Un salut pyrénéen au poète Emmanuel Hocquard
- 28 janv. 2019
- Par Patrice Beray
- Blog : Inspire, ce n’est rien

Voici aussi (un peu) pour le poète, à la façon de la « poésie grammaticale » que lui a prêtée Dominique Rabaté dans ses explorations du lyrisme contemporain. Le bon usage de la langue n’existe que vu d’abord de l’autre côté, celui d’où chacun vient tous les jours au monde, et – sinon à quoi bon espérer échanger quoi que ce soit – sans le moindre souci de mondanité.
Ces questions ne sont pourtant pas tout à fait sans réponse, et si la mort d’Emmanuel Hocquard survenue le dimanche 27 janvier à Mérilheu (Hautes-Pyrénées) incite à relire tout un pan que l’on peut juger âpre de la poésie de langue française des années 1970 à 1990, il faut être particulièrement attentif à la sienne. À un Emmanuel Hocquard non pas stricto sensu poète littéraliste (le littéral sans le figural, qu’est-ce que cela signifie ?), mais amoureux définitif du poète américain Charles Reznikoff, hanté par le sens commun à partir duquel, précisément, le même mot, repris, diffère, se gauchit.
On y percevra jusqu’à ce passage « nouveau » pour le poème qu’a su montrer et dire Apollinaire dans l’épuisement même de l’élégie (Perdre / Mais perdre vraiment / Pour laisser place à la trouvaille). Car il faut bien recommencer par là, par les poèmes d’Emmanuel Hocquard où un réel a lieu :
Bruns, verts & noirs
Ne dis pas les éclats de verre sont les mots
ou sont comme les mots du poème
Chère B., oublie les mots
ne compte pas les années
Ne pense pas tu tiens dans ta main
les morceaux du poème, le temps
N’écris pas la couleur contient l’histoire
Ces cailloux ne disent pas mer Égée
sur les enveloppes
Ces tessons ne sont pas les syllabes
ces enveloppes ne contiennent pas de lettres
Ne rêve pas que tu étouffes chaque nuit
(extrait de Théories des tables, P.O.L, 1992)
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Voir ici pour plus d’information sur Emmanuel Hocquard. Sur Mediapart, voir également ici.
Selon les sources, l’année de naissance d’Emmanuel Hocquard varie entre 1937 et 1940. Par un curieux hasard, un poète cher, Guy Benoit, me rappelait ces jours-ci ce mot d’Emily Dickinson : « L’abîme n’a pas de biographe. »
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