Votre tête est légère. Vous lisez D'Ailleurs le désir, de Jacques Lacomblez. Les mots, les images ne s'y agglutinent pas en vain. C'est qu'il en va de ces blancs, ces débords, qui font comme des vagues dans la langue, dans le mouvement incessant des images.
À l'aune - alone - de ceux qui ne me sont proches
que pour me quitter (pour étouffer l'angoisse, ma belle rumeur
en moi, parfois je les devance), je ne suis pas un solitaire pur ; je
suis toujours solitaire de quelqu'un
Démonstration en quelques vers de ce que l'outil ne fait pas la matière, n'est pas cette matière qui seule emporte, où nous sommes tous des centres du monde déplacés.
En ces jours où l'ordre règne, où nos jours raccourcissent sous les petits yeux ligués, resserrés de la morale et du droit, où rien ne se transmet que la souffrance à autrui, D'Ailleurs le désir de Jacques Lacomblez n'a vraiment pas de prix.
C'est là un volume de poèmes choisis de cet auteur belge, dont j'avais fait le portrait en pied, en peintre, et qui paraît ces jours-ci, aux éditions Les Hauts-Fonds, préfacé par Claude Arlan, avec des collages de Suzel Ania.
Tout ce que j'ai perdu de la transparence du feu
et de la beauté violente des êtres
Se cache dans les pierres je le devine aux mots effacés
qui affleurent sur certaines d'entre elles parfois
Selon le pointillé des étoiles
Certain que la roche sous mes pas se brise
avec le crissement léger du givre
Je voyage sur la brume la plus dense
celle qui fait le lit granitique de la mémoire
Où les draps noués de l'amour sont des fées
endormies de filer sans cesse la rosée
Pour perpétuer les miroirs
Au dernier quartier du rêve sur un visage d'eau nue
Une pierre tombée du temps
Blanche s'écrit pour elle seule
Un très ancien jardin de Perse
J'ai aimé dans le mi-clos des vérandas
La lumière infirme qui seule révèle
les très lentes danseuses de fumée
Comme assurées de leur fragilité extrême
elles sont venues par le jeu des cloisons de bruine
déjouer les partitions du jour
Elles ont laissé dans ma voix
un fléchissement couleur d'étang mort
qui sème l'ombre parmi les mots
*
Votre tête reste légère. Ne dites rien, regardez, écoutez, on vous parle, laissez-vous porter par le bruit, par le monde qui vous entoure, laissez-vous transporter. D'où vient cette soudaine sensation enivrante que tout tourne à vide, comme un moteur dont le carburant serait volatil ?
Cela vient de cette matière, toujours, que ne contient aucune « structure », aucune forme, aucune pensée idéelle, cette matière unique qu'est l'altérité.
Comme il y a des « petites proses infinitives-dérivantes » chez Jacques Lacomblez qui valent toute la prose du monde, il y a une petite scène dans le premier long métrage d'Hal Hartley, The Unbelievable Truth (1989), qui est emplie de ce désordre miraculeux.
Le mécanicien explique ce qu'est une pièce de transmission à un être captif. Et dans ses mots inaudibles, répercutés à l'infini (dans la bande-son du film) ne s'entend que l'incroyable vérité de ce lien noué, défait, toujours renoué qu'est la transmission : le désir à plus d'un titre.