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Billet de blog 6 juillet 2024

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La haine de la pensée

La montée exponentielle du RN et la banalisation de son corpus idéologique exigent un engagement citoyen durable et protéiforme, qui passe bien sûr par la culture et l’éducation, mais aussi par une critique sans concession des médias.

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Si l’extrême droite porte en elle la haine de l’autre, elle porte aussi avec elle la haine de la pensée. Mais cette haine de la pensée s’étend aujourd’hui bien au-delà de l’extrême droite. Si elle imbibe toute une partie de la société, c’est qu’elle se diffuse d’abord et avant tout dans la sphère médiatique et à partir d’elle. Contre le confusionnisme permanent, la propagation médiatique du mensonge et le renversement des valeurs, il y a une urgence à réapprendre à penser.

Beaucoup d’observateurs estiment que toutes les digues ont sauté pendant cette campagne électorale. De fait, elle a été marquée par un degré d’abaissement de la qualité des débats et par des pratiques journalistiques qui ont transgressé toutes les limites de ce qui reste de l’éthique professionnelle. La bêtise, les ânonnements, la pulsion et la propagande se sont substitués à l’établissement des faits, au souci de l’exactitude et de la vérité, aux règles de la distance et de l’objectivité, au principe - quotidiennement bafoué - de l’indépendance des médias.

Des journalistes décomplexés, des éditorialistes haineux, des savants qui ne savent rien - ceux qu’on nomme des « experts » et qui déshonorent leurs institutions d’origine -, sont, à longueur de plateaux de télévision, en mission commandée pour la droite extrême et l’extrême droite, pour Macron et Bardella. Bien des journalistes ont oublié ce qu’est une question et se font ouvertement des propagandistes du pire. D’autres vont jusqu’à pratiquer l’inquisition : non plus inviter à dire, mais interdire la parole à l’invité ou bien le forcer à dire. Ceux-là ne posent plus de questions, mais ils soumettent l’invité à la question. Ils assènent leur propre vérité. L’invité doit avouer son crime. Les exemples abondent. Je ne livrerai ni les noms des journalistes et des éditorialistes, ni ceux des médias. Ils sont connus et se reconnaîtront. Je précise que ces pratiques commencent à déborder sérieusement sur le service public qui croit améliorer ses audiences en imitant les singes et les inquisiteurs de Bolloré.

Trois pratiques mériteraient d’être étudiées attentivement. Tout d’abord le mensonge compulsionnel et la manipulation. Le dernier exemple en date concerne la presse : le JDD, hebdomadaire du groupe Bolloré, annonçait hier que « le gouvernement s’apprête à suspendre la loi “immigration” ». Fake news. Sur les plateaux des chaines de désinformation continue bien connues, il n’est plus question depuis longtemps de penser de manière argumentée, ni de débattre, mais d’insinuer, de suggérer, de nous faire perdre nos repères et d’asséner une contre-vérité. Un mensonge répété mille fois fabrique une vérité. C’est ce qu’on appelle de la propagande. Celle à laquelle nous assistons est pire que celle des régimes les plus autoritaires. Parce qu’elle prend l’apparence du débat. Et que le débat c’est la démocratie. Mais il n’y plus de débat. Les débats sont désormais des arènes destinées à des mises à mort. C’est les jeux du cirque. On a vu des plateaux avec 5 ou 6 journalistes et éditorialistes haineux qui s’acharnent sur un seul invité politique. Mais les premières victimes sacrifiées sur ces chaines, c’est la pensée et l’éthique. La pensée qui a le souci du vrai et l’éthique qui est le respect de l’autre.

La seconde pratique médiatique est ce qu’on pourrait nommer « la fabrique de l’identité ». Le schème du même se propage partout : l’extrême gauche et l’extrême droite sont identiques. Renvoyer les extrêmes dos à dos est la nouvelle doxa des imbéciles. Faut-il rappeler ici que la pensée commence avec la faculté de penser les différences et les spécificités ? Penser l’autre, penser avec l’autre et penser autrement. Ceux qui voient le même partout ont la haine de la pensée et ce sont les mêmes qui ont en eux la haine de l’autre. L’extrême droite se construit d’abord dans l’ignorance et la négation du différent. Le combat pour la démocratie est d’abord un combat pour la pensée de la différence. Par la tyrannie du même, la pensée est avilie, la pensée est abîmé, la pensée est piétinée. La tyrannie du même conduit aux intimidations, aux stigmatisations et à la haine de l’autre.

La troisième pratique est le schème du renversement. Il est bien sûr le corolaire de la fabrique de l’identité et le sommet de la manipulation. C’est un mensonge hyperbolique. Un exemple propagé par des politiques et leurs clones « journalistes » est celui du révisionnisme historique qui a conduit à cette monstruosité idéologique tellement répétée par les médias qu’elle passe désormais pour une évidence et un truisme : le RN serait prosémite et la gauche serait antisémite. Le premier acte de résistance et de salubrité publique contre ce type de renversement est de rétablir les faits historiques, ainsi que des chercheur·es l’ont fait.

Tous ces schèmes sont d’une violence inouïe. Cette violence faite aux règles élémentaires de la pensée est élevée au carré quand la forme de leur expression est celle de la pulsion et de la haine. Qu’elle puisse être pratiquée par des journalistes, des éditorialistes et des intellectuels n’est plus tolérable. Il faut que cela cesse. Il y a certainement des révolutions à produire dans les rédactions et dans les écoles de journalisme. Où donc est passée la pensée critique, la pratique critique de la pensée ? Ou sont donc passés l’art de l’argumentation et le souci de la démonstration ? Partout l’opinion, la propagande, le confusionnisme et – il faut bien le dire - la bêtise. Comment ne pas devenir bête quand on a pour tâche de répéter en direct les mêmes insanités et les mêmes schèmes de la pensée pendant 35 heures par semaine ? Il faut que cela change.

Le philosophe Alain disait que la faculté de penser ne se délègue pas. Il faut que nos concitoyen·nes cessent de déléguer leur faculté de penser aux médias de Bolloré.

Les 40 années de fabrication de l’extrême droite par les partis politiques sont inséparables de 40 années de modifications du paysage médiatique. Et d'une emprise croissante de l'extrême droite dans les médias par l'intermédiaire du capitalisme financier. L’extrême droite est une construction du capitalisme. On le voit exemplairement avec les orientations idéologiques des médias qui appartiennent à quelques milliardaires. Par conséquent on ne fera pas baisser l'emprise de l’extrême droite dans les pensées sans combattre la concentration des médias dans quelques mains. Une proposition de loi d’octobre 2022 mérite d’être reprise en urgence. La collusion entre le macronisme, la droite LR et l’extrême droite est aussi évidente que celle entre le capitalisme financier et les concentrations dans l’industrie culturelle et les médias. L’honneur du Nouveau Front Populaire sera d’y mettre fin. 

Pascal Maillard

Le 6 juillet 2024

PS : Je recommande de visionner cette vidéo de Blast qui est une très bonne analyse de la complicité médiatique à l'endroit de l'extrême droite.

ASCENSION DE L'EXTRÊME DROITE : LES MÉDIAS COMPLICES ET COUPABLES © BLAST, Le souffle de l'info

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