Rien n’allait dans Don’t Look Up. Cette comédie passait en tous points à côté de la réalité. La métaphore de la météorite permettait de découpler le désastre climatique de ses causes autant que de ses conséquences présentes qui ne se réduisent pas au réchauffement : aucune critique du capitalisme, aucune évocation de la pollution, des spoliations ni de l’oppression. A croire que, sauf cette malheureuse météorite, tout allait bien. Aussi la satire visait-elle exclusivement les hurluberlus du Parti Républicain (Meryl Streep en caricature de Donald Trump) et les médias façon Fox News. Face à eux, les scientifiques sont seuls conscients, et la solution qu’ils proposent à un mal qui n’est lié en rien à l’ordre du monde est technologique. Quant au peuple, il ne réagit que par le pillage et l’émeute. Enfin, par un renversement caractéristique des films américains, les scientifiques eux-mêmes acceptent, face à la mort, d’être réconfortés par la spiritualité de l’évangéliste.
S’il est une leçon à tirer du film, c’est celle de l’état d’esprit des libéraux face au désastre qui vient : incapacité de l’analyser dans ses causes, déni de ses conséquences présentes, fantasme de la solution technologique, circonscription des responsabilités à la seule extrême-droite, mépris du peuple, défaitisme et, à la dernière heure, retour à Dieu. J’ai écrit ailleurs que le succès du film résidait dans la bonne conscience morbide qu’il offrait au spectateur hypnotisé par l’esthétisation de la fin du monde.
Sabotage prend l’exact contre-pied de Don’t Look Up. Loin de la métaphore déréalisante de la météorite, il prend le désastre climatique par ses conséquences concrètes : maladies causées par l’industrie chimique, dépossession des habitants par les entreprises pétrolières, destruction des territoires des populations indigènes… Ainsi le film ne se concentre-t-il pas sur l’apocalypse à venir mais sur les maux actuels. Il ne tape pas sur le symptôme – le réchauffement – mais sur sa cause : l’extractivisme. Qui a lu Extractivisme d'Anna Bednik sait qu’il n’est même pas nécessaire d’invoquer ses fins, mais seulement ses moyens, pour le condamner.
De cette focalisation sur les conséquences présentes s’ensuit une démocratisation de la conscience du désastre : il n’est pas besoin d’être scientifique pour savoir, quand on en souffre dans sa chair, que le système actuel est destructeur. Conscience particulièrement aigue dans la jeunesse, ce qui n’apparaît jamais dans Don’t Look Up ; le débat qui traverse Sabotage est, dans la jeunesse, celui des moyens de la lutte. Film de lutte, Sabotage est conséquemment un film d’espoir. Mais on n’y trouve pas un optimisme qui serait le symétrique inversé de l’apocalyptisme de Don’t Look Up. Les saboteurs sont une minorité, les conséquences de leur action sont limitées. Mais elles sont réelles, et le courage des personnages impressionne, il suscite aussi bien l’empathie que le désir de les rejoindre. Quand Don’t Look Up n’offrait que la jouissance morbide d’une résignation méprisante, Sabotage vise au contraire, pour citer une phrase un peu usée de Gramsci, à compenser le pessimisme de la raison par l’optimisme de la volonté.

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