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Billet de blog 19 janvier 2013

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Emmanuelle Favier, tout genre à part

Comédienne, chanteuse, poète, faut-il s’étonner que pour son premier livre en prose, Emmanuelle Favier prête sa voix, d’un bout à l’autre des nouvelles de Confession des genres, à différents narrateurs, et qui plus est exclusivement masculins ?

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Comédienne, chanteuse, poète, faut-il s’étonner que pour son premier livre en prose, Emmanuelle Favier prête sa voix, d’un bout à l’autre des nouvelles de Confession des genres, à différents narrateurs, et qui plus est exclusivement masculins ?

En soi, toutes choses de la littérature bien gardées, non, bien sûr. Toute trame fictionnelle suppose ce jeu de masque identitaire fécondant des personnages. Et le personnage, étymologiquement, « de persona d’abord, c’est le masque », comme l’a rappelé en son temps Robert Abichared, pour le théâtre.

Simplement, toute la force subtile du livre d’Emmanuelle Favier est qu’il imbrique intimement, fil rouge à la nouure de ses différentes nouvelles, toutes les déclinaisons possibles de la question du genre : humaine, sexuelle, littéraire.

Toute l’opération magique, d’un réalisme magique (seyant à cette passionnée de Roberto Bolaño), consiste précisément à passer – littéralement ici – de « l’empire des masques au monde des hommes »*.

Dans Confession des genres, au fil des nouvelles, se répète ainsi, en se mettant en place, de la place qu’occupent à tour de rôle les différents narrateurs masculins, une dramaturgie assez saisissante. Souvent, une rencontre prélude à l’initiation de la nouvelle. Ce sont, au seuil du récit, de superbes passages d’écriture toute tournée sur la description d’un personnage (féminin) qui fait irruption dans la vie du narrateur (masculin) :

« Les premiers temps je ne lui avais pas prêté attention.

[...] Chaque jeudi soir, je me rendais donc au centre culturel d’une commune voisine dans l’état d’esprit où je me serais rendu à l’une de ces réunions de réhabilitation, que l’on impose pour leur bien aux alcooliques ou aux petits délinquants. [...]

Un énième dépit amoureux, une incapacité à accomplir le destin d’écrivain à succès que je m’étais rêvé depuis l’adolescence, un mode de vie ni véritablement aisé ni tout à fait inconfortable : tout cela devenait le décor unique d’une existence qu’un rien, je le savais pourtant, aurait suffi à épanouir. Un rien. Un regard un peu différent porté sur les choses, sans doute. Un élan. Une ardeur.

Elle s’appelait Lisa. »*


Sur la base de scénarios différents, chaque histoire narre des relations entre hommes et femmes au trébuchet d’un étrange jeu de vases communicants : l’un ravissant à l’autre son énergie, y puisant jusqu’à sa propre perte, ou quelque issue fantastique :

« Le lendemain, elle avait disparu. Je ne pouvais bien sûr plus prononcer le moindre mot, sans parler des difficultés que j’avais à me nourrir [...] Alors que l’après-midi touchait à sa fin, on sonna à la porte. C’était elle. Je la voyais à travers le judas. Ou plutôt je la devinais. Elle avait affreusement maigri. C’en était surnaturel, en si peu de temps. Elle se tenait, sèche et minuscule, immobile désespérément sur le palier.

Après une respiration encombrée j’ouvris la porte. Brusquement, elle pénétra dans ma bouche en un saut agile. En un claquement imprévisible et net, elle s’installa entre ma luette et mes incisives. Mon amour avait trouvé une langue. »*


La beauté empoignante de ces nouvelles d’Emmanuelle Favier tient à ce que le point de vue du narrateur, que l’on pourrait hâtivement qualifier de « monologue intérieur », baigne dans une pensée également pleine d’affect et d’imaginaire, gagnant tous les personnages.

« J’ai consacré mon existence à combattre cet abandon à soi à travers l’autre », confesse le peintre de « La dernière toile », une des ultimes nouvelles du livre.

On ne saurait mieux dire le désir de dialogue exigeant et envoûtant qui est au secret de cette prose.

Emmanuelle Favier, Confession des genres, Éditions Luce Wilquin (voir ici), 10 euros.

Voir aussi ce précédent billet sur Proses électriques.

*R. Abichared, La Crise du personnage dans le théâtre moderne, « Tel », Gallimard.
* Citations, respectivement, dans « Épectase » et « Alieno ex ore sapiunt ».

Signalons la parution d’un livre de poèmes d’Emmanuelle Favier, Le Point au soleil, aux éditions Rhubarbe.
À cette occasion, samedi 2 février (à partir de 10 h 45) aura lieu une matinée littéraire et musicale au Divan du monde (75, rue des Martyrs, Paris XVIIIe). Un concert des Proses électriques sera suivi d’une séance de dédicaces.