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Billet de blog 27 janvier 2020

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339: Une brève histoire du temps.

Un autre titre piqué à un auteur, Stephen Hawking. Un livre que je n'ai pas lu (et que je ne compte pas lire), et un discours qui n'a pas grand chose à voir avec celui de ce billet. Ou peut-être que si...

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Difficile pour moi de le savoir puisque je n'ai pas lu le bouquin. Mon propos concerne celui esquissé dans «338: Conscience écologique» à propos du temps tel que conçu dans la physique contemporaine, spécialement dans le cadre de la relativité einsteinienne. Pour une raison que je m'explique mais qui n'a pas grand intérêt ici on accepte mal le relativisme en sciences sociales, pourtant ce qui vaut pour l'univers entier vaut nécessairement pour ses parties, en ce cas on ne peut expliquer ce qui se produit dans une société qu'en tenant compte des relations externes car dans cet univers tout se relie à tout donc rien n'existe en soi, indépendamment du contexte et des mouvements propres de chaque partie de l'univers. Si on le sait de longue date c'est désormais évident, “scientifiquement prouvé” dit-on pour affirmer la validité d'une assertion, l'univers n'est pas causal mais stochastique. Ouais, scientifiquement prouvé... Les preuves scientifiques ne valent qu'aussi longtemps qu'elles valent, toute l'évolution récente de la physique, laquelle a remis en cause bien des certitudes des physiciens de la fin du XIX° siècle, commence précisément au moment où l'un des plus éminents savants de ce siècle, William Thomson, plus connu en tant que Lord Kelvin, fit cette déclaration en 1894: «Il n'y a rien de nouveau à découvrir en physique désormais. Tout ce qui reste [à faire] ce sont des mesures de plus en plus précises» (en version originale «There is nothing new to be discovered in physics now. All that remains is more and more precise measurement»).

Les scientifiques les plus sérieux évitent de faire des prédictions car ils tiennent compte des leçons du passé, l'une des plus constantes étant que le moment où un savoir semble à son plus haut degré d'achèvement précède de peu le moment où une nouvelle approche va mettre en cause ce bel édifice. Thomson n'était pas un imbécile, cela dit, et dans la même conférence où il émit ce propos définitif il évoqua deux “petits” problèmes à résoudre, la résolution de l'un initiant les développements de la physique quantique, celle de l'autre étant à la base de la relativité einsteinienne. Ce brave Lord Kelvin fut toute sa vie un fervent chrétien et comme tel aurait dû savoir que le diable est dans les détails...

Dans «Conscience écologique» je parle du fait que le temps comme durée est une illusion. Je crains que mes possibles lectrices et lecteurs supposent alors que selon moi le temps comme durée “ça n'existe pas”, or les illusions “ça existe”, sinon on ne les percevrait pas, donc le temps comme durée existe, et il existe si bien qu'on peut à partir de lui effectuer des mesures qui permettent de faire des anticipations ou d'élucider des problèmes jusque-là inexplicables. Dans un billet en cours de rédaction j'évoque deux mesures effectuées par Ératosthène de Cyrène vers le milieu du III° siècle avant l'ère commune, sur la mesure de la circonférence de la Terre et sur l'obliquité de l'écliptique. Ces deux mesures reposent sur des observations s'appuyant sur le temps comme durée. Il se peut – à mon avis, il est assez vraisemblable – que ledit Ératosthène n'ait pas proprement considéré que le temps comme durée est un fait, à mon avis il le considérait aussi comme une illusion mais une illusion fiable en ce sens qu'elle est constante et hautement prévisible, perceptivement le jour, la saison et l'année sont des données extrêmement répétitives et extrêmement prévisibles et on peut, en un moment donné ou/et en un lieu donné faire des mesures qui auront une valeur de prévisibilité indubitable. La manière de rendre compte d'une expérience n'était pas la même en ces temps lointains qu'en notre temps donc on n'a pas d'information exacte sur le protocole qui lui permit de déterminer la circonférence de la Terre. Première possibilité, il fit les deux mesures, celle de Syène et celle d'Alexandrie, ce qui implique qu'elles n'eurent lieu pas lieu la même année – je suppose qu'Ératosthène n'avait pas le don d'ubiquité –, soit une personne fit la mesure de Syène et une autre celle d'Alexandrie, dans l'un ou l'autre cas il tenait compte du fait que le moment du solstice d'été est très prévisible et la position zénithale du Soleil très constante, donc deux observations en deux lieux distants le 21 juin -232 à midi ont lieu au même moment, ou que lors d'une observation le 21 juin à midi la position zénithale du Soleil sera relativement la même en -232 et -231. Soit précisé, l'article de Wikipédia mentionne que «dans une précédente observation, Ératosthène avait remarqué qu'il n'y avait aucune ombre, à cette heure dans un puits à Syène», ce qui implique qu'il fit lui-même les deux mesures à deux moments distants dans la durée.

Dans le billet en cours de rédaction j'évoque le fait que ces calculs s'appuient sur une autre hypothèse, celle de la rotondité de la Terre. Là, à l'inverse de la donnée temporelle on doit ne pas tenir compte d'une autre illusion perceptive, l'aspect tendanciellement plat de la surface terrestre. Certes, on perçoit un peu la courbure de l'horizon dans des environnements où cet horizon est dégagé et, prenant de l'altitude, on peut constater qu'elle s'accentue, mais il faut faire un effort d'imagination pour comprendre que si en quelque point qu'on se trouve et à même altitude cette courbure apparente est constante, il est très vraisemblable que ça soit le cas en tout point du monde, donc que le monde est une sphère. Dans le contexte d'Ératosthène il n'est pas évident de vérifier la chose par observation directe et sinon impossible du moins peu envisageable de le faire à partir de mesures directes – par arpentage. Notre philosophe le fit donc de la manière habituelle dans ce genre de cas, par triangulation, avec deux points fixes sur la surface et un point en altitude mobile mais en une position déterminée et prévisible à un certain moment, à midi le 21 juin, le Soleil. Tout ça est assez inexact de manière absolue, je veux dire, le Soleil n'est pas “à la même position” le 21 juin 2019 et le 21 juin 2020 parce qu'entretemps l'univers se sera légèrement dilaté, que notre galaxie se sera légèrement déplacée et aura légèrement tourné sur elle-même, de ce fait le système solaire ne sera plus à la même place absolue dans l'univers, mais localement, dans le cadre du système solaire justement, ce sera relativement assez exact, pas entièrement exact mais la différence sera négligeable d'une année sur l'autre, et même de l'époque d'Ératosthène à la nôtre (comme mentionné dans la section sur l'obliquité de l'écliptique, celle-ci «évolue faiblement au cours du temps et valait environ 15' de plus à l'époque d'Ératosthène qu'aujourd'hui»). La démarche scientifique c'est ce qu'en dit René Descartes dans les second et troisième principes de sa méthode:

«Le second [de mes principes était] de diviser chacune des difficultés que j'examinerais, en autant de parcelles qu'il se pourrait, et qu'il serait requis pour les mieux résoudre.
Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des plus composés; et supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres».

À condition bien sûr de suivre le premier principe,

«Ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle: c'est-à-dire, d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention; et de ne comprendre rien de plus en mes jugements, que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute».

Il importe peu de savoir si une hypothèse est vraie ou fausse, importe seulement de savoir si elle est exacte et vérifiable. D'un point de vue effectif le Soleil ne se déplace pas dans le ciel mais pour mesurer la circonférence de la Terre avec les moyens de son époque Ératosthène s'appuie sur ce mouvement apparent, qu'il sait ou peut supposer faux absolument mais sait exact relativement – dire en sciences sociales que tout est relatif ne réduit pas mais permet au contraire d'augmenter l'exactitude des propositions dans ces domaines du savoir sans avoir à se poser la question de leur vérité, qui serait un absolu, la seule vérité que je connaisse est précisément que tout est relatif et qu'on ne peut pas réfléchir sérieusement avec en arrière-plan une proposition du genre «toutes choses égales par ailleurs», car s'il y a une chose certaine c'est bien celle-là: tout change et rien n'est jamais égal d'un instant l'autre.

Le temps physique est une dimension parce que toute durée est une distance. Je le mentionnais brièvement dans le billet numéroté 338, sous un certain aspect l'univers est unidimensionnel, sa seule dimension mesurable est celle nommée par la relativité générale, l'espace-temps, qui «est une représentation mathématique de l'espace et du temps comme deux notions inséparables et s'influençant l'une l'autre. En réalité, ce sont deux versions (vues sous un angle différent) d'une même entité».

Pour me citer, dans ce billet en cours non publié je propose que «plus on sait que sa représentation de la réalité est nécessairement inexacte plus on en aura une représentation consistante, et le moyen de le savoir est d'avoir un niveau d'information élevé sur la réalité distante dans le temps et dans l'espace». Et aussi, d'avoir la conscience nette que temps et espace sont «deux versions (vues sous un angle différent) d'une même entité». Cela vaut aussi bien localement, selon le pays où l'on habite un parcours sera exprimé en durée ou en distance car le mouvement c'est du temps, de la durée,  et que le déplacement c'est de l'espace, de la distance. Opter pour l'une ou l'autre expression dépend largement des dimensions du territoire et bien sûr, des modes de locomotion. Factuellement, un individu aura une appréciation à la fois de la durée de parcours d'une distance et de la distance de parcours dans une certaine durée donc opter pour l'une ou l'autre expression et en lien direct avec la donnée la plus pertinente: au Canada ou en Algérie par exemple, on a tendance à exprimer les parcours en durée car ces territoires sont vastes et les parcours prennent des temps longs, même avec un véhicule rapide; en France ou en Italie on préfèrera les exprimer en distances car les moyens de déplacement courants permettent d'aller des deux points les plus distants en une journée et que la majeure partie des déplacements s'effectue en moins de trois heures dont une bonne part en moins d'une demi-heure. Ça n'est pas systématique bien sûr, on peut aussi exprimer les parcours en distance au Canada et en durée en France, je veux juste signaler qu'au-delà d'une certaine durée une distance s'exprime mieux par une notion temporelle que spatiale. À considérer, d'ailleurs, que jusqu'à un temps récent on ne séparait guère ces deux manières de mesurer le monde, une bonne part des termes qui spécifient des durées expriment originellement des distances ou des positions donc s'appliquent à l'espace; réciproquement, le globe terrestre  est désigné en latitude par des termes désignant des durées, la minute, la seconde, la fraction de latitude entre deux méridiens étant une heure, un “fuseau horaire”. Intéressant d'ailleurs de noter que ces notions de durée, si elles se relient à des durées relatives, en ce cas le temps de déplacement apparent du Soleil, ne se relient pas à des durées effectives puisque selon le point du globe où on se trouve la minute de latitude couvre une distance de près de 28 km à l'équateur, et une distance presque nulle aux abords directs des pôles, dit autrement, à pied, à un kilomètre du pôle on parcourra une minute en une seconde, sur l'équateur on la parcourra en plusieurs heures.

Pourquoi je tiens à discuter de ces notions? Pour diverses raisons, entre autres, ce n'est pas la principale mais elle a son importance, pour me la péter et faire mon beau, je ne peux pas dire que ça m'importe beaucoup mais il ne me déplaît pas cependant de faire étalage de mes capacités intellectuelles, non pour une question d'amour-propre, même si ça intervient, que pour indiquer clairement que je ne parle pas sans savoir ni de manière évanescente, ce qui m'intéresse le plus en ce monde est la réalité et j'apprécie de démontrer que ce qu'on prend trop souvent pour de l'abstraction au mauvais sens du terme, celui qui signifie “irréalité”, est au contraire très réaliste, très dans la réalité réelle et non dans sa représentation. Parler de seconde ou de minute pour une donnée latitudinaire peut sembler très concret alors que c'est très évanescent, ce dont on rend compte n'est pas une distance ou une durée effective mais un mouvement apparent, celui du Soleil, lequel, dans l'ordre des latitudes, a un mouvement nul par rapport à la Terre – dans celui des longitudes aussi mais ça peut se discuter puisque le mouvement écliptique se double d'un déplacement en distance, le Soleil étant au plus proche de la Terre le 21 décembre, et au plus loin le 21 juin. Certes le mouvement propre de la Terre sur elle-même est bien de 24 heures, ou 1.440 minutes, ou 86.400 secondes, cela en tout point du globe, qui a un mouvement uniforme en tous ses points, mais cette division est une convention, alors que le temps que je mettrai incessamment à me déplacer de chez moi jusqu'au marché de ma petite ville (qui a lieu en ce moment) aura une durée indépendante de la distance calculée en longitude – autant que je sache, je dois être à une quinzaine de secondes de longitude de ce marché mais ça me prendra quand même au moins cinq minutes pour y aller à pied, et au moins deux si j'opte pour le vélo, à peine moins vite en automobile.


Même lundi 27 janvier 2020, un peu plus tard, de retour du marché. Mon lectorat habituel le sait, j'aime faire intervenir le réel dans mes billets. Pour bien des raisons, en tout premier le fait que ça permet de prendre en compte que je ne suis pas un pur esprit, un “auteur” désincarné cramponné à ses idées et à son clavier, je consacre très peu de temps à mes contributions sur Internet, l'essentiel de mon temps est très ordinaire et contingent, et se passe ailleurs, comme on dit, “dans la vie réelle”, un nom imbécile, mes activités sur Internet sont aussi réelles que partout ailleurs, rédiger un billet c'est très concret, ça se fait avec un clavier, un terminal, de l'électricité et un certain nombre de doigts, avec les paumes et les poignets, avec une part non négligeable du reste de mon corps, notamment avec cet organe complexe très utile pour concevoir et réaliser une communication, le système nerveux. Dans je ne sais plus quel billet en cours ou récent je discute d'un propos de Descartes dans l'ouvrage cité – après vérification et comme il me semblait c'est dans le billet en cours précédemment mentionné (pour info, son titre est «335: Une brève Histoire du monde») – qui s'articule autour d'un lieu commun de son temps, «je pense, donc je suis»; comme expliqué dans ce billet, contrairement à cet autre lieu commun, de notre temps cette fois, son propos n'est pas la démonstration mais la réfutation de cette “preuve ontologique”. De l'autre bord, Descartes était probablement assez indifférent quant aux interprétations qu'on pouvait faire de ses écrits, ce que montre clairement le tout début de son Discours de la méthode, dont semble-t-il beaucoup de ses commentateurs n'ont pas perçu l'aspect humoristique, le lisant plutôt comme ironique voire comme sérieux. Comme le rappelait récemment Marc-Alain Ouaknin sur ma radio, France Culture, non pas dans sa propre émission mais en tant qu'invité de «L'art est la matière», dans un texte il y a toujours quatre niveaux de lecture, le niveau littéral (pshat dans la tradition hébraïque, littéral ou historique dans celle chrétienne), allusif (remez, allégorique dans la tradition chrétienne), allégorique (drash, tropologique dans la tradition chrétienne) et mystique ou secret (sod :, anagogique dans la tradition chrétienne). Les noms importent peu, importe le concept. On dira qu'il y a une lecture immédiate ou exotérique, référentielle, “ce qui est dit est vrai et univoque”, une lecture médiate ou ésotérique, indirectement référentielle, “ce qui est dit est faux et équivoque mais cache un sens vrai et univoque”, une lecture interprétative, on “cherche le sens”, et comme quand on cherche on trouve, nécessairement on en trouvera un mais on le trouvera en soi, non dans le texte, enfin une lecture exégétique, on cherche aussi un sens mais en dehors du texte. Cette notion dépasse largement le seul cadre des textes sacrés et de la tradition “judéo” (hébraïque puis juive, chrétienne, musulmane), de longue date les humains ont constaté cette particularité de leur mode de communication et certains ont su en tirer parti en bien comme en mal, pour unir ou pour diviser, un usage “divin” et un usage “diabolique” (en grec, le “diábolos”, “διάβολος”, est le “diviseur”, le “perturbateur”, “le corrupteur”, celui qui dénonce, qui calomnie, qui sème la discorde).

Descartes était de son temps et avait une bonne connaissance de la scolastique, donc n'ignorait rien de ces niveaux de lecture ni du fait que quoi qu'en puisse croire ou souhaiter l'auteur, nécessairement tout discours les contient car même s'ils ne sont pas voulus par l'auteur ils seront réalisés par le lecteur ou l'auditeur, j'ai ma propre manière, celle d'un linguiste, pour décrire le phénomène, mais là aussi peu importe, c'est ainsi, tout discours contient ces quatre lectures, en revanche ils ne sont pas consciemment accessibles à tout lecteur, certains en retiendront consciemment le seul sens littéral, certains le seul sens allusif, certains le seul sens allégorique, certains le seul sens mystique, quoique ce dernier cas soit plus rare, rapport au fait que rares sont les lecteurs qui accèdent au sens mystique sans en passer d'abord par une autre lecture; certains retiendront consciemment seulement deux lectures parmi les quatre, certains seulement trois, certains en retiendront les quatre.


Je publie ce billet de manière anticipée. Sans le certifier, quand j'y reviendrai ça sera je pense pour en venir à la question initiale, le temps, après une brève explication sur le motif de cette publication anticipée, un motif très contingent.


Quelques heures plus tard et aussi, le jour suivant. On se passera d'explication quant au motif de publication anticipée, il n'y en a pas de très défini, je l'ai fait, voilà tout. Il y a certes plusieurs causes contingentes mais pas réellement de motif... Une des causes fut la perception que je dérivais dans mon propos et ne le souhaitais pas mais ne pouvais, à cet instant, trouver moyen d'aller contre. Après quelques heures de repos, la nuit portant conseil j'ai trouvé ce moyen, très inélégant mais très efficace: j'interromps mes digressions et reviens à la discussion de base, le temps physique.


Notre représentation de l'univers est donc très dépendante du contexte et très illusoire. Non nécessairement fausse, sous l'aspect local, quelle qu'elle soit elle est assez exacte, mais du moins illusoire/ Pour reprendre l'exemple d'Ératosthène, il n'a pas besoin de connaître la position effective du Soleil, son mouvement effectif, le mouvement effectif sur elle-même et dans l'espace de la Terre, et tout ce qu'on a pu établir depuis par des moyens dont il ne pouvait disposer en son temps, pour faire ses calculs et mesurer la circonférence de la Terre et l'obliquité de l'écliptique, comme dit il avait probablement une assez juste conscience du caractère illusoire de la perception locale du mouvement apparent du Soleil et des autres astres, sans quoi il n'aurait pas tenté de faire ces mesures et réussi à les faire de manière assez exacte: pour calculer la circonférence de la Terre et l'obliquité de l'écliptique il faut avoir la conviction préalable que la Terre est une sphère flottant librement dans l'espace et qu'en toute hypothèse c'est elle qui tourne autour du Soleil et non lui autour d'elle, et qu'elle bascule sur son axe et non que le Soleil “se meut dans le ciel du sud au nord puis du nord au sud”. Il s'appuie donc sur la mesure du mouvement apparent du Soleil, ne se pose pas la question de sa distance à la Terre, et une fois établie la circonférence, peut mesurer l'angle de l'obliquité, tout cela en tenant compte du mouvement apparent du Soleil déterminé par la variation d'angle des ombres entre les solstices et les équinoxes pour l'obliquité, et cette variation d'angle au solstice d'été en deux lieux distants sur un même méridien pour la circonférence. Tous les philosophes – les philosophes sérieux, ceux qu'on nomme de nos jours les scientifiques – font comme Ératosthène, ils ne se posent pas la question de la réalité effective mais se contentent de celles objective et subjective pour réduire peu à peu, le temps passant, l'écart entre la représentation de la réalité et la réalité effective. L'individu est un miroir de la réalité, tout miroir produit une image inexacte de la réalité, a minima une inversion horizontale – la droite à gauche et la gauche à droite – ou verticale – le haut en bas et le bas en haut –, parfois même (souvent même?) les deux. Plus d'autres transformations. Entre autres choses, toute sensation transforme un signal continu en signal discontinu selon deux méthodes qui le plus souvent se combinent: chaque capteur reçoit les signaux de manière discontinue, et chaque sensation est opérée par deux capteurs distants. Comme l'exprimait assez poétiquement Gregory Bateson, «une unité d'information peut se définir comme une différence qui produit une autre différence. Une telle différence qui se déplace et subit des modifications successives dans un circuit constitue une idée élémentaire». Pour une rare fois je vais faire une citation qui ne sera pas entre guillemets et en italique mais présentera le texte entre deux barres horizontales dans sa forme originale.


L'épistémologie de la cybernétique

Ce qui est à la fois nouveau et surprenant, c'est qu'aujourd'hui nous avons des réponses (du moins partielles) à certaines de ces questions. Des progrès extraordinaires ont été réalisés, au cours de ces vingt-cinq dernières années, dans la connaissance de ce qu'est l'environnement, de ce qu'est un organisme et surtout de ce qu'est l'esprit. Ces progrès sont dus précisément à la cybernétique, à la théorie des systèmes, à la théorie de l'information et aux sciences connexes.
A l'ancienne question de savoir si l'esprit est immanent ou transcendant, nous pouvons désormais répondre avec une certitude considérable en faveur de l'immanence, et cela puisque cette réponse économise plus d'entités explicatives que ne le ferait l 'hypothèse de la transcendance: elle a, tout au moins, en sa faveur, le support négatif du «Rasoir d'Occam».
Pour ce qui est des arguments positifs, nous pouvons affirmer que tout système fondé d'événements et d'objets qui dispose d'une complexité de circuits causaux et d'une énergie relationnelle adéquate présente à coup sûr des caractéristiques «mentales». Il compare, c'est-à-dire qu'il est sensible et qu'il répond aux différences (ce qui s'ajoute au fait qu'il est affecté par les causes physiques ordinaires telles que l'impulsion et la force). Un tel système«traitera l'information» et sera inévitablement autocorrecteur, soit dans le sens d'un optimum homéostatique, soit dans celui de la maximisation de certaines variables.
Une unité d'information peut se définir comme une différence qui produit une autre différence. Une telle différence qui se déplace et subit des modifications successives dans un circuit constitue une idée élémentaire.
Mais ce qui, dans ce contexte, est encore plus révélateur, c'est qu'aucune partie de ce système intérieurement (inter) actif ne peut exercer un contrôle unilatéral sur le reste ou sur toute autre partie du système. Les caractéristiques «mentales» sont inhérentes ou immanentes à l'ensemble considéré comme totalité.


Le texte d'où vient cette citation, «La cybernétique du “soi”: une théorie de l'alcoolisme» (in Gregory Bateson, Vers une écologie de l'esprit, tome I, Le Seuil, Paris, 1977), ayant paru initialement en 1971, la mention «ces vingt-cinq dernières années» concerne donc la période 1945-1970. Pas sûr que mon lectorat sera de mon avis mais pour mon compte je trouve ce passage assez poétique parce que de mon point de vue la poésie n'est pas une forme mais une fonction: un discours qui ne s'embarrasse pas de détails et va au cœur des choses, une “littérature à l'os”, charge aux lectrices et lecteurs d'y ajouter la chair et la peau. J'apprécie notamment sa manière très brève et très elliptique d'expliquer la démarche scientifique: «Cette réponse économise plus d'entités explicatives que ne le ferait l 'hypothèse de la transcendance: elle a, tout au moins, en sa faveur, le support négatif du “Rasoir d'Occam”». S'il existe une “vérité scientifique”, du moins la science ne s'intéresse pas à la vérité en soi mais à l'exactitude, laquelle est atteinte plus vite et plus simplement en économisant les “entités explicatives”, pour reprendre le propos de Descartes, «conduire par ordre [s]es pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des plus composés; et supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres». Il n'est pas intéressant de savoir si le Soleil se meut dans le ciel, principalement dans un mouvement latitudinal, secondairement dans un mouvement longitudinal, mais nécessaire d'observer et de mesurer ces mouvements pour en déduire d'autres mouvements ou d'autres mesures, qui ne sont pas de première apparence. Il m'arrive de dire ou écrire que nous vivons dans l'illusion, ce qui n'est pas un jugement (une affaire de morale) mais un constat, celui de nos limites perceptives, il faut donc en tenir compte pour effectuer par calcul des mesures assez exactes à partir de données élémentaires assez inexactes en «supposant même de l'ordre entre [des objets] qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres»...


Allez, je publie, ça vous donnera matière à réflexion. Juste après j'aborderai enfin le sujet du temps physique – ou non, mais probablement oui.


Brièvement, quelques informations sur le travail d'auteur. Comme individu j'ai une particularité, je suis assez peu sensible à l'illusion. Non que comme vous et comme n'importe qui je ne sois dans l'illusion, structurellement je suis un humain assez générique, assez dans la moyenne, mes capacités perceptives et mémorielles sont donc au moins aussi limitées que les vôtres et en tout cas au moins aussi imparfaites, mais j'en tiens compte bien plus que la majorité des humains, ce qui a son importance quant à la représentation qu'on peut avoir de soi comme auteur. De manière plus large, toute action qu'on entreprend se déroule d'autre manière que comme on le prévoit, or souvent les humains tiennent compte de l'anticipation et du résultat mais non de la réalisation. Dire de moi que je suis “peu sensible à l'illusion” c'est précisément ça: je tiens compte de la réalisation effective.

Disant précédemment que je n'ai pas de capacités mémorielles singulières je faisais une affirmation à la fois vraie et fausse, vraie car mon principal organe de mémorisation, le système nerveux, est structurellement assez standard, fausse car j'en ai un usage assez peu standard. Il y a des causes diverses à cela, les une congénitales ou héréditaires, les autres contextuelles, en tout cas j'ai une capacité innée de mémorisation étendue et j'ai passé ma vie à l'entretenir et la perfectionner. De ce fait je ne me berce pas d'illusions sur la manière dont je réalise parce que je n'oublie pas l'écart entre la décision et la manière effective dont le projet se réalise. Un discours “achevé“ a la particularité de donner l'apparence d'une cohérence préalable, ce qui est impossible puisque quant on décide de le dire ou l'écrire il n'existe pas donc sa réalisation sera soumise aux mêmes errances et incertitudes que toute action. Une des raisons qui me motivent à publier certains billets en cours de réalisation et d'en garder trace dans le discours même est entre autres de mettre en évidence qu'il y a loin de la coupe aux lèvres, loin du projet à ses conditions effectives de réalisation. Comme auteur j'y tiens précisément pour tenter, sans trop y réussir cela dit, de faire percevoir à mon possible lectorat que la cohérence apparente d'un discours n'est qu'une apparence. Je ne sais pour vous, pour moi en tout cas, publier un discours ne vise pas à dire le vrai mais à proposer des pistes de réflexion, d'où mon soin à faire apparaître mes écrits pour ce qu'ils sont, des machins bricolés et très imparfaits, dont il faut tenir compte en tant que pistes de réflexion, sans plus. Ce n'est pas vrai de tous mes discours mais du moins ce l'est pour ce type de billets, quant je rédige des textes d'intervention (pamphlets, saynètes, plaisanteries...) ils sont plus serrés et plus consistants, moins bricolés et plus proches de la perfection, plus “achevés”. Disons, conçus pour susciter l'émotion plutôt que la réflexion.

Bref, je ne suis pas moins dans l'illusion que vous et que quiconque, mais je tiens à ce que vous et quiconque me lira en tienne compte, raison pourquoi je tiens à mettre en évidence les ficelles grossières reliant artificieusement les parties de mes discours. Ça ne retire rien à sa cohérence car comme dit tout discours censément achevé a sa cohérence, mais celle que produit chaque lecteur. Pour l'auteur il est dans ses actions comme le lecteur, d'une cohérence effective assez limitée dans l'ensemble...


Vous connaissez la notion de vide quantique? Comme son nom ne l'indique pas, le vide quantique n'est pas vide. Remarquez, le vide non quantique est aussi peu vide que le vide quantique. De longue date la science de la nature, c'est-à-dire en terme contemporain la physique (en grec “phusis”, “φύσις”, signifie quelque chose comme “nature”, et les “sciences naturelles” de mon enfance se réfèrent à la notion de “physique” qui figure chez Aristote, qui est dont proprement “la science de la nature”, par opposition à celle de la culture, la “politique” ou “science de la cité” ou “polis”, “ πολις”, plus exactement la “science du citoyen” du “polítês”, “πολίτης”, et par complémentarité à  la “science surnaturelle”, la “métaphysique”, qui n'est pas, comme dans la tradition chrétienne, la science de l'insubstantiel mais celle qui relie “par au-dessus” la physique et la politique – proprement la philosophie), se confronte à l'impossibilité conceptuelle du vide et à sa possibilité et même sa nécessité effective. D'un côté il y a le constat que tout se relie à tout donc qu'il n'y a pas de solution de continuité entre les diverses parties, les composantes, de l'univers; de l'autre bord l'univers est composé, composite, donc entre ses parties il y a discontinuité, “espace”, “vide”. Dans l'introduction de l'article de Wikipédia sur le vide quantique il y a une inexactitude liée à l'arrière-plan scientiste, “rationaliste”, et tendanciellement anhistorique, de cette encyclopédie:

«Alors que l'on croyait l'univers rempli d'éther, la physique du XXe siècle a abandonné cette notion pour un espace littéralement vide de matière. Les principes quantiques montrent que ce vide est en réalité rempli d'énergie qui engendre de nombreux effets : on parle alors d'énergie du vide».

La physique du XX° siècle n'a pas abandonné la notion mais le terme, l'“énergie du vide” est simplement la dénomination contemporaine, quantique, de ce qu'était l'éther en physique dans la conception de la mécanique classique, celle du XIX° siècle, celle de Lord Kelvin, ou dans les conceptions antérieures: «Les différents éthers considérés par les physiciens sont “des substances subtiles distinctes de la matière et permettant de fournir ou transmettre des effets entre les corps». L'“énergie du vide” est aussi une substance subtile – une substance paradoxale, une “substance insubstantielle” – distincte de la matière et permettant d'expliquer la “transmission d'effets“ – la transmission d'énergie – entre des corps distants. Si la nature – l'univers – ne connaît pas de paradoxes la science de l'univers en connaît puisque précisément elle se fixe comme but de déterminer “les lois de la nature”, ergo tout ce qui ne cadre pas avec ces lois va contre elle. Par nécessité une substance est substantielle, donc une substance subtile, insubstantielle, est paradoxale. La question est donc celle de “la nature de l'univers”: essentiellement matière ou essentiellement énergie?


Allez, je publie avant de proposer une réponse. Si par hasard vous lisez ce billet après la prochaine publication, je vous invite à chercher votre propre réponse avant de lire la mienne, qui prévisiblement sera aussi fausse que la vôtre, surtout si nos réponses convergent, ou si elles divergent...


Allez, je le dis, mais vous le savez déjà je suppose: il n'y a pas de réponse à cette question, ou plus exactement cette réponse ne peut être que provisoire, donc fausse. Ce qui ne l'empêche d'être temporairement exacte dans un contexte conceptuel donné. Le but général du philosophe ou du géomètre, bref, du physicien, est de toujours mieux comprendre l'univers. On peut dire que le philosophe est tendanciellement le physicien de l'énergie, de l'éther, tandis que le géomètre est tendanciellement le physicien de la matière, de la substance – la substance substantielle. À un instant donné l'une ou l'autre approche domine et de ce fait laisse de côté la résolution de l'aspect problématique. Dans une physique de géomètre l'univers est essentiellement vide et l'énergie un cas de la matière; dans une physique de philosophe l'univers est essentiellement plein et la matière un cas de l'énergie; dans une physique de physicien la question n'importe pas, l'univers est à la fois essentiellement plein et essentiellement vide et on peut supposer indifféremment que la matière et l'énergie sont un cas l'une de l'autre ou l'autre de l'une, ou deux aspects d'un même cas.

L'univers einsteinien ou univers relativiste n'a pas de forme déterminée, l'univers quantique n'a pas de structure déterminée; le temps relativiste est donc une dimension, ou un aspect de la dimension espace-temps, on peut dire que l'aspect “temps” de cette dimension est “énergie”, celui “espace” est “matière”, énergie et matière entre guillemet puisque ce sont deux aspects d'une même dimension, l'univers comme énergie est temporel en ce sens qu'il en est l'aspect mobile, “causal”, l'univers comme matière est spatial en ce sens qu'il en détermine la géométrie, la forme et l'étendue; le temps quantique est donc un objet peu déterminable et en outre non linéaire, “non dimensionnel”, certaines hypothèses quantiques supposent une certaine réversibilité du temps, une possible “remontée dans le passé”, en partie confirmée empiriquement – dans certaines conditions certaines particules semblent “aller dans le passé”, mais comme le temps quantique est peu déterminé ça n'a pas grande signification de parler en ce contexte de passé, présent et futur. Je conseille la lecture de l'article de Wikipédia sur le temps, avec toujours cette limite cependant de l'orientation assez scientiste de l'encyclopédie – à considérer que malgré son nom le scientisme n'est pas très scientifique dans son approche de la réalité. Pour exemple ce passage:

«En fait, selon les connaissances actuelles de la mécanique quantique, les rayons lumineux absorbables par un type d’atome ont toujours la même fréquence, pour une excitation (transition) donnée. Et selon les connaissances actuelles de la relativité générale, cette mesure sera toujours la même pour un observateur immobile par rapport aux atomes en question.
Avant la décision de la Conférence générale des poids et mesures de 1967 de définir l’unité de temps en fonction d’un phénomène atomique, le temps a longtemps été défini en fonction de phénomènes d’origine astronomique. La seconde est issue historiquement du jour (qui est lié à la période de révolution de la Terre sur elle-même), qui est subdivisé en heures, minutes et secondes. Le coefficient 9 192 631 770 de la définition ci-dessus vise à donner à la seconde sa valeur historique.

Mais en fait, la science moderne a montré que les phénomènes astronomiques tels que la durée de rotation de la Terre sur elle-même, ou la révolution de la Terre autour du Soleil, n’ont pas une durée constante, et ne sont donc pas un bon support pour définir une unité de temps. Par exemple, la rotation de la Terre sur elle-même ralentit (très lentement), en particulier à cause des effets de marée de la Lune. De même, l’orbite de la Terre autour du Soleil se modifie avec le temps, car le Soleil a tendance à perdre de la masse de par son rayonnement de surface (égalisé par les réactions nucléaires qui ont lieu en son centre) à la raison de 4,3 millions de tonnes/s ; auquel se rajoute son « vent solaire » d’environ 1 million de tonnes/s.
La réalisation de la première horloge atomique en 1947 a permis d’adopter par la suite la définition de la seconde connue, et qui est plus rigoureuse, d’un point de vue scientifique, que la définition historique basée sur des phénomènes astronomiques».

Pour information, l'astronomie est une science, donc l'étude des phénomènes astronomiques locaux, ceux qui ont lieu dans le cadre du système solaire, est très scientifique et très rigoureuse, de ce fait la seconde astronomique locale, qui se définit comme la 86.400ème partie du jour, est tout aussi rigoureuse que la seconde atomique dans le contexte de l'astronomie locale. D'ailleurs, la rigueur de la seconde atomique est aussi relative que celle de la seconde astronomique puisque, comme le mentionne l'article, dans le cadre de la relativité générale la «mesure [de la fréquence atomique] sera toujours la même pour un observateur immobile par rapport aux atomes en question», mais dans le même cadre si l'observateur n'est pas immobile ou si les atomes ne le sont pas, ou s'ils sont dans des référentiels différents, cette fréquence ne sera pas toujours la même, ce qui constitue d'ailleurs un problème pour le Global Positioning System, le GPS, le problème du décalage de l'horloge du récepteur, résolu par la synchronisation GPS. Soit dit en passant, c'est en partant d'une question de synchronisation entre horloges soulevé dans le cadre de son travail au bureau des brevets de Berne qu'il finalisa ses réflexions sur la question de la relativité (en ce cas de la relativité restreinte de 1905 – voir l'anecdote sur cette page). Sans dire, comme le précise cette page, que c'en est la cause principale, du moins c'en fut la clé.

Ma critique de la tendance scientiste de Wikipédia ne vise pas à disqualifier l'encyclopédie mais à mettre en évidence qu'on a facilement tendance, dans les domaines scientifiques, à une décontextualisation qui fait apparaître une “vérité scientifique” circonstancielle à la fois comme absolue et comme rendant caduc le savoir antérieur. La seconde atomique ou la seconde astronomique non locale sont plus précises que la seconde astronomique locale mais dans un contexte local et selon ce qu'on veut faire la “seconde géographique”, terrestre, peut être plus rigoureuse que celle atomique; de même, la notion de gravité de la physique einsteinienne est plus exacte et plus universelle que la gravité newtonienne mais si on envisage un voyage interplanétaire il sera plus pertinent de prendre en compte les principes newtoniens – même question que pour les mesures d'Ératosthène: l'explication newtonienne de la gravité est moins valide que celle einsteinienne mais suffisante, et son astronomie d'usage plus simple dans le cadre limité du système solaire. Comme il m'est arrivé de l'écrire, l'astronomie ptoléméenne est très suffisante pour une personne qui ne voyagera jamais à plus de mille kilomètres de son lieu de résidence, même si ses concepts sont faux et sa représentation de l'univers très inexacte, les calculs de Ptolémée sont très efficaces si on limite ses déplacements au pourtour méditerranéen et un peu au-delà, et très rigoureux dans ce contexte limité. D'ailleurs, et comme précisé dans l'article, l'auteur «Nicolas Halma considère en outre que son choix du système des épicycles plutôt que de celui des excentriques résulte davantage d’une volonté de rendre les calculs plus commodes, que d’une foi dans la réalité matérielle du système». On est dans un cas similaire à celui d'Ératosthène: peu importe pour Ptolémée que ses présupposés soient exacts pour autant qu'ils soient pertinents dans un certain cadre.

(à suivre, peut-être...)

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