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Billet de blog 17 août 2024

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Fils de Dieu, Fils de l'Homme ou Fils de Personne?

L'Homme nommé Jésus eut cette qualité propre à tout “prophète” de dire tout, le contraire, n'importe quoi et surtout, de parler pour ne rien dire. Cette dernière qualité est bien sûr la plus importante, car parler pour ne rien dire équivaut à parler pour tout dire. Tout, et le contraire de tout.

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L'Homme, factuellement l'humain, c'est-à-dire la personne, nommé Jésus, dit de lui-même, parfois qu'il est le fils de Dieu, mais indirectement me semble-t-il – à vérifier et je vais tenter de le faire –, parfois qu'il est le fils de l'Homme de manière générique, semble-t-il, et parfois ne dit rien sur cette question, laissant dire ceux qui savent, c'est-à-dire ceux qui croient que nommer les choses c'est les connaître. Qu'on le répute fils “du Très-Haut”, “du Seigneur”, “de Dieu”, “de l'Homme” ou d'un homme déterminé, “de Marie”, “de personne” ou “de pute” (pas aussi directement mais quand il croise des contradicteurs qui veulent l'abaisser les qualificatifs à son encontre ressemblent beaucoup à ça). Sa naissance douteuse (“né de père inconnu” comme on dit) fait supposer la validité du dernier qualificatif car en son temps comme en tout autre un fils “sans père” est par nécessité le fils d'une pute, d'une “fille-mère” disait-on dans mon jeune temps, l'euphémisme pour “Marie-couche-toi-là‹, pour “pute” – tiens be, on retrouve la fameuse Marie dans cette expression.

J'ai vérifié: nulle part le nommé Jésus de se dit “Fils de Dieu”, toujours il est réputé tel par ses épigones et ses contempteurs, et les seules occasions où il accepte la sentence il ne la confirme pas:

«Se levant alors, le Grand Prêtre lui dit: "Tu ne réponds rien? Qu'est-ce que ces gens attestent contre toi?" Mais Jésus se taisait. Le Grand Prêtre lui dit: "Je t'adjure par le Dieu Vivant de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu"
Tu l'as dit, lui dit Jésus. D'ailleurs je vous le déclare: dorénavant, vous verrez le Fils de l'homme siégeant à droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel." Alors le Grand Prêtre déchira ses vêtements en disant: "Il a blasphémé! qu'avons-nous encore besoin de témoins? Là, vous venez d'entendre le blasphème! Qu'en pensez-vous?" Ils répondirent: "Il est passible de mort"» (Matthieu, 26, 62-66);

«Et quand il fit jour, le conseil des Anciens du peuple s'assembla, grands prêtres et scribes. Ils l'amenèrent dans leur Sanhédrin et dirent: "Si tu es le Christ, dis-le-nous." Il leur dit: "Si je vous le dis, vous ne croirez pas, et si je vous interroge, vous ne répondrez pas. Mais désormais le Fils de l'homme siégera à la droite de la Puissance de Dieu!"
Tous dirent alors: "Tu es donc le Fils de Dieu!" Il leur déclara: "Vous le dites: je le suis." Et ils dirent: "Qu'avons-nous encore besoin de témoignage? Car nous-mêmes l'avons entendu de sa bouche!"» (Luc, 22, 66-71);

«Les Juifs lui répondirent: "Ce n'est pas pour une bonne œuvre que nous te lapidons, mais pour un blasphème et parce que toi, n'étant qu'un homme, tu te fais Dieu."
Jésus leur répondit: "N'est-il pas écrit dans votre Loi: J'ai dit: Vous êtes des dieux? Alors qu'elle a appelé dieux ceux à qui la parole de Dieu fut adressée - et l'Écriture ne peut être récusée - à celui que le Père a consacré et envoyé dans le monde vous dites: Tu blasphèmes, parce que j'ai dit: Je suis Fils de Dieu! Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas; mais si je les fais, quand bien même vous ne me croiriez pas, croyez en ces œuvres, afin de reconnaître une bonne fois que le Père est en moi et moi dans le Père."» (Jean, 10, 33-38);

Traduction œcuménique dite de la Bible de Jérusalem. Il dit aussi, au moins en une occasion – désolé je ne retrouve pas la référence – un truc du genre «C'est un sacré con ou un sacré salaud, celui qui se proclame “Fils de Dieu”!». Pas aussi vulgaire que ça mais tout aussi tranchant. Probable que la formulation ne figure pas sous cette forme exacte mais c'est bien le propos. Quand le nommé Jésus se définit en tant que “fils de”, c'est toujours en tant que “Fils de l'homme”.

Ah oui! Son propos rapporté plus haut dans Jean, 22,

«N'est-il pas écrit dans votre Loi: J'ai dit: Vous êtes des dieux? Alors qu'elle a appelé dieux ceux à qui la parole de Dieu fut adressée – et l'Écriture ne peut être récusée – à celui que le Père a consacré et envoyé dans le monde vous dites: Tu blasphèmes, parce que j'ai dit: Je suis Fils de Dieu!».,

se réfère entre autres au Psaume 82, qui est assez curieux en son début car on y lit ceci dans la traduction Segond 1910:

«Dieu se tient dans l’assemblée de Dieu; Il juge au milieu des dieux. Jusques à quand jugerez-vous avec iniquité, Et aurez-vous égard à la
personne des méchants?».

D'accord d'accord... Le “dieu unique” «juge au milieu des dieux»? La référence est plus loin:

«J’avais dit: Vous êtes des dieux, Vous êtes tous des fils du Très-Haut. Cependant vous mourrez comme des hommes, Vous tomberez
comme un prince quelconque».

Et le dernier verset n'est pas moins intrigant:

«Lève-toi, ô Dieu, juge la terre! Car toutes les nations t’appartiennent».

Un dieu unique siégeant au milieu des dieux et invoquant “le Très-Haut”, le “Dieu juge de la terre”? Vraiment intrigant.

J'aurais pu citer aussi la Bible de Jérusalem:

«Dieu se dresse au conseil divin, au milieu des dieux il juge: "Jusques à quand jugerez-vous faussement, soutiendrez-vous les prestiges des impies?»;
«Moi, j'ai dit: Vous, des dieux, des fils du Très-Haut, vous tous? Mais non! comme l'homme vous mourrez, comme un seul, ô princes, vous tomberez."»;
«Lève-toi, ô Dieu, juge la terre, car tu domines sur toutes les nations».

Perso je préfère le style des traductions dites Segond (la plus répandue, celle de 1910, n'est pas la sienne puisqu'il mourut vingt-et-un ans plus tôt, il s'agit d'une tradition ancienne, on nomme une série de traductions selon un nom de personne ou de lieu pour indiquer qu'on suit la leçon de tel traducteur, telle école, d'où l'étiquette “Segond” pour des traductions postérieures à 1990; l'étiquette “de Jérusalem” indique le lieu de fédération des traducteurs, qui ne vivent ni ne travaillent nécessairement en cette ville, faite selon la leçon et «sous la direction de l'École biblique et archéologique française de Jérusalem, un établissement français [...] dirigé par l’ordre dominicain»), mais elles posent un “petit”. problème: plusieurs livres de l'Ancien Testament et certaines parties du Nouveau Testament n'y figurent pas car elle est d'obédience réformée. En fait, selon les cas (traductions “juives”, “orthodoxes”, “catholiques”, “réformées”, “protestantes”, “œcuméniques”, etc.) le contenu et l'ordre des parties varient assez, par exemple, voulant faire référence, dans un autre billet, à 1 Maccabées et 2 Maccabées, il m'a fallu aller chercher une traduction “catholique” ou “œcuménique”, en ce cas celle dite de Jérusalem, mais j'aurais pu aussi me référer à la Traduction œcuménique de la Bible, la “TOB”, qui diffère un peu de celle Jérusalem dans le contenu, le classement et l'ordre des parties.

La référence est plutôt ailleurs, en Ésaïe (trad. Segond) ou Isaïe (trad. Jérusalem) 41, 23-24:

«Plaidez votre cause, Dit l’Éternel; Produisez vos moyens de défense, Dit le roi de Jacob. Qu’ils les produisent, et qu’ils nous déclarent Ce qui doit arriver. Quelles sont les prédictions que jadis vous avez faites? Dites-le, pour que nous y prenions garde, Et que nous en reconnaissions l’accomplissement; Ou bien, annoncez-nous l’avenir.
Dites ce qui arrivera plus tard, Pour que nous sachions si vous êtes des dieux; Faites seulement quelque chose de bien ou de mal, Pour que nous le voyions et le regardions ensemble.
Voici, vous n’êtes rien, Et votre œuvre est le néant; C’est une abomination que de se complaire en vous» (Segond 1910);

«Présentez votre querelle, dit Yahvé, produisez vos arguments, dit le roi de Jacob. Qu'ils produisent et qu'ils nous montrent les choses qui doivent arriver. Les choses passées, que furent-elles? Montrez-le, que nous y réfléchissions et que nous en connaissions la suite. Ou bien faites-
nous entendre les choses à venir,
annoncez ce qui doit venir ensuite, et nous saurons que vous êtes des dieux. Au moins, faites bien ou faites mal, que nous éprouvions de l'émoi et de la crainte.
Voici, vous êtes moins que rien, et votre œuvre, c'est moins que néant, vous choisir est abominable» (Jérusalem).

Ou un mélange des deux. En tout cas “l'Éternel” ou “Yahvé“ ou “Dieu” n'est pas trop sympa avec “les dieux” dans les deux cas. Toujours est-il que, ainsi que vous pouvez le constater, les évangélistes s'entendent sur une chose: ce sont ceux même qui disent de lui qu'il est “Fils de Dieu” qui l'accusent d'avoir prononcé ces mots, alors que les blasphémateurs ce sont eux, lui ne fait qu'admettre la validité de leur propos non parce qu'il dit le réel mais parce qu'il exprime leur “vérité”. Que font ses accusateurs? Ils reportent sur lui leur propre imperfection, il lui attribuent leur propre erreur. Ils font ce que font les contempteurs de Krishnamurti que l'évoque dans le billet «La perfection»: ils ne se pensent pas, ne se voient pas “conditionnés” ou, se pensant tels, croient alors avoir le moyen de se “déconditionner”, ce qui est impossible s'ils souhaitent rester des humains, rester dans l'humanité, ce qui requiert d'être et de rester conditionné.

La question de l'existence effective, “historique”, de l'Homme, de l'humain Jésus, n'a aucune importance, dès lors qu'il s'agit d'un personnage de récit c'est un être de fiction, un être mythique, et il en va de même de Bouddha, de Socrate, de Sappho. Considérez par exemple Socrate: on a ce paradoxe d'un personnage de théâtre (les dialogues platoniciens sont formellement donc réellement des “drames” ou des “comédies”) qui se montre dans son imperfection, dans sa perfectibilité toujours recherchée, jamais pleinement atteinte, mais le même Platon, dans son Apologie de Socrate, en fait un être parfait, un être mythique, une sorte de dieu fait chair. Et bien sûr, Krishnamurti, contre lui, contre ses propos, et contre l'évidence, fut deux fois “divinisé”, d'abord par les théosophes, ensuite par ses épigones. Parmi lesquels, disais-je dans ce billet, on trouve les plus virulents de ses contempteurs. Non parce qu'il a “déchu”, il ne s'est jamais présenté comme un Parfait à partir de 1929, tout au contraire il a clairement rompu avec ceux qui avaient tenté d'en faire un “messie”, un “dieu sur terre”, mais parce qu'ils sont restés dans la croyance, celle de l'invraisemblable possibilité d'une “perfection en ce monde”, simplement ils ont reporté leur propre erreur sur lui, ils lui ont reproché durement de n'être pas ce qu'ils voulaient absurdement qu'il soit.

Je suppose l'historicité des individus Socrate, Bouddha et Jésus, comme je suis certain de l'historicité des individus Ada Lovelace et de Jiddu Krishnamurti, et je suis tout autant certain que les personnages ainsi nommé qui ont fait l'objet de récits laudateurs ou dépréciateurs n'ont qu'un rapport lointain avec les individus historique. Doit-on alors reprocher aux individus l'imbécillité de croyants, ou plutôt des crédules, des benêts, des imbéciles qui prennent leurs représentations de la réalité pour la réalité même. Nécessairement ils seront déçus et, ne remettant pas en cause ce curieux et imbécile rapport au monde, reporteront sur d'autres, ou sur “les circonstances”, leur propre imperfection, refusant par cela de faire quelque effort pour aller vers la perfectibilité. Que ça ne résulte pas en un “perfectionnement” n'a aucune importance, comme le disait dès 1929 Krishnamurti, «la vérité est un pays sans chemin», mais cela doit-il nous dissuader de cheminer? Là je renvoie à “Sam à la Grande Âme”, au personnage de Zelazny, qui énonce une vérité du même ordre, c'est-à-dire une “non vérité” qui permet de cheminer vers la vérité:

«Alors, disent les sages, à quoi bon lutter à l’intérieur d’un rêve contre ce qui est notre lot, le chemin à suivre pour atteindre la délivrance? [...] Comment donc justifier l’homme qui lutte contre les puissances du mal?
[...]
La réponse, la justification, est la même pour les hommes et pour les dieux. Le bien ou le mal, disent les sages, ne signifient rien, car ils sont part du Samsâra. Acceptez les paroles de ces sages qui ont instruit notre peuple depuis l’aube de la mémoire des hommes. Mais considérez aussi une chose dont ne parlent point les sages. C’est la “beauté”. Un mot, peut-être, mais regardez derrière ce mot et considérez la Voie du Sans Nom. Et quelle est cette Voie? C’est la Voie du Rêve [...].
«L’Être Sans Nom dont nous sommes tous partie rêve la forme. Et quel est le plus bel attribut que puisse posséder une forme? La beauté. Le Sans Nom est donc un artiste. Et il n’y a donc point de problème du bien et du mal, mais un problème d’esthétique. Lutter contre les puissants parmi les rêveurs, contre ceux qui mettent leur puissance au service du mal ou de la laideur, n’est point lutter pour ce qui n’a point de sens en termes du Samsâra ou du Nirvâna, comme nous l’ont appris les sages, mais lutter pour la symétrie d’un rêve, en termes du rythme et de l’équilibre qui en feront une chose belle [...]. Cette lutte entraînera également la souffrance, et le fardeau du Karma de chacun en sera ainsi allégé, tout comme il le serait en supportant la laideur. Mais cette souffrance amène à une fin plus élevée, à la lumière des valeurs éternelles dont les sages parlent si souvent».

À quoi bon lutter pour un société juste et une vie bonne? Parce que vivre c'est lutter, que l'univers est en lutte perpétuelle contre la vie, non par quelque volonté de “faire le mal” mais parce que sont propre mouvement est contradictoire au mouvement propre de la vie, alors autant lutter pour quelque chose ayant de la valeur pour soi, et quoi de plus haut en termes de valeur que la beauté? S'éloigner de sa propre imperfection c'est renoncer à lutter contre l'inéluctable, la douleur, la souffrance et la mort, pour aller vers quelque chose de plus grand: la beauté du monde.

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