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Les trains de nuit : une mobilité d'avenir

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Billet de blog 17 mars 2025

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Les trains de nuit : une mobilité d'avenir

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Le train de nuit : moins coûteux que la voiture électrique pour éviter du CO2

Relancer un réseau de 20 lignes de trains de nuit permettra de transporter 5,6 millions de voyageurs et d’économiser 300 000 tonnes de gaz à effet de serre par an. Le coût est moindre pour la société que de réduire d’autant les émissions en remplaçant des voitures thermiques par des voitures électriques. Alors, les trains de nuit deviendront-ils bientôt une priorité ?

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Les trains de nuit : une mobilité d'avenir

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le train de nuit a souvent été décrié comme « non rentable », voire comme « un gouffre financier ». Ces affirmations oublient que la plupart des mobilités ont besoin de financements publics. Dans l’effort pour réhabiliter le train de nuit, il convient donc de comparer les coûts pour la société (besoins de subventions et surcoûts pour l’usager) entre les mobilités. Cela peut amener à quelques surprises.

L’État utilise une méthodologie pour comparer les coûts, appelés « coûts d’abattement ». Et les économistes Christian de Perthuis et Christian Gollier proposent de donner la priorité aux actions pour le climat les plus économiques, en terme d'euro investi par tonne de CO2 évitées (€/tCO2).1

Le président de la République a ainsi déclaré : « Ce qui est le plus rentable à l'euro investi par tonne de CO2, beaucoup plus que les infrastructures et que tout ce qu’on peut faire par ailleurs, c'est de réussir à électrifier le parc de véhicules particuliers. Toutes les études nous le montrent et l’ont confirmé. » [voir vidéo min 2’30]. Or les études oublient souvent certaines solutions alternatives. Le train de nuit – qui circule sur le réseau existant, sans besoin de nouvelles infrastructures coûteuses – fait tout particulièrement partie de ces « solutions oubliées » à remettre en lumière.

Nous proposons donc de comparer :

1) le passage de la voiture thermique à la voiture électrique, considéré par l’État comme la solution la moins onéreuse.

2) le réseau de trains de nuit proposé par le rapport du Gouvernement sur les « Trains d’Équilibre du Territoire » (Rapport TET de mai 2021),

L’enjeu est d’importance, puisque les émissions de CO2 liées aux transports représentent toujours la plus grosse part des émissions de CO2 en France (33 %). Il est donc urgent de cesser de négliger les solutions vertueuses.

Les trains de nuit : un gisement d’économies de 300 000 tonnes de CO2 par an

Le rapport TET a montré la pertinence de relancer un réseau de trains de nuit de 20 lignes à horizon 2030 (voir carte ci-dessous). Ce réseau transporterait 5,6 millions de voyageurs annuels. Le report de la voiture ou de l’avion vers le train de nuit permet de diminuer de 95% les émissions de CO2. La réduction est estimée entre 200 000 et 300 000 tCO2/an.

Illustration 1
Réseau de trains de nuit proposé par le rapport gouvernemental TET à l'horizon 2030, lignes intérieures uniquement, saison hiver (le réseau comprend également des liaisons internationales, non dessinées sur cette carte)

Les premières actions pour faire revivre les trains de nuit ont été lancées avec du matériel ancien, datant de 1980. Pourtant elles ont obtenu un effet rapide : la fréquentation des trains de nuit SNCF est passé de 350 000 voyageurs en 2019 à 700 000 en 2022, pour ensuite s’approcher d’un million de voyageurs en 2024.

Les prévisions de fréquentation du rapport TET ont été surpassées dès 2022 : le taux d’occupation a déjà atteint 70%, alors que le rapport TET tablait sur un taux de 65% en 2030.

Les sondages montrent que l’envie de train de nuit concerne un large public : Seuls 25 % des voyageurs préfèrent vraiment l’avion. 69% des français souhaitent voyager en train de nuit. 80 % estiment que voyager en dormant est un gain de temps.

A partir de la hausse de la fréquentation et des attentes des citoyens, la fourchette haute de réduction de 300 000 tCO2/an apparaît réaliste. C’est d’ailleurs ce chiffre de 300 000 tCO2/an qui est retenu dans le rapport TET (p. 86) pour la valorisation économique des réductions d’émission de CO2.

Le rapport TET oublie plusieurs effets bénéfiques permettant des réductions de CO2 additionnelles :

1) 51 % des voyageurs de l’aérien volent pour motif touristique. Lors du choix de destination pour les vacances, l’existence des offres en train de nuit peut aider certains touristes à délaisser des destinations aériennes plus lointaines pour choisir des destinations plus proches en train de nuit. Ainsi, le train de nuit réduit les distances pour le tourisme.

2) Dans les territoires excentrés, l’offre de train de nuit permet aux collectivités locales de réduire leur dépendance aux compagnies aériennes low-cost, gourmandes en subventions publiques. Ces subventions servent à casser les prix pour induire artificiellement du trafic longue distance, fortement générateur de CO2.

3) L’arrivée du train de nuit permet aux citoyens de se passer de la voiture pour les longs trajets, et donc d’acheter une voiture plus petite, suffisante pour le quotidien. Cela peut inciter à passer d’un véhicule thermique à un véhicule électrique propulsé par une petite batterie qui, tout au long de son cycle de vie, aura des émissions de CO2 significativement inférieures aux automobiles plus lourdes, qu’elles soient électriques ou thermiques.

Les trains de nuit réduisent les émissions pour 200€/tCO2 évitée

Le rapport TET a montré que lancer davantage de trains de nuit permettra des synergies, des économies d’échelles et réduira les coûts. D'après le rapport du Conseil d’Orientation des Infrastructures (COI) de mars 2022 (page 100) « il paraît possible pour l’État, de proposer 7 fois plus de dessertes de nuit qu’aujourd’hui pour un soutien financier du même ordre de grandeur voire inférieur (aujourd’hui, le coût pour l’État pour les dessertes en place, en nombre beaucoup plus réduit, est de près de 60M€/an [60 millions d’euros par an]) ». Cela correspond à 200€/tCO2.

Le besoin de subvention irait effectivement en décroissant : 84M€/an pour une réseau avec 150 voitures de nuit en circulation, 80M€/an pour 300 voitures (rapport annexe du COI page 33), et, dans la version préliminaire (non officielle2) du rapport TET, 26M€/an pour 600 voitures, soit 90€/tCO2 évitée.

Conséquence positive : le coût marginal de rajouter des nouvelles dessertes est nul ou négatif. Rajouter des trains de nuit réduit les besoins de subventions, à condition que les trains de nuit aient une masse critique suffisante et qu'ils disposent de créneaux fiables pour circuler sur le réseau ferré.

Le COI a confirmé qu’il s’agit d’« un projet pertinent en termes socio-économiques et cohérent avec les objectifs du gouvernement en matière d'aménagement du territoire et de verdissement des mobilités ».

Le train de nuit n'induit pas de surcoût pour l’usager

Le coût pour la société inclut le besoin de subventions et le surcoût pour l’usager. Le train de nuit apporte l’avantage de ne pas induire de surcoût pour l’usager :

* D’après l’ART le prix moyen du billet de train de nuit est de 8,01€TTC/100km (7,28€HT/100km). Il est moins onéreux que le TGV, dont le prix moyen atteint 10,21€TTC/100km (9,28€HT/100km).

* Pour comparaison, selon l'Observatoire "TCO Cost" d'Arval Mobility, le PRK (Prix de Revient Kilométrique), incluant aussi l’entretien et l'acquisition d'un véhicule particulier, est de 37,1€TTC/100km (l’administration fiscale utilise, quant à elle, un PRK variant de 37 à 47€TTC/100km selon le type de véhicule). Un trajet à 3 personnes coûte donc 12,37€TTC/100km/passager. Un trajet à 4 personnes en voiture coûte 9,27€TTC/100km/passager, soit plus que le train de nuit.

* Le bus est légèrement moins onéreux à 6,93€TTC/100km (6,3€HT/100km), avec toutefois une vitesse faible (75 km/h en moyenne pour les trajets longs imposant des pauses), des tarifs non encore stabilisés et en augmentation (+8 % en 2023) et un confort médiocre pour parcourir des distances de 600 à 1000 km, ce qui ne le rend pas accessible à tous les usagers.

* Le prix moyen du billet de train de nuit est de 62,39€TTC ou 56,71€HT. (En 2022, la recette commerciale des trains de nuit SNCF est 39,7M€HT d'après le bilan ferroviaire de l'ART, pour 700 000 voyageurs).

* En choisissant l’avion quand cela est possible (les villes moyennes sont moins bien desservies), l’usager paye en moyenne entre 50€ et 80€ l’aller. En ajoutant les coûts d’accès aux aéroports et les éventuels frais de bagages, le trajet en avion peut revenir plus cher. La tendance est de supprimer les niches fiscales favorisant l’aérien. L'UE tente ainsi de supprimer la niche fiscale sur le kérosène. En France, la Taxe de Solidarité sur les Billets d’Avion – TSBA – triple en 2025. L’aérien étant la mobilité la plus énergivore, il est vulnérable aussi face aux hausses attendues des prix de l’énergie. En comparaison, le train de nuit, peu énergivore, est un outil bien adapté pour limiter la hausse des prix de la mobilité longue distance pour l’usager.

Changer les motorisations des véhicules individuels coûte entre 282€ et 423€/tCO2 évitée

L’électrification du parc automobile représente un investissement massif pour l’État, qui subventionne à la fois l’achat de véhicules neufs, l’installation de bornes de recharges et l’adaptation du système électrique du pays.

Un rapport de France Stratégie de juin 2021 (p.39, voir graphique ci-dessous) estime le coût d’abattement de la tonne de CO2 lors du remplacement de la voiture thermique par la voiture électrique : les différentiels de coût à l’achat du véhicule, de coût à l’usage et de coût des infrastructures de recharge sont pris en compte, ainsi que l’ensemble des coûts pour la collectivité du remplacement d’une motorisation par une autre. À l’horizon 2030, le passage du véhicule à moteur thermique au véhicule électrique induit un surcoût évalué entre 282€ et 423€/tCO2 évitée. Pour comparer le train de nuit et la voiture sur les longues distances, le chiffre haut est plus adapté : il correspond aux véhicules à grosses autonomies, mieux adaptés pour parcourir des distances de 600 à 1000 km.

Ces chiffres montrent aussi la pertinence de subventionner plutôt les véhicules légers, voire très légers. Ces véhicules légers, moins adaptés pour les longues distances, sont par contre complémentaires du train de nuit. Ils contribueront à avancer vers l'intermodalité véhicules légers + train.

Illustration 2
Coût en € de la tonne de CO2 évitée en fonction du type de véhicule électrique (Berline/SUV électrique avec 400 km d’autonomie ou Citadine électrique avec 200km d’autonomie), comparé au réseau à 600 voitures de trains de nuit, pour l’horizon 2030

Relancer un réseau de trains de nuit d’une vingtaine de lignes permet donc de réduire les émissions de CO2 pour un coût moins élevé qu’en changeant les voitures thermiques par des voitures électriques.

Les trains de nuit génèrent un bénéfice net via les externalités positives

L’impact économique de l’augmentation de la température mondiale a jusqu’à présent été largement sous-estimé. L’accroissement marqué des événements extrêmes (vagues de chaleur, incendies, très fortes précipitations, inondations…) a des conséquences très coûteuses. Les richesses perdues ont été récemment réévaluées conduisant à un coût mondial du carbone à 1000€/tCO2. L’État définit la Valeur de l’Action pour le Climat à 150€/tCO2 en 2025, 250€/tCO2 en 2030 et 500€/tCO2 en 2040. Ainsi, le niveau de subvention publique pour réaliser un réseau d’une vingtaine de lignes de trains de nuit (réduisant les émissions de CO2 avec un coût moyen de 200€/tCO2) se transforme en bénéfice pour la société avant 2030, date de mise en service du futur matériel roulant.

Le train de nuit apporte des bénéfices additionnels, au-delà du CO2 évité

Le train de nuit produit d’autres externalités positives notamment par rapport à la voiture : il réduit les coûts de pollution de l’air, de congestion et d’insécurité routière et pallie l’encombrement de l’espace public. Ces coûts concernent tous les types de voitures, électriques ou thermiques.

Certaines de ces externalités sont évaluées par le rapport TET (page 86) :

* pollution locale évitée: gain de +4,2M€/an,

* bruit : +1,7M€/an,

* insécurité routière : +5,4M€/an.

* les gains de temps sont évalué à +149M€/an, dans une version préliminaire du rapport TET (p112). Ce calcul n’a visiblement pas fait consensus puisque ce chiffre a disparu dans la version officielle du rapport TET. Le temps de voyage perçu pour un voyage en dormant y est évalué à 2 heures, ce qui correspond effectivement au ressenti de nombreux voyageurs.

* A ce gain, il convient d’ajouter la réduction de la congestion des réseaux routiers, qui a un coût économique important. Dans sa note de 2019 (p. 311), la Commission européenne estime le coût de la congestion du transport routier pour l’ensemble des 27 pays membres de l’UE à 227,9 milliards d’euros par an. Le report des trajets effectués en véhicule (thermique ou électrique) vers le train réduit la congestion automobile.

* Le tourisme génère également un gain : le COI rapporte que « la valeur socio-économique créée par ces nouvelles dessertes est estimée entre 30 et 60M€/an (impact carbone et tourisme) ».

Réaliser uniquement une fraction du réseau de trains de nuit coûte plus cher

En 2025, après plusieurs années d’attente, l’État annonce enfin la construction de trains de nuit neufs, mais en divisant par 3 l’ambition. Alors que le rapport TET a montré le besoin de 600 voitures-couchettes, la commande ferme ne porte pour l’instant que sur 180 voitures.

Or réduire l’ambition augmente les coûts. Le rapport annexe du COI 2023 (page 32) a ainsi alerté que « pour les trains de nuit, l’étude remise en 2021 montre que la poursuite de l’exploitation d’un nombre limité de lignes ne permet pas de perspective dans la durée. »

L’État finance déjà les lignes de nuit d’aménagement du territoire vers les territoires de montagne (Latour de Carol, Rodez, Aurillac, Briançon), qui sont plus onéreuses puisque les bassins de population (et donc la fréquentation) sont plus faibles. L’extension à 600 voitures permettra d’inclure des lignes transversales et des lignes internationales qui, d’après le rapport TET, améliorent fortement l’équilibre économique. En rétrécissant le réseau des trains de nuit, l’État choisit la solution la plus onéreuse.

En bref

Moins coûteux que le passage du véhicule thermique à l’électrique, le train de nuit ne réclame pas de nouvelles infrastructures coûteuses : il utilise les voies ferrées existantes. Cette solution de décarbonation est ainsi relativement rapide à mettre sur les rails. Le rapport gouvernemental TET 2021 a montré la pertinence d’un investissement de 600 voitures pour 20 lignes de nuit. 5 lignes ont déjà été relancées suscitant un engouement indéniable auprès des voyageurs et une forte augmentation de la fréquentation. Le train de nuit concilie à la fois « fin de mois » avec un billet à partir de 29€ pour traverser la France et « fin du monde » avec une réduction des émissions de CO2 de 95 %. Le train de nuit apporte en plus un bénéfice net en termes d’externalités positives. 51 000 signataires de la pétition demandent à la France de s’équiper de 600 à 1200 voitures couchette. Alors un réseau complet de trains de nuit sera-t-il sur les rails pour la décennie 2030 ?

___________Notes__________

1 Ce critère d’efficacité économique a été critiqué entres autres pour sa “logique court-termiste”. Des précautions sont donc à prendre, et les estimations sont faites ici non pas sur un horizon de temps court mais sur une projection à 2030-2035. Prendre ce même horizon pour le passage au véhicule électrique permet de tenir compte de l’inertie de transformation du secteur des transports. 

2 Il faut savoir que les rapports du ministère des Transports se voient parfois "raccourcis" par les arbitrages interministériels, où le ministère des Finance joue le rôle d'arbitre pour limiter les dépenses. Par exemple le rapport Philizot sur les petites lignes, annoncé comme "très fouillé, ligne par ligne" et dont il n'est resté que 24 pages très générales. Comme source d'infos, il est intéressant de regarder la version du ministère des Transports, fuitée dans la presse, même si elle n'est pas publiée officiellement. D'où un appel : qui fuitera le rapport Philizot ?

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