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Billet de blog 23 juillet 2025

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Gaza ou la fin de l’humanité

Les crimes commis par Israël sont une offense à toute l’humanité. Mais la responsabilité du génocide du peuple palestinien ne peut plus être imputée au seul gouvernement de Netanyahou et à ses ministres fascistes. C’est tout l’Occident, par son inaction, qui est désormais complice de crime contre l’humanité.

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L’innommable a lieu sous nos yeux. Des images de camp de concentration sortent de Gaza. Les actes les plus horribles sont commis impunément chaque jour par le gouvernement et l’armée israélienne. Enfermer toute une population civile dans un espace limité, la bombarder en permanence de manière aléatoire pour la terroriser, la priver du droit à des soins en détruisant tous les hôpitaux, l’affamer volontairement, la déplacer continuellement pour l’épuiser, tuer un millier de civils qui viennent chercher de la nourriture sur les lieux de distribution mis en place par leurs bourreaux, assassiner des dizaines de journalistes pour que les massacres se déroulent à huis-clos : tout ceci n’a pas d’équivalent dans l’histoire contemporaine. La barbarie d’Israël nous fait sortir de la civilisation et de l’humanité. Nous ne sommes pas face à une guerre, mais face au massacre et à l’extermination lente, méthodique et intentionnelle d’une population civile sans défense.

Nous sommes nombreux à être profondément choqués par le fait que le peuple qui commet aujourd’hui un génocide avéré et documenté est celui-là même qui en fut, au XXe siècle, la victime. On nous dit aujourd’hui que ce parallélisme est inadmissible au prétexte de la responsabilité éthique et mémorielle dont toute l’humanité est chargée. On ne conteste pas ce devoir de mémoire qui est aussi un devoir de connaissance. Mais il est temps de poser avec fermeté que c’est bien parce que le peuple juif a été la victime de l’un des génocides les plus effroyables du XXe siècle qu’il porte aujourd’hui une responsabilité insigne.

Car, en tant que garants de cette mémoire du génocide, en tant que témoins de l’innommable, en tant que victimes, enfants et petits-enfants de victimes, les membres de la communauté juive, quelle que soit leur diversité et leur sensibilité, qu’ils vivent en Israël ou ailleurs dans le monde, ne peuvent pas accepter, humainement et moralement, en raison même de l’histoire et du devoir de mémoire, qu’Israël commette en leur nom des actes de barbarie et des crimes imprescriptibles, comparables à ceux qui ont été commis par les pires dictatures du 20ème siècle. Et ceci, quel que soit le degré de barbarie des actes commis par le Hamas le 7 octobre 2023. La loi du talion, qui n’a aucune existence dans le droit international, ne saurait être appliquée à la puissance 10. Faudra-t-il à Netanyahou et à ses ministres d’extrême droite 100 000 palestiniens morts pour que le millier de victimes juives du Hamas soit vengé ? Et surtout, faudra-t-il attendre ces 100 000 morts pour que ce qu’on nomme « la communauté internationale » daigne bouger le petit doigt ?

Trois faits incontestables désignent comme complices du génocide des palestinien·nes tous les États qui laissent faire Israël, au premier rang desquels les Etats-Unis, qui disposent des moyens politiques, économiques et diplomatiques pour mettre fin au génocide.  Mais aussi l’Europe qui a oublié quelle place elle devrait avoir dans la défense des droits humains et du droit international. La France, qui bégaie quelques pauvres mots de protestation, ne fait rien. Et la majorité des pays arabes, tétanisés, se taisent, alors que les peuples grondent.

1. Le premier fait qui atteste de notre responsabilité et de notre complicité, est que la barbarie a lieu sous nos yeux, à la connaissance de toutes et tous. Jamais ne s’est produit dans l’histoire de l’humanité un génocide « en direct », qui exigerait par conséquent de toute conscience humaine et de tout État démocratique une action immédiate pour y mettre fin. Jamais ne s’est produit dans l’histoire de l’humanité un génocide « en direct » qui se solde par une telle inaction politique de la communauté internationale. Une honte universelle.

2. Le second fait est que le génocide dure depuis plus de 20 mois. 20 mois de complicité avec le pire, 20 mois d’atermoiements et d’indignations, vraies ou feintes. 20 mois de protection d’Israël et de consentement à l’extermination d’un peuple. Parce qu’il a duré 20 mois et plus, ce génocide durera toujours. Le long et terrible génocide des palestinien·nes restera une tache indélébile dans l’histoire de la civilisation. Cette histoire de la civilisation est en train de devenir une histoire de la barbarie. Les bourreaux resteront bourreaux à perpétuité, et les victimes seront toujours des victimes. Rien ne pourra effacer cela. Et rien ne pourra effacer que nous sommes complices de cela.

3. Le troisième fait tient à la singularité irréductible de la protection du bourreau qui consiste à assimiler toute condamnation d’Israël à une posture antisémite. La critique est interdite, « forclose » comme diraient les psychanalystes, pour le simple fait que le peuple juif a été victime d’un effroyable génocide.  Est apparu, en France tout particulièrement, une sorte de négationisme du génocide. Son arme est devenue l’incrimination universelle d’antisémitisme, dont un mouvement politique courageux a fait les frais. Dénoncer le génocide c’est mécaniquement être antisémite. Dans quelle folie ce négationnisme et cette inversion de toutes les valeurs nous ont-ils fait entrer ?

La lutte contre l’antisémitisme passe par la libre critique et la dénonciation sans concession de la politique d’Israël. Forclore cette critique, c’est renforcer l’antisémitisme, dont l’augmentation ces derniers mois s’explique autant par les abjectes campagnes médiatiques et politiques de dénigrement des soutiens de la Palestine que par la politique israélienne elle-même.

Cette critique radicale est d’autant plus nécessaire qu’un pacte se confirme entre le techno-fascisme étasunien et le génocide des palestinien·nes mis en œuvre par l’État israélien. Il repose sur un objectif commun qui constitue la face la plus hideuse du capitalisme de prédation : en finir définitivement avec la question palestinienne et raser Gaza pour y construire la Riviera du Moyen-Orient (voir ici et ). Trump et Netanyahou, mais aussi des groupes de pression financiers de pays européens, travaillent à cette solution radicale qui sert à la fois le projet de « grand Israël » de Netanyahou et les intérêts financiers et immobiliers des Etats-Unis et de plusieurs pays occidentaux : exterminer et déporter massivement une population pour alimenter un capitalisme sauvage qui détruit aussi notre planète, c'est-à-dire l'humanité.

Trump et Netanyahu sont des prédateurs. Les liens manifestes entre le génocide et les exactions d'un capitalisme de prédation nous indiquent la voie que devraient prendre les mobilisations internationales pour mettre fin à cette barbarie : les intérêts économiques d’Israël et toutes les coopérations internationales qui alimentent directement ou indirectement son économie de guerre.

Si l’Europe avait appliqué à Israël la moitié des sanctions prises contre la Russie, des milliers de vie aurait pu être sauvées à Gaza. Mais il n’est certainement pas trop tard. Listons et boycottons toutes les entreprises françaises qui commercent avec Israël (voir ici la campagne BDS), et nous ferons bouger nos gouvernants, inertes et complices de crimes contre l’humanité. Bayrou et Macron, inertes et complices.

Ces derniers devraient méditer ces propos des juges du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie : les crimes internationaux  « ne sont pas le fait de la propension d’individus isolés à commettre des actes criminels, mais sont des manifestations d’un comportement criminel collectif : ils sont souvent exécutés par des groupes d’individus agissant de concert aux fins de la réalisation d’un dessein criminel commun »

Tout État et toute organisation internationale qui disposant de moyens pour mettre fin à un génocide, n’en fait aucun usage, peut être complice de crime contre l’humanité. Je recommande la lecture de ce texte.

Israël nous met ainsi face une terrible situation : l’humanité complice d’un crime contre l’humanité. Une humanité tétanisée, une humanité qui renonce à agir, une humanité qui ignore la valeur universelle de la vie, une humanité qui sort de l’humanité. Où est donc l'humanité qui se bat pour faire respecter le droit international? Où est l'humanité qui se bat pour l'humanité ? Elle est dans les rues et non au sommet des États.

Je terminerai ce texte par une dernière question. Arrivera un jour où un tribunal pénal international condamnera l’État d’Israël pour nettoyage ethnique, déportation de populations, crimes de guerre et génocide. Comment les jeunes générations des diverses communautés juives vivront-elles la contradiction de devoir porter à la fois la mémoire de la Shoah et celle des crimes contre l’humanité commis par l’Etat d’Israël avec le soutien ou la complicité silencieuse de la majorité de leurs aînés ?

Pascal Maillard

PS : En prolongement à ce texte, je me permets de renvoyer à un autre billet de blog qui date de novembre 2023 : "L'Humanité, la vie". Je recommande également de voir le documentaire d'Arte intitulé "Israël : les ministres du chaos". Enfin je tiens pour remarquable la position exprimée par le philosophe Jacob Rogozinski dans Le Monde le 5 février 2025 : « Qui nous pardonnera si nous ne parvenons pas à demander pardon pour ces crimes à Gaza ? » On peut lire cette tribune ici. Le présent billet n'ignore pas le courage de milliers de juives et de juifs qui, en Israël et à travers le monde, se mobilisent contre le génocide commis en leur nom par l'État israélien. Voir ici, par exemple.

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