de gaz est très critiquée par des médias, des universitaires et des entrepreneurs. Ils rappellent que du point de vue environnemental, l’exploitation de ces ressources fossiles ne contribue qu’à 0,5% des gaz à effet de serre de la planète, et qu’à l’intérieur de la Colombie, ce ne sont pas les émissions issues des ressources fossiles les plus grands responsables des émissions de CO2, mais la déforestation (due principalement à l’élevage de bétail). Petro, cependant, persiste : dans son tout récent discours à la COP27, il a parlé de « dévaloriser les énergies fossiles ». Et dans sa récente réforme fiscale, ce sont bien les entreprises minières (pétrole, charbon et gaz) qui sont le plus fortement mises à contribution.

Les questions économiques sont devenues un réel motif d’inquiétude et sont l’objet de nombreuses batailles politiques. Pour les critiques de Petro, la dépréciation historique du peso (il a perdu 25% de sa valeur depuis son élection) est la conséquence de la décision d’arrêter les explorations d’hydrocarbures. Petro et ses partisans s’en défendent : ce sont plutôt la hausse des taux d’intérêt aux États-Unis, l’inflation mondiale et la panique provoquée par un président de gauche et encouragée par les entrepreneurs colombiens, qui sont responsables de la dépréciation du peso et de l’inflation (environ 12% depuis un an).

Ce dossier des énergies fossiles n’est pas tranché et sera sans doute l’objet de nouvelles tensions, d’autant plus qu’au sein du gouvernement, les voix divergent à ce sujet (d’un côté, une ministre des mines opposée aux nouvelles explorations, de l’autre le ministre du budget, ou le président du Sénat, favorables à une sortie progressive et non pas brutale de cette source d’énergie… et de devises.

Le « pragmatisme » l’emportera-t-il, comme il a emporté les aspirations environnementales du président Correa il y a plusieurs années en Equateur ? Petro a besoin de beaucoup de fonds pour mener à bien ses politiques sociales d’augmentation des subventions aux populations démunies, aux personnes âgées sans ressources, ainsi que pour pallier aux effets de l’inflation… Par ailleurs, les maigres fonds alloués au ministère de l’environnement et à la recherche scientifique dans le budget qu’il a fait voter au Congrès ne sont pas à la hauteur de ses ambitions de transformation énergétique. 

Parmi les autres actions de son gouvernement figurent le renouvellement de la haute hiérarchie de l’armée (il a congédié une cinquantaine de généraux), ainsi que la volonté d’intégrer la police au ministère de l’intérieur et non pas au ministère de la défense. Il reste que l’armée et la police sont, après le Brésil, les plus importantes en Amérique latine, et disposent encore d’un budget gigantesque.

Enfin, il a mis en place les dialogues régionaux : le président, ou son équipe, se rendent dans 48 régions de la Colombie afin d’écouter les demandes et les projets qui pourraient faire partie du plan de développement (ils sont souvent orientés vers la réalisation de travaux publics). Outre une meilleure connaissance des (nombreux) besoins locaux, ces bains de foule lui donnent l’occasion de maintenir la mobilisation de sa base électorale.  

Pour le moment, Petro a, aujourd’hui, peu d’opposants réellement menaçants. Son rival au second tour n’existe plus politiquement. Quelques figures émergentes des partis de droite essayent de se mobiliser : ils sont descendus dans la rue à deux reprises, et critiquent aussi bien la réforme fiscale du président que les politiques de ses alliés, les maires locaux. Mais Petro conserve une popularité élevée (même si elle a un peu baissé), et il dispose de marges de manœuvre.

Il est vraisemblable que Petro maintiendra la stratégie qui a été la sienne pour remporter les élections : mobilisation de la rue (les sénateurs de son parti organisent des manifestations de soutien au gouvernement le 15 novembre prochain) et une fine connaissance des alliances qui se nouent dans les couloirs du Congrès. 

Petro jouit d’une aura particulière : il représente pour toute une génération l’espoir d’une politique au service de la majorité des Colombiens, au lieu d’une politique au service du capital financier et industriel, en rupture avec la toute-puissance de l’armée et de la police que ses prédécesseurs avaient mis en place depuis des décennies. Mais Petro est aussi, et avant tout, un politicien expérimenté. Il connaît parfaitement bien le fonctionnement des partis politiques colombiens (le marchandage de faveurs et privilèges y fait la loi et les idées n’ont que peu d’importance). Il a su organiser sa majorité au Congrès (ainsi, le parti conservateur est aujourd’hui un des partis les plus disciplinés de sa coalition), et pour le moment, il peut ignorer les attaques de ses adversaires.

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