On connaît, sur Mediapart, Raoul-Marc Jennar par le blog qu'il tient là, http://blogs.mediapart.fr/blog/raoul-marc-jennar, et l'on sait l'intérêt qu'il porte au traité de libre-échange en cours de négociations entre les Etats-Unis et l'Union Européenne.
De l'entretien qu'il m'a accordé et que l'on peut trouver là http://ilfautledire.fr/ en vidéo, MP3 et transcription, on peut retenir ce passage particulièrement intéressant : un comité, dit "comité 207", au sein duquel on trouve le représentant permanent de la France auprès de l'UE et deux haut-fonctionnaires de Bercy, informe régulièrement notre gouvernement de l'avancée des négociations ; il s'agit bien de lier indéfectiblement le destin de notre continent à celui des Etats-Unis. Un tel engagement ne mériterait-il pas un débat démocratique?
L'aspect géostratégiques des choses sera développé dans une interview à venir mardi prochain faite avec Jean-Michel Quatrepoint , mais si on est pressé, on peut se reporter au billet que j'écrivais le 17 février dernier pour rendre compte d'un colloque organisé par la Fondation Respublica et qui réunissait ce journaliste économique, Hubert Védrine, Xavier Bertrand et l'économiste Jean-Luc Gréau autour de Jean-Pierre Chevènement.
EXTRAIT de l'interview de Raoul-Marc Jennar
Pascale Fourier : Au début de notre entretien, vous nous avez dit que les négociations se faisaient au niveau européen avec un seul négociateur. Est-ce que les intérêts de tous les pays européens sont convergents pour ce traité ?
Un négociateur unique...
Raoul-Marc Jennar: Un négociateur unique, c'est voulu par les traités. C'est l'article 207 du Traité sur le fonctionnement de l'union européenne – autrefois, c'était un peu connu, c'était l'article 133. Depuis le début, depuis 1957, les négociations commerciales internationales sont confiées à la Commission Européenne qui est le négociateur unique, et en l'espèce, le commissaire européen au Commerce est Karel de Gucht, un monsieur qui, par parenthèse, est poursuivi pour fraude fiscale dans son pays.
L'article 207 ajoute que le négociateur unique est accompagné d'un comité qu'on appelle le comité 207 dans lequel les vingt-huit Etats sont représentés. Les vingt-huit Etats suivent donc au jour le jour la négociation et peuvent donc faire valoir leurs spécificités et leurs différences. Ils sont sont donc vraiment en permanence au courant de la négociation. La présence des Etats est garantie pendant toute la négociation.
Mais moi, je ne le vois pas comme une garantie parce que les vingt-huit Etats ont voulu cette négociation, veulent ce dont nous parlons, - et je répète que ce dont nous parlons , ce n'est pas de ce que les États-Unis demandent, mais c'est ce que les Européens demandent : abaisser les droits de douane, abaisser les barrières non-tarifaires, c'est-à-dire les normes, mettre en place des mécanismes de règlement des différends, c'est-à-dire de groupes de règlements privés plutôt que le recours aux juridictions officielles. Tout cela, c'est ce que les vingt-huit Etats de l'Union Européenne ont demandé à la Commission de négocier. Et ils sont donc plutôt là pour assurer qu'on négocie bien le mandat qu'ils ont donné, un mandat qui, à mes yeux, et je pense que c'est clair pour tout le monde dès qu'on en connaît le contenu, n'est pas fait pour le bien-être des peuples européens.
Pascale Fourier : Du coup, vous voulez dire que François Hollande, par exemple, est parfaitement au courant de ce qui se passe au niveau des négociations ?
...mais des gouvernements informés au jour le jour.
Raoul-Marc Jennar: Bien sûr! Il est parfaitement courant puisque, si je suis bien informé, dans le comité 207, on trouve le représentant permanent de la France à Bruxelles ( une sorte d'ambassadeur) et deux hauts-fonctionnaires de Bercy. Normalement, Pierre Moscovici, ou en tout cas Bercy, doit informer le Premier Ministre et le Président de la République. Les choses sont en place pour que, dans chaque Etat de l'union européenne, ceux qui dirigent soient complètement informés au jour le jour de la négociation.
On sait que ces négociations se font par des cycles d'une semaine, une fois à Bruxelles, fois une fois à Washington, que ces cycles se préparent, qu'ils se préparent pas seulement pour nous, Européens, à Bruxelles, mais qu'ils se préparent aussi dans chacune des vingt-huit capitales. Madame Bricq, la ministre du Commerce du gouvernement français, est aussi parfaitement informée, quoiqu'il en dise, de l'état d'avancement des négociations. Je qualifie d'enfumage des déclarations qui consistent à dire : « Nous ne savons pas ce qui se passe, c'est à Bruxelles, c'est à Washington » : c'est 'une manière classique désormais depuis longtemps de se défausser de ses responsabilités. Ils savent. Ils savent ! Ils sont au courant et ce qui est engrangé dans la négociation, c'est parce qu'ils en ont donné leur accord.
Pascale Fourier : Normalement, cette idée de traité transatlantique était déjà dans les tuyaux depuis un certain temps, et finalement François Hollande n'a fait qu'hériter de la question, qui avait probablement été suivie par Nicolas Sarkozy précédemment. Est-ce que il n'est pas obligé d'un certain côté de continuer la direction dans laquelle allaient ses prédécesseurs ?
Les socialistes et le traité de libre-é USA-UE, une histoire ancienne...
Raoul-Marc Jennar: Je pense que ses prédécesseurs sont aussi les membres de son parti politique... Pour moi, tout commence en 1990, c'est-à-dire dans la foulée de cet événement mondial considérable de la chute du mur de Berlin, de la fin de la guerre froide, de la fin de la division du monde en deux blocs, de la fin de la division de l'Europe. A cette époque, que font les douze gouvernements - et à l'époque, le gouvernement était présidé par Michel Rocard, le Président de la République s'appelait Mitterrand....
On avait deux options au moins en 1990. Enfin, l'hypothèque de la guerre froide est levée. Enfin, on pouvait envisager de construire une Europe sur la base de ce qui fait l'Europe, qui est fondamentalement différent de ce qu'est l'Afrique, l'Asie, l'a Amérique du Nord, l'Amérique du Sud, l'Océanie : une Europe européenne. Et qu'est-ce que font les gouvernements, dont le gouvernement de Michel Rocard ? Ils décident de signer avec les États-Unis une « déclaration transatlantique » - déjà le qualificatif est utilisé. Dès 1990, la social-démocratie européenne fait le choix fondamental de lier le destin des Européens à celui des Américains, à celui des habitants et du peuple des États-Unis d'Amérique.
C'est un choix. C'est un choix politique, mais c'est aussi un choix de société parce qu'il liait son destin à un pays qui est ce qu'il est - les États-Unis ont le droit d'être ce qu'ils sont, c'est le résultat de leurs choix, mais est-ce que nous voulons-nous, nous, être à leur image ? Est-ce que nous partageons les mêmes valeurs, eux qui n'ont ratifié quasiment aucune des conventions sociales de l'Organisation Internationale du Travail, eux qui n'ont pas ratifié le protocole de Kyoto, la convention de Rio sur le respect et la protection de la biodiversité, la Convention de l'Unesco sur le respect et la protection de la diversité culturelle, eux qui ont à bien des égards un mode de société très différent du nôtre.[...]
( la suite et la première partie de l'interview ainsi que le son en MP3 est facilement téléchargeable là : http://jaidulouperunepisode.org/Interviews.htm)