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Billet de blog 10 décembre 2025

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Décider : contre la fausse responsabilité et la vraie dérobade

Mardi 9 décembre, le PS a voté pour un budget qu'il aurait dû combattre ; EELV s'est abstenu sur un texte qu'il déclarait condamnable. Double défaite d'une gauche sans horizon.

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Mardi 9 décembre, l'Assemblée nationale a adopté le projet de loi de financement de la Sécurité sociale par 247 voix contre 234. Le Parti socialiste a voté pour et le groupe écologiste s'est majoritairement abstenu. Les uns ont célébré leur « sens des responsabilités », les autres, leur « vigilance critique » dans un discours au moins aussi embarrassé qu'embarrassant. Les deux ont manqué l'essentiel : ce vote ne posait pas la question de savoir s'il fallait être raisonnable ou intransigeant, mais celle, autrement décisive, de ce qu'est un compromis et de ce qu'on en fait.

Le compromis comme alibi (PS)

Un compromis n'est ni bon ni mauvais en soi. Il n'est qu'un moment — tactique, provisoire — dans la construction d'un rapport de force. Sa valeur se mesure à ce qu'il permet d'arracher au regard d'un horizon stratégique et politique qui le dépasse. Un bon compromis est une étape vers quelque chose ; une compromission est un compromis qui ne mène nulle part, sinon à lui-même.

C'est ici que le PS révèle sa nature. Il ne trahit pas : il arrange, il combine, il compromet et se compromet. N'ayant plus de programme, il ne dispose plus d'aucun critère pour évaluer ce qu'il prétend avoir obtenu. Dès lors tout compromis lui convient, puisqu'aucun ne saurait être mesuré à l'aune d'une ambition absente. Il a donc fait du compromis non pas un moyen, mais une fin ; non pas une tactique, mais une éthique. Et c'est pourquoi il peut appeler « victoire » ce qui n'est qu'un répit, « responsabilité » ce qui relève de l'accommodement, « peser » ce qui revient à céder. Privé d'une base sociale active et militante, il a perdu tout sens du rapport de force.

Car qu'a-t-il arraché, ce mardi ? Un simple décalage de l'application de la réforme des retraites jusqu'en 2028 qui entérine le principe même des 64 ans, c'est-à-dire l'essentiel de ce contre quoi des millions de travailleurs se sont mobilisés. L'abandon du doublement des franchises médicales — mesure que le gouvernement savait intenable. Un relèvement de l'Ondam à 3 % présenté comme une victoire, alors que la Fédération hospitalière de France réclamait ce taux comme un minimum vital. Mais surtout, le PS a voté ce que la CGT qualifiait à juste titre de budget « mortifère » : 6 milliards de coupes dans les hôpitaux, taxation des mutuelles répercutée sur les familles, limitation des arrêts maladie, déremboursements y compris pour les ALD, et un article 27 donnant aux ARS le pouvoir de sanctionner financièrement les établissements qui refuseraient de s'asphyxier. Voilà ce que le PS nomme « compromis », alors qu'il vient de ratifier l'austérité hospitalière en échange d'un sursis calendaire sur les retraites.

Le procès sans verdict (EELV)

Les écologistes, eux, ont choisi l'abstention, probablement persuadés d'exprimer ainsi une position à mi-chemin de LFI et du PS pour sauver leur primaire. Mais le réel ne s'abstient pas. Un budget existe ou n'existe pas, et c'est pourquoi la logique binaire du vote n'est pas une convention, mais l'expression de cette nécessité. Si le texte est inacceptable, il faut voter contre et en assumer les conséquences. Si c'est un compromis véritable, même insatisfaisant, il faut le voter puisque par définition aucun compromis n'est jamais pleinement satisfaisant.

Il faut ici rappeler une vérité tactique que tout négociateur connaît même si le PS feint de l'ignorer : un pouvoir met toujours en avant des mesures délibérément excessives pour pouvoir céder sur elles et donner à ses adversaires l'illusion d'une victoire. Le retrait d'une menace n'est donc pas un gain, mais le retour au point de départ. Or le PS confond les deux et prend pour une conquête ce qui n'est que l'abandon d'une provocation. Pire, en votant ce budget, il ne se contente pas d'accepter un mauvais accord : il le légitime, il en devient le co-auteur. Et offre au gouvernement une caution de gauche.

EELV, de son côté, perçoit sans doute la supercherie mais refuse d'en tirer les conséquences. Cyrielle Chatelain voit bien que le compte n'y est pas, que les reculs arrachés ne compensent pas les coups portés. Elle dénonce l'insuffisance du texte, pointe ses manques, déplore ses renoncements. Mais elle et son groupe s'arrêtent au seuil de la conclusion qui s'impose. Ayant tout dit du mal, ils refusent de voter contre ; ayant désigné la blessure, ils épargnent celui qui porte les coups. Étrange posture que celle qui consiste à dire : « Ce budget est mauvais, nous le savons, nous le disons, mais nous ne ferons rien pour l'empêcher. » C'est vouloir la lucidité sans le courage, l'analyse sans l'acte, et donc laisser à d'autres, à LFI en l'occurrence, la charge de l'opposition réelle. Les électeurs de gauche s'en souviendront.

En refusant de trancher, les écologistes n'ont donc pas exprimé une position intermédiaire ; ils ont déserté le moment politique. Ils ont délégué aux autres le soin de décider à leur place, en se disant probablement qu'en étant « ni pour ni contre », ils trouveraient « moyen de moyenner », comme on dit, une désormais improbable primaire. Mais il faut être clair sur un point : l'abstention d'un parlementaire sur un budget qu'il déclare lui-même condamnable n'a rien à voir avec celle d'un citoyen qui s'abstient faute de candidat satisfaisant. Le citoyen exprime un désarroi ; le parlementaire, lui, exerce un mandat et il a été élu pour trancher, pour engager sa responsabilité, pour dire justement oui ou non au nom de ceux qui l'ont mandaté. S'abstenir sur un texte budgétaire que l'on juge néfaste, c'est refuser d'exercer le pouvoir qu'on a sollicité. C'est vouloir le bénéfice moral du refus sans en assumer le coût politique. Or en politique parlementaire, ne pas choisir, c'est encore choisir ; c'est au moins choisir de laisser passer ce qu'on prétend combattre. L'abstention n'est donc pas ici une position, mais une démission. Ce n'est pas de la prudence ; c'est la manifestation d'une impuissance volontaire, érigée en stratégie.

Deux impasses, une même faillite

Car enfin, ce que nous attendons d'une force politique, ce n'est pas qu'elle sache négocier habilement avec l'adversaire. Macron et Lecornu ne sont pas des patrons auxquels il s'agirait d'arracher un plan social moins calamiteux. Ce que nous demandons à la gauche, c'est qu'elle sache, le moment venu, leur succéder — c'est-à-dire prendre le pouvoir pour transformer réellement nos vies. Or c'est très exactement à cette possibilité que EELV et le PS ont renoncé.

D'un côté donc, ceux qui ne veulent pas décider ; de l'autre, ceux qui décident sans savoir au nom de quoi. Les premiers, EELV, préservent leur trajectoire politique pour les présidentielles en s'extrayant du moment politique. Les seconds, le PS, font évidemment de même en vidant leur positionnement politique de toute substance. Ce qui disparaît dans les deux cas, c'est l'idée même qu'un compromis puisse être évalué, qu'il existe un horizon à l'aune duquel mesurer ce qu'on a obtenu et ce qu'on a concédé. Or sans cet horizon, il ne reste que des postures : la réserve impuissante ou la responsabilité creuse. Ni l'une ni l'autre ne constituent une politique.

Ainsi se dessine la symétrie des défaites. L'abstention refuse de décider ; le vote socialiste décide de rien pour mieux se compromettre. Là où l'une suspend le jugement, l'autre le simule. EELV se dérobe au choix ; le PS choisit sans savoir au nom de quoi, et donc choisit le compromis pour le compromis. Bref, sans horizon, le compromis n'est qu'une capitulation qui s'ignore. Sans décision, la réserve critique n'est qu'un alibi. Ni l'une ni l'autre ne constituent une politique.

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