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Billet de blog 1 novembre 2025

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Ukraine / une lettre à la gauche occidentale, depuis l'Europe centrale et orientale

D'ici, dans cette partie du monde, c'est comme assister à une pièce de théâtre moralisatrice jouée dans une langue qui n'a pas de mot pour nous. Vous traitez l'impérialisme comme un phénomène exclusivement anglophone, une simple structure construite à Washington, entretenue par Londres, et nulle part ailleurs.

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Illustration 1
Russes partez chez vous !! © dumplingradical

une lettre à la gauche occidentale

avec frustration, depuis l'Europe centrale et orientale

ravioli radical

20 octobre 2025

Je dirais qu'il faut parler de votre silence, mais en réalité, il faut parler de votre bruit.

Plus précisément, tout ce bruit que vous faites autour de l'empire, de la libération et de la solidarité, alors que vous trouvez mille raisons de détourner le regard de l'impérialisme russe. Vous avez écrit des dissertations sur les crimes des États-Unis et d'Israël (et vous avez raison), mais dès que des missiles s'abattent sur Kharkiv ou Kiev, vous vous mettez à ressasser sans cesse la « provocation de l'OTAN » et les « guerres par procuration ». Vous ne percevez les nuances que lorsque l'empire est drapé de symboles et d'esthétique soviétiques ou lorsqu'il s'agit d'une entité que vous considérez comme un adversaire de l'hégémonie américaine. C'est réducteur et puéril [Campiste, disons-nous en Europe, NDT].Je dirais qu'il faut parler de votre silence, mais en réalité, il faut parler de votre bruit.

Plus précisément, tout ce bruit que vous faites autour de l'empire, de la libération et de la solidarité, alors que vous trouvez mille raisons de détourner le regard de l'impérialisme russe. Vous avez écrit des dissertations sur les crimes des États-Unis et d'Israël (et vous avez raison), mais dès que des missiles s'abattent sur Kharkiv ou Kiev, vous vous mettez à ressasser sans cesse la « provocation de l'OTAN » et les « guerres par procuration ». Vous ne percevez les nuances que lorsque l'empire est drapé de symboles et d'esthétique soviétiques ou lorsqu'il s'agit d'une entité que vous considérez comme un adversaire de l'hégémonie américaine. C'est réducteur et puéril.

D'ici, dans cette partie du monde, c'est comme assister à une pièce de théâtre moralisatrice jouée dans une langue qui n'a pas de mot pour nous. Vous traitez l'impérialisme comme un phénomène exclusivement anglophone, une simple structure construite à Washington, entretenue par Londres, et nulle part ailleurs. Mais nous avons vécu les chars « antifascistes » de Moscou, ses occupations « fraternelles », cette forme de libération qui se termine en prisons et en déportations. L'impérialisme russe n'a pas disparu avec les tsars ni les Soviets. Il a simplement appris à parler votre vocabulaire, et vous avez été assez naïfs pour en boire chaque mot.

Quand nous le soulignons, vous nous traitez de « russophobes », comme si la mémoire et les archives historiques étaient des péchés. Vous ridiculisez nos révolutions (1968, 1989, Maïdan) en les qualifiant de « révolutions de couleur », de complots de la CIA ou de spectacles occidentaux. Vous refusez de croire que des gens comme nous puissent se soulever pour leur propre compte. À vos yeux, la libération n'est authentique que lorsqu'elle s'oppose à une entité occidentale ou lorsque les influenceurs gauchistes et crétins du PSL [Post-Soviet Left, NDT] et les créateurs de mèmes que vous suivez en parlent.

Pendant ce temps, des militants de gauche, des anarchistes, des féministes et des syndicalistes ukrainiens meurent en première ligne. Ils ne se battent pas pour l'OTAN, mais pour le droit à l'existence et pour l'idée fondamentale que la classe ouvrière mérite de vivre libre du joug de l'impérialisme russe. Parmi eux, certains étaient des organisateurs syndicaux, des socialistes, des anarchistes, des punks et des antifascistes. Désormais, leurs noms sont gravés sur des monuments commémoratifs, ignorés par le mouvement même qui, pensaient-ils, les soutiendrait. Leur mort remet en question vos théories, alors vous détournez le regard ou vous inventez les excuses les plus pitoyables.

Et puis il y a votre slogan : « Pas de guerre, mais une lutte des classes. » Facile à scander en sécurité, impossible à vivre sous les bombardements. Vous le prononcez comme une formule magique, comme si votre rhétorique suffisante pouvait arrêter l'artillerie. Mais il n'y a pas de lutte des classes pure quand les usines sont bombardées, quand les ouvriers sont déportés, quand les syndicalistes sont exécutés. La lutte des classes que vous invoquez est déjà en cours. Elle a pris la forme de pauvres et de travailleurs ukrainiens qui se battent pour survivre. Vous refusez simplement de la reconnaître, parce que les morts parlent une langue que vous ne prenez pas la peine de traduire ou viennent d'un pays que vous avez toujours considéré comme « problématique » parce qu'il remettait en question la théorie soviétique à laquelle vous vous accrochez désespérément et autour de laquelle vous construisez vos personnalités.

Vous dites détester les empires, mais vous n'en visez qu'un seul. Vous vous indignez de l'hégémonie américaine tout en excusant la conquête russe. Vous idéalisez la « multipolarité », comme si choisir un autre empire revenait à en démanteler un. Vous vous persuadez que la solidarité signifie s'opposer à l'Amérique à tout prix, même si cela implique de se ranger, dans les faits, du côté de ceux qui violent des civils, enlèvent des enfants pour les rééduquer [rusification, NDT] et bombardent des hôpitaux en prétendant agir pour la libération.

Et pourtant, nous essayons toujours de trouver un terrain d'entente. Nombre d'entre nous ici soutiennent la Palestine sans équivoque. Nous sommes révoltés par l'apartheid israélien, par l'occupation et les massacres, par l'arrogance coloniale qui se dissimule derrière un discours sécuritaire et un nationalisme fallacieux. Nous le comprenons, car beaucoup d'entre nous l'ont vécu. Mais lorsque nous pénétrons dans vos espaces, lorsque nous marchons à vos côtés ou tentons de nous organiser, l'atmosphère change. Vous nous regardez avec suspicion, comme si les Européens de l'Est étaient incapables de comprendre ce que signifie la colonisation. Vous confondez notre situation géographique avec un privilège, notre douleur avec de la propagande. Vous nous riez au nez et nous traitez de « lavage de cerveau » lorsque nous essayons de raconter l'histoire de nos familles ou d'expliquer pourquoi l'impérialisme russe reste de l'impérialisme.

Nous constatons la montée du fascisme dans vos pays et nous sommes profondément touchés. Nous savons ce que cela signifie lorsque les médias mentent, lorsque les groupes vulnérables sont pris pour cible, lorsque des personnes disparaissent, lorsque la cruauté devient une identité nationale et lorsque la vérité s'effondre sous le joug d'une idéologie dangereuse. Nous souhaitons que vous remportiez vos combats contre l'État, contre la police, contre les fascistes et les milliardaires. Et nous sommes heureux de faire tout notre possible pour vous aider. Mais la solidarité ne peut être à sens unique. Vous attendez de nous de l'empathie ; vous n'apprenez jamais notre histoire, vous ne prenez jamais nos luttes au sérieux et vous ne nous considérez même pas comme des êtres humains.

Vous appelez à la révolution, mais ce que vous convoitez en réalité, c'est le contrôle du récit. Vous citez Lénine ou des révolutionnaires du Sud, mais vous ignorez les populations qui vivent les luttes que vous idéalisez. Vous utilisez des slogans pour masquer les souffrances et détourner l'attention des victimes. Vous nous réduisez à des métaphores pour que votre monde reste d'une simplicité confortable : l'Amérique, le grand méchant, et tous les autres, simples figurants ou insignifiants.

Si votre anti-impérialisme ne s'applique que lorsque les bombes tombent en anglais, ce n'est pas de la solidarité. C'est du narcissisme déguisé en vertu, l'incarnation même de l'exception américaine.

Nous n'avons pas besoin de votre pitié. Nous avons besoin de lucidité. Nous avons besoin que vous voyiez l'empire, même lorsqu'il arbore les symboles que vous admirez et dont vous vous drapez pour tenter de paraître subversifs dans vos banlieues américaines. Car si vous en êtes incapables, si votre prétendue solidarité internationaliste s'arrête à Berlin, alors vous ne construisez pas une gauche mondiale. Vous continuez simplement à vivre dans vos propres bulles de déni.

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