La nouvelle audience du 5ème procès de Pinar Selek se déroulait ce 7 février au tribunal d’Istanbul. Une délégation toujours aussi nombreuse, composée de député·es, d’élu·es de grandes villes, d’universitaires, d’avocat·es, de syndicalistes et d’artistes, était venue de France et d’autres pays européens pour soutenir la sociologue injustement accusée depuis 27 ans d’avoir commis un attentat qui s’est révélé être un accident : l’explosion d’une bouteille de gaz sur un marché d’Istanbul en 1998. Dans les faits Pinar Selek est persécutée pour avoir conduit des recherches sur le mouvement kurde.
Une audience expresse, où les décisions semblaient prises en amont, a renvoyé le procès au 25 avril 2025. La guerre d’usure du pouvoir turc devient proprement kafkaïenne, mais n’ébranle pas la détermination de ses soutiens. Pinar Selek résiste. Et ses collectifs de solidarité ne lâchent rien. L’obstination à faire reconnaitre son innocence croît à proportion que le déni de justice du pouvoir turc s’enfonce dans l’absurdité.

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Face à ce pouvoir des ténèbres, Pinar Selek et ses soutiens ont fait le choix de brandir les flambeaux de la liberté académique et de la solidarité avec les femmes opprimées. Mises en cause partout dans le monde par les pouvoirs illibéraux et autoritaires, mais aussi menacée dans nos propres démocraties, la liberté de recherche et d’enseignement, la liberté d’expression et la liberté de diffusion du savoir dont jouissent les chercheuses et chercheurs, étaient au cœur d’une journée de soutien organisée par l’Université Côte d’Azur. En présence de trois président·es d’université et de divers représentants d’organismes de recherche et de sociétés savantes, une quinzaine d’universitaires ont pris la parole et échangé sur les enjeux de la liberté académique en lien avec la situation de la chercheuse qui est désormais maîtresse de conférence associée à l’Université de Nice. Rappelons la manipulation grossière à laquelle s’était adonné le pouvoir turc en juin 2024 lorsqu’il a ajouté au dossier d’accusation de Pinar Selek une pièce qui prétendait que la sociologue aurait participé à Nice à un événement scientifique organisé par « l’organisation terroriste PKK », accusation totalement fantaisiste, montée de toutes pièces par le Ministère de l’Intérieur turc (voir ICI).

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Mais cette journée du 7 février était aussi sous le signe d’une solidarité avec les femmes persécutées dans le monde et en particulier toutes celles qui sont victimes du pouvoir iranien. C’est ainsi que Pinar Selek a décidé, dans un geste fort, d’envoyer à deux militantes féministes kurdes condamnées à mort par le régime iranien, la médaille qu’elle a reçue récemment de la Ville de Grenoble. L’attention et le cœur de Pinar se sont tournés vers Varishe Moradi et Pakhshan Azizi qui recevront à la prison d’Evin un colis de la sociologue. Trois jours avant la nouvelle audience d’Istanbul, Pinar Selek avait reçu un message de soutien d’une autre victime de la tyrannie de mollahs : Narges Mohhamadi, prix Nobel de la Paix en 2023. Je reproduis son message ci-dessous.
Pascal Maillard
Message de Narges Mohammadi à Pınar Selek, féministe, écrivaine, enseignante-chercheuse et défenseuse du mouvement « Femme, Vie, Liberté », originaire de Turquie, exilée en France et risque de condamnation à perpétuité par un tribunal turc à cause de son engagement pour les libertés.
Chère Pınar,
C’est avec une grande joie que je saisis cette occasion pour t’adresser un message depuis l’extérieur de la prison. Je veux commencer par ces mots : Femme, Vie, Liberté, ce slogan emblématique qui incarne la force de notre magnifique mouvement, né après l’assassinat de Mahsa Jina Amini.
Ce soulèvement a été porté par les femmes et je tiens à saluer toutes celles qui, à travers le monde, ont su s’imposer avec courage, même sous des régimes théocratiques et autoritaires. Parmi elles, tu es une figure essentielle. Malgré les épreuves et les persécutions, tu as poursuivi ton engagement pour les droits des femmes et ta détermination est une source d’inspiration pour nous toutes. Lorsqu’une femme subit l’injustice, l’humiliation, l’oppression ou l’apartheid de genre, elle ne se sent pas seule en entendant la voix d’une autre femme qui se tient à ses côtés.
Lorsque j’étais enfermée à Evin, j’ai entendu ton soutien. Aujourd’hui, j’espère que tu entends le mien. Notre combat se poursuivra jusqu’à l’avènement d’une véritable démocratie, car nous savons qu’aucune démocratie ne peut exister sans la reconnaissance pleine et entière des droits des femmes.
Pour la paix, la justice, la liberté et les droits humains, nous ne cesserons jamais de lutter tant que l’égalité ne sera pas une réalité. Nos mains sont unies, et c’est cette solidarité qui renforce notre pouvoir à travers le monde.
Merci infiniment et que ta lutte continue avec force et espoir.
Narges Mohammadi
4 Feb 2025
Nouveau report d’audience au procès de Pinar Selek :
Face au déni de justice, la mobilisation continue !
Communiqué de la Coordination des collectifs de solidarité avec Pinar Selek
Le 7 février 2025
Alors que le procès de Pinar Selek entre dans sa 27ème année, la mobilisation internationale en soutien à l’universitaire et écrivaine ne cesse de se renforcer. En témoigne le succès de la journée de solidarité autour des libertés académiques organisée à l'Université Côte d’Azur ce 7 février en présence de nombreux universitaires, de président·es d'universités, des représentant.es des directions du CNRS et de l’IRD et d’associations académiques. A Istanbul, pour la 4ème fois, des élu.es de la république, des avocat·es, des universitaires, des hommes et femmes de lettres, militant.es des droits humains ont assisté à l’audience. Ce soir, à Istanbul, à Nice, à Paris et dans le monde entier, des centaines de soutiens de différents collectifs se sont rassemblés.
Le tribunal a annoncé un 5ème report d'audience au 25 avril 2025. Cette décision est un scandale. Les juges refusent l'évidence : Pinar Selek est innocente comme l'ont déjà établi tour à tour quatre procès. Cherchent-ils à gagner du temps ? La Turquie joue-t-elle la montre pour épuiser la solidarité internationale, alors qu’elle ne cesse de se renforcer ? Joue-t-elle sur le contexte de durcissement des équilibres géopolitiques contre la démocratie, la science, les droits des minorités, comme le montre l’actualité au Proche-Orient, aux États-Unis, en Europe ? Plus encore, cet éternel report signifie-t-il qu'aux yeux des autorités turques, Pinar Selek est déjà jugée et condamnée ?
De fait, après avoir fabriqué de toutes pièces des “preuves” à charge, après avoir suscité de faux témoignages, après avoir attaqué directement la liberté académique en France en fabriquant une incrimination de terrorisme contre l’Université Côte d’Azur, après que des documents essentiels produits par la défense n’ont pas été intégrés au dossier, la justice turque semble n’avoir plus rien d’autre à inventer que la répétition sans fin d’une demande de mandat d’arrêt international et de comparution de Pinar Selek en Turquie.
Cette stratégie du déni est vouée à l’échec. En dépit de deux années de prison, en dépit de la torture, malgré l'exil, malgré 27 années de persécution et 4 procès, Pinar Selek poursuit son activité scientifique, littéraire et militante. Rien ne l’arrêtera, ni ne nous arrêtera : des centaines de soutiens à travers le monde l’aideront à retrouver sa liberté et ses droits.
Aujourd’hui plus de 500 universitaires du monde entier témoignent de leur soutien à Pinar Selek dans une tribune, publiée dans 5 journaux européens, l'ensemble des président·es d’université de France s’exprime tandis que le ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche apporte à Pinar Selek son indéfectible soutien. Les collectifs mobilisés aux côtés de Pinar Selek dénoncent ce nouveau report, exigent qu’elle soit définitivement acquittée et que son honneur soit lavé.
Site de Pinar Selek : https://pinarselek.fr/
Entretien sur France Info
Vidéo sur Nice Matin