L’exception concordataire d’Alsace-Moselle n’est pas un gage de concorde. Une « fausse note » dans les Noëlies alsaciennes montre exemplairement que le droit local peut servir à bafouer le principe républicain de la neutralité des établissements publics.
L’affaire aurait pu rester dans l’ombre sans l’alerte lancée par un habitant de Drusenheim dont l’enfant est scolarisé à l’école élémentaire municipale de cette petite ville du nord de l’Alsace. Le 9 décembre au matin, conduisant son enfant à l’école, il découvre avec stupeur que la façade du bâtiment est tapissée de dix reproductions de tableaux religieux, de très grand format (2X3 mètres), essentiellement des nativités. L’exposition se prolonge sur l’église attenante par deux affiches supplémentaires, ce qui crée une unité physique et symbolique particulièrement forte entre un lieu de culte et un établissement public.
Faisant valoir le principe de neutralité des administrations publiques, le parent d’élève demande au maire, qui est à initiative de cette « exposition », que les affiches soient retirées. Il saisit également le médiateur de l’académie, lequel s’estime incompétent dans une telle affaire. L’inspection académique s’appuie quant à elle sur le « droit local ». On peut en effet lire dans un article des DNA du 11 décembre cette position confondante : « Il n’y a pas lieu de s’émouvoir de ces affiches. Il y a des croix dans les salles de classe, des cours de religion. C’est le droit local ». C’est aller un peu vite en besogne : ni le cadre juridique du concordat de 1801, ni les articles organiques qui en découlent et qui régissent l’enseignement de la religion dans les écoles d'Alsace-Moselle, n’autorisent un affichage à caractère prosélyte sur les façades des établissements publics.
De son côté, le maire fait valoir la dimension artistique de l’exposition. Cet argument ne tient pas : il n’existe aucun dispositif qui signale une exposition culturelle. Et je doute fort qu’il aurait pris le risque d’exposer ces affiches religieuses sur sa propre mairie. Les imposer sur une école est tout aussi grave, et certainement davantage si l’on considère la Charte de la laïcité en vigueur dans l’Education Nationale. L'article 6 de cette charte, affichée dans tous les établissements scolaires, stipule que "La laïcité de l'Ecole ... protège les élèves de tout prosélytisme et de toute pression qui les empêcheraient de faire leurs propres choix". A cette heure ni le Rectorat, ni l’Inspection académique ne sont intervenus pour rappeler l'existence et le sens de cette charte. Ils n’ont pas non plus réagi aux diverses interrogations et interventions d’associations, de syndicats ou de partis politiques. L'Etat serait-il absent de la région Alsace?
Ce silence est tout aussi inquiétant que celui des médias qui ne jugent certainement pas opportun d’introduire une fausse note dans l’œcuménisme des fêtes de Noël. La seule « fausse note » dont il est question dans les Dernières nouvelles d’Alsace est relative aux lieux de culte : il faudrait éviter qu’églises et temples servent à des manifestations "trop culturelles". On oublie de s’interroger sur l’usage qui est fait des écoles publiques, où les manifestations "trop religieuses" ne semblent pas poser de problèmes aux alsaciens, ni aux autorités locales. Dans le cas de Drusenheim, le principe de la laïcité est allègrement bafoué. Le traitement du sujet par France 3 Alsace, distant et humoristique à souhait, ne prend pas la mesure de la gravité de la question. Ce reportage est très révélateur.
Pendant ce temps le courageux parent d’élève subit des intimidations. Il vient de porter plainte suite à la réception d'une lettre anonyme qui le menace, lui et sa famille.
Il paraît que le gouvernement entend garantir "la sanctuarisation de l'école" de tout "prosélytisme", selon sa porte-parole, Najat Vallaud-Belkacem. "Nous sommes attachés à lutter contre le prosélytisme religieux, indéniablement. Donc, tout ce qui pourra nous sembler relever de ce prosélytisme religieux, y compris venant de personnes qui ne sont pas agents du service public, nous le combattrons", a-t-elle insisté. Drusenheim est une occasion unique de mettre en pratique ces bonnes résolutions et d'exiger en haut lieu que le Préfet du Bas-Rhin et le Recteur d'académie agissent dans le sens d'un respect strict de la loi.
Pascal Maillard
LIENS : Concernant la laïcité on peut utilement consulter sur Mediapart le blog de Jean Baubérot, l'un de nos meilleurs spécialistes de la laïcité, l'Edition participative de Charles Conte et le très suggestif rétro-forum partagé de Denis Mériau. Sur le statut scolaire en Alsace-Moselle je renvoie à l'excellente étude de Roland Pfefferkorn, professeur de sociologie à l'Université de Strasbourg.
PS 1 : Je copie ci-dessous un communiqué de la FSU. SUD éducation a également produit un communiqué sur le sujet. Voir aussi le communiqué de La Libre Pensée et de l'Union rationaliste dans mon commentaire ci-dessous. Je continuerai à mettre les prises de position ici-même, au fur et à mesure qu'elles me seront transmises. On me signale une prise de position du PG 67.
PS 2 : A Angers et Bordeaux on décapite des arbres de la laïcité. Voir ici et là.
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Affaire de Drusenheim
Pour le strict respect de la neutralité des établissements publics
Communiqué des syndicats de la FSU du supérieur en Alsace
avec le soutien de la FSU 67
(Le 23 décembre 2013)
Depuis le 9 décembre dernier l’école publique élémentaire Jacques Gachot de Drusenheim expose ostensiblement sur sa façade de grandes affiches à caractère religieux. Des parents d’élèves et des citoyens se sont émus de cette initiative municipale. Notre collègue Jean-Pierre Djukic[1], dont l’enfant est scolarisé dans cette école, a saisi le médiateur académique et demandé au maire de retirer cet affichage qui contrevient au principe de neutralité des établissements publics. Pour avoir usé de sa liberté d’expression et avoir à juste titre rappelé le droit, il subit aujourd’hui menaces et intimidations.
Les syndicats de la FSU soussignés condamnent ces pratiques et apportent tout leur soutien à Jean-Pierre Djukic. Ils s’associent à sa demande que soient retirées dans les meilleurs délais des affiches qui s’apparentent à une manifestation prosélyte et ne constituent en rien une exposition culturelle ou artistique comme le prétend le maire de Drusenheim. Ils réfutent la justification de l’Inspection académique telle qu’elle a été rapportée par les DNA[2] dans l’édition du 11 décembre 2013. Les syndicats de la FSU considèrent au contraire qu’un maire d’une commune ne saurait s’appuyer sur le régime concordataire de l’Alsace-Moselle pour faire couvrir les murs extérieurs d’un établissement public de représentations religieuses. Dans le cas de Drusenheim la continuité de l’affichage entre l’église et l’école élémentaire attenante constitue une circonstance aggravante : elle montre aux yeux des élèves et de tous les citoyens une unité symbolique forte entre un lieu de culte et un établissement public.
Les syndicats de la FSU sont attachés au principe de neutralité des administrations publiques tout comme à celui de la laïcité qui est au fondement du système éducatif français depuis la fin du 19ème siècle. Ces principes de la République ne sauraient souffrir d’exceptions.
SNCS-FSU Alsace, SNESUP-FSU Alsace, SNASUB-FSU Alsace,
avec le soutien de la FSU 67.
[1] Jean-Pierre Djukic est directeur de recherche au CNRS, conseiller scientifique à l’Université de Strasbourg et membre du SNCS-FSU.
[2] « L’inspection académique a souligné, quant à elle, qu’« en Alsace, il n’y avait pas lieu de s’émouvoir de ces affiches. Il y a des croix dans les salles de classe, des cours de religion. C’est le droit local », a-t-elle rappelé. »