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Billet de blog 7 novembre 2010

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L'incroyable vérité

Votre tête est légère. Vous lisez D'Ailleurs le désir, de Jacques Lacomblez. Les mots, les images ne s'y agglutinent pas en vain. C'est qu'il en va de ces blancs, ces débords, qui font comme des vagues dans la langue, dans le mouvement incessant des images.

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Votre tête est légère. Vous lisez D'Ailleurs le désir, de Jacques Lacomblez. Les mots, les images ne s'y agglutinent pas en vain. C'est qu'il en va de ces blancs, ces débords, qui font comme des vagues dans la langue, dans le mouvement incessant des images.

À l'aune - alone - de ceux qui ne me sont proches

que pour me quitter (pour étouffer l'angoisse, ma belle rumeur

en moi, parfois je les devance), je ne suis pas un solitaire pur ; je

suis toujours solitaire de quelqu'un

Démonstration en quelques vers de ce que l'outil ne fait pas la matière, n'est pas cette matière qui seule emporte, où nous sommes tous des centres du monde déplacés.

En ces jours où l'ordre règne, où nos jours raccourcissent sous les petits yeux ligués, resserrés de la morale et du droit, où rien ne se transmet que la souffrance à autrui, D'Ailleurs le désir de Jacques Lacomblez n'a vraiment pas de prix.

C'est là un volume de poèmes choisis de cet auteur belge, dont j'avais fait le portrait en pied, en peintre, et qui paraît ces jours-ci, aux éditions Les Hauts-Fonds, préfacé par Claude Arlan, avec des collages de Suzel Ania.

Tout ce que j'ai perdu de la transparence du feu

et de la beauté violente des êtres

Se cache dans les pierres je le devine aux mots effacés

qui affleurent sur certaines d'entre elles parfois

Selon le pointillé des étoiles

Certain que la roche sous mes pas se brise

avec le crissement léger du givre

Je voyage sur la brume la plus dense

celle qui fait le lit granitique de la mémoire

Où les draps noués de l'amour sont des fées

endormies de filer sans cesse la rosée

Pour perpétuer les miroirs

Au dernier quartier du rêve sur un visage d'eau nue

Une pierre tombée du temps

Blanche s'écrit pour elle seule

Un très ancien jardin de Perse

J'ai aimé dans le mi-clos des vérandas

La lumière infirme qui seule révèle

les très lentes danseuses de fumée

Comme assurées de leur fragilité extrême

elles sont venues par le jeu des cloisons de bruine

déjouer les partitions du jour

Elles ont laissé dans ma voix

un fléchissement couleur d'étang mort

qui sème l'ombre parmi les mots

*

Votre tête reste légère. Ne dites rien, regardez, écoutez, on vous parle, laissez-vous porter par le bruit, par le monde qui vous entoure, laissez-vous transporter. D'où vient cette soudaine sensation enivrante que tout tourne à vide, comme un moteur dont le carburant serait volatil ?

Cela vient de cette matière, toujours, que ne contient aucune « structure », aucune forme, aucune pensée idéelle, cette matière unique qu'est l'altérité.

Comme il y a des « petites proses infinitives-dérivantes » chez Jacques Lacomblez qui valent toute la prose du monde, il y a une petite scène dans le premier long métrage d'Hal Hartley, The Unbelievable Truth (1989), qui est emplie de ce désordre miraculeux.

Le mécanicien explique ce qu'est une pièce de transmission à un être captif. Et dans ses mots inaudibles, répercutés à l'infini (dans la bande-son du film) ne s'entend que l'incroyable vérité de ce lien noué, défait, toujours renoué qu'est la transmission : le désir à plus d'un titre.