Face au mépris…
Le premier signe du mépris est chez Macron dans les mots qui sont tus. Ce n’est pas seulement une stratégie de communication qui vise à masquer la réalité. C’est surtout une implacable logique du déni qui procède de cette violence inouïe de ceux qui s’identifient à la vérité. Non un discours de vérité, mais une vérité absolue, de droit régalien, comme on dit de droit divin.
Lors de ses vœux du 31 décembre 2018 Macron avait refoulé le jaune : aucune mention des Gilets jaunes alors que la révolte populaire brûlait aux portes de l’Elysée. Un an plus tard, un autre mot est tu dans les vœux de cécité du président : la grève. La grève la plus longue et la plus dure depuis 1968 est passée sous silence. Le Roi Macron, hautain et silencieux depuis le 5 décembre, persiste dans le grand refoulement. Son discours assume et signe un mépris honteux pour des centaines de milliers de grévistes.
La seconde caractéristique du mépris qui cimente le discours macronien est l’euphémisme. En 2018 un mot avait été substitué à la nomination des Gilets jaunes : la colère. A défaut de « révolte » ou « soulèvement populaire », le mot avait au moins le mérite de caractériser ce dont procédait un mouvement inédit. En 2019 Macron progresse dans sa rhétorique de l’euphémisation : deux couples de mots remplacent la grève générale et reconductible et le mouvement social : « craintes et oppositions », « les peurs, les angoisses ». Le psychologisme a ici trois fonctions : feindre une compréhension ou une vague intropathie (« je vous ai entendus »), ramener la puissante contestation sociale à de simples affects, et enfin dénier aux citoyens et aux opposants politiques une faculté d’analyse de la réforme imposée. L’euphémisme est chez Macron une négation de l’Autre, du social, du collectif.
Négation assumée et redoublée par ceci : chaque couple de substantifs est suivi, dans le discours des vœux, par un propos de délégitimation des sentiments attribués aux citoyens. Aux « craintes », il oppose immédiatement la nécessité du changement. Aux « peurs et angoisses » que le président dit « entendre », il ajoute de suite qu’il « entend aussi beaucoup de mensonges et de manipulations ».
Nous en déduisons une troisième caractéristique du discours de Macron : la projection sur ses opposants de défauts et de fautes qui le caractérisent, lui et son gouvernement, le plus exactement : le mensonge et la manipulation. Une analyse d’ATTAC le met en évidence, implacablement. Je ne refais pas la démonstration.
Mais une question mérite d’être ici posée. Je la formulerais ainsi : dénier aux syndicats, aux associations, aux collectifs de citoyens, aux experts et aux derniers journalistes critiques, tout capacité d’analyse d’une réforme à laquelle les membres du gouvernement et les députés LREM ont assurément moins compris que les citoyens ordinaires, relève-t-il de l’inconséquence politique la plus grave, d’un mépris sans borne ou bien encore de la dernière des provocations ? Les trois à la fois, probablement. Car, ce qu’une majorité de français a très bien compris depuis plusieurs semaines maintenant, c’est que la réforme des retraites est entièrement cousue « de mensonges et de manipulations ». On pourrait même dire que jamais une réforme n’avait été autant analysée dans ses conséquences et ses implications. Voir, par exemple, les études produites par le Collectif Réforme des retraites. Les citoyens en ont mieux compris les enjeux que l’aile gauche de la majorité présidentielle qui tente de déminer le terrain.
… une seule solution : mettre à genoux Macron
En définitive, de ce discours de vœux, tout le monde aura retenu que Macron prend et assume le risque d’un passage en force sur la réforme des retraites. La formule « Je ne céderai rien au pessimisme ou à l’immobilisme » est à entendre ainsi : « Je ne céderai rien à la colère et à la grève». Ce faisant, Macron envoie un message explicite à tous les opposants à la réforme, aux grévistes, aux syndicats et potentiellement à tous les citoyens qui y sont, encore à cette heure, majoritairement défavorables : "Je suis déterminé à casser le mouvement social, à casser les grévistes, à casser les syndicats". C'est son objectif. Cette position est d’une violence inouïe, mais parfaitement conforme au néolibéralisme autoritaire de Macron. La réforme doit passer, coûte que coûte, et quel qu’en soit le prix. Le monde de la finance et des assurances piaffe d'impatience. Le Président du fonds BlackRock France a été élevé ce jour au rang d'Officier de la Légion d'honneur. Cynisme ostentatoire et provocation assumée. Le Roi de l'argent se pavane nu au milieu des siens : un pied de nez au mouvement social !
Les réformistes qui attendaient de ce discours un abandon de l’âge-pivot en sont, momentanément, pour leur frais. Il reviendra au Premier ministre de gérer le pourrissement de la grève, par quelques formidables concessions qui seront faites aux syndicats prêts à négocier la longueur des chaînes. Il reviendra aux patrons de la briser et à Castaner de la réprimer. Le scénario est écrit et la stratégie déjà mise en application. Voir comment ça négocie en coulisses, comment Total tente de contourner ou briser les grèves dans les raffineries et avec quelle violence Castaner essaie de débloquer les dépôts de bus.
A ce scénario de l’écrasement, du pourrissement et de la trahison programmée des réformistes, le mouvement social en cours doit apporter une réponse déterminée et inflexible : mettre à genoux Macron et son gouvernement par une généralisation de la grève. Vite et puissamment, pour conjurer les risques des divisions et de l’enlisement. Aussi les organisations syndicales ont une responsabilité particulière. Le moment historique que nous vivons ne peut se solder par un nouvel échec. A l’automne 2010, au cœur de la lutte contre la réforme des retraites de Sarkozy, j’en appelais, en vain, à « un syndicalisme résolument offensif ». Afin que l’histoire des défaites et des vaincus ne se répète pas, trois actions pourraient être entreprises.
Tout d’abord passer de la grève par procuration à la grève effective : le don aux cagnottes c’est important; être en grève, c’est mieux ! Il faut travailler à l’amplification et à la généralisation de la grève, en particulier dans tous les secteurs stratégiques de l’économie.
Il est ensuite essentiel de rappeler que ce sont les syndiqués qui font les syndicats et que ce sont bien les bases qui décident de la grève et des actions. En ce sens les syndiqués et responsables syndicaux de base, en particulier de la CFDT et de l’UNSA, ont un rôle déterminant à jouer : forcer les directions syndicales à adopter des positions conformes aux mobilisations locales. Si la CFDT est contrainte de casser sa cagnotte de grève (172 millions !), ça permettra de tenir plus longtemps.
Enfin orienter stratégiquement les cagnottes de grève et l’amplification de la grève vers les secteurs bloquants et à fort impact sur l’économie : les raffineries, les dépôts de carburant, la production et la distribution d’électricité, les ports, les gares, les aéroports, la grande distribution, les transports de marchandises et de personnes. Nous le savons toutes et tous : Macron reculera lorsque commenceront à prendre peur ses soutiens et ses alliés les plus proches, à savoir les grands patrons et le monde de la finance. Quand, par exemple, étudiants, avocats et enseignants iront soutenir les piquets de grève devant les raffineries et les dépôts de bus. C'est ainsi que se construit la convergence concrète des luttes et des grèves.
Dans son discours de vœux, Macron, fustigeant l’immobilisme, dit être « impatient » de voir la situation s’améliorer. Il doit être pris au mot. Seules la généralisation et la radicalisation de la grève, jusqu’au blocage complet de l’économie, permettront de répondre à l’impatience, à la colère et aux souffrances de tout un pays : la lutte jusqu’au retrait du projet de réforme !
Pascal Maillard
Le 1er janvier 2020
PS 1 : Caisse de grève des cheminots de Strasbourg
PS 2 : Pour mémoire - nous n'oublierons rien ! - cette lettre ouverte à Macron du 1er janvier 2019.