Il faut relever d'abord la discrétion de la presse sur cette commission parlementaire d'enquête sur " l'indépendance du pouvoir judiciaire " depuis le début de l'année, au regard d'une actualité abondante qui justifie une couverture plus substantielle.
Les déclarations de Madame Houlette n'ont rien d'extraordinaires quant " Les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l'autorité du garde des sceaux, ministre de la justice. A l'audience, leur parole est libre. " (art. 5 de l'Ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature). Ce texte n'a pas été modifié lors de la réforme de 2013 supprimant les instructions individuelles du garde des Sceaux et introduisant une obligation d'impartialité des magistrats du parquet.
Le ministère public est hiérarchisé et qu'il y a un principe d'unicité du parquet. Cette hiérarchisation apparaît assez clairement dans la composition du parquet général près la Cour de cassation dont font partie les procureurs généraux des cours d'appel, lesquels sont les supérieurs hiérarchiques des procureurs de la République.
Entendue le 10 juin par la commission d'enquête parlementaire sur l'indépendance de la justice, l'AFP et la presse en général font une recension particulièrement limitée et orientée, puisqu'il a fallu attendre l'instrumentalisation politique de trois phrases pour que le public soit (très mal) informé de cette audition très intéressante par ailleurs.
L'intervention d'Eliane Houlette est beaucoup plus large que la seule affaire Fillon (not. à partir de 23') - anecdotique ? - et les réactions opportunistes qui s'ensuivent.
Elle aborde l'anachronisme de la justice française et son inadaptation aux exigences posées par les standards européens modernes, tout particulièrement du ministère public.
Elle en retrace l'histoire et les motivations.
Eliane Houlette souligne aussi l'action déterminante des avocats - malgré cela, les élus ne la reprennent pas sur une réévalutaion de l'aide juridictionnel et l'élargissement de son assiette.
Elle a précisé qu'elle faisait actuellement l'objet d'une poursuite pour avoir répondu aux questions d'un avocat.
nb : Cette enquête est étonnante alors que le principe du contradictoire s'impose au ministère public. Le Conseil constitutionnel juge que le parquet n'est qu'une partie au procès : "Il n'est pas douteux que le parquet est une partie au procès pénal et que par conséquent il est contraire aux règles du procès équitable de doter une partie d'une faculté que la ou les autres n'ont pas" (Décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002) et "Tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice" et que le parquet ne jouit d'aucune situation contraire au principe d'égalité des armes : " le principe de l’égalité des armes – l’un des éléments de la notion plus large de procès équitable – requiert que chaque partie se voie offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire " (CEDH requête no 28584/03 c. France et « L’égalité des armes dans les enceinte judiciaires » par M. Jean-Pierre Dintilhac, conseiller à la Cour de cassation).
Madame Houlette évoque en fin de séance la police qui manque d'effectifs en matière économique et financière.
Ces amorces à débattre son restées vaines.
Il n'y a pas eu de réaction particulière des élus, malgré une prise de conscience tardive de l'exécutif à se rendre compte de l'importance à renforcer la lutte contre la corruption à propos de laquelle la France est très en retard depuis des années.
S'agissant de l'affaire Fillon, Eliane Houlette a répondu comment s'est décidé en toute indépendance l'ouverture de l'enquête au vu de l'importance manifeste des soupçons d'emplois fictifs révélés par le Canard Enchaîné.
nb : le code de procédure pénale ne prévoit aucun délai pour le parquet d'ouvrir une enquête dès lors qu'il apprend des faits par la clameur publique qui peuvent le justifier.
Il est tout de même important de relever que c'est sur interpellations répétées et insistantes des élus (47'57" et relancée à 54' puis 56'30") que l'ancienne cheffe du parquet national financier (PNF) en est venue à préciser comment s'exercent ce que rapporte la presse à propos des « pressions » - il me semble que le terme est beaucoup plus souvent dans la bouche des élus - de la hiérarchie dans des affaires.
Cela n'a rien de d'extraordinaire puisque le ministère public est " unique et indivisible " et qu'il est hiérarchisé.
Il est peu vraisemblable aussi qu'une ouverture d'instruction le même jour ait écarté le doute, puisque c'est le parquet aussi qui le requiert.
Il n'est pas précisé si le parquet national financier dispose de juges d'instruction spécialisés qui lui sont exclusivement rattachés ou s'il doit déléguer ce dossier à l'instruction du TGI de Paris.
N'y aurait-il pas lieu d'envisager une juridiction nationale spécialisée pour lever toute ambiguïté ou risque de suspicion ?
« Un contrôle très étroit », « une pression très lourde »
Selon l'AFP et le Parisien, Eliane Houlette aurait évoqué un « contrôle très étroit » du parquet général, son autorité de tutelle directe, dans la conduite des investigations.
L'ancienne magistrate a évoqué « des demandes de transmission rapide » sur les actes d'investigation ou les auditions. Elle a même précisé avoir été convoquée par le parquet général dans son cabinet pour s'entendre recommander l'ouverture d'une instruction.
Interdiction de donner des instructions
Le parquet général peut demander des remontées d'information aux parquets et les transmettre à la direction des affaires criminelles et des grâces au sein de la Chancellerie pour contribuer à l'orientation de la politique pénale.
Eliane Houlette ne s'en émeut pas.
L'exigence de précisions des demandes selon les dossiers et leur cadence à plusieurs fois pas jour parfois avec une exigence de rapidité ne paraît cependant plus poursuivre ce but d'améliorer la politique pénale.
Le détournement des règles dans un but étranger à celui qui les motivent est de nature à créer un doute sérieux dans l'opinion et lui faire perdre confiance dans l'institution, comme le souligne la Cour européenne des droits de l'Homme dans l'affaire Guja.
Le syndicat de la magistrature a publié un communiqué demandant l'interruption de ces pratiques (mise à jour 21/6/2020)
" Les remontées d’information ne sont le plus souvent justifiées par rien d’autre que le désir malsain du pouvoir politique de connaître les avancées de l’enquête, quitte à en faire parfois un très mauvais usage. Il est grand temps de passer aux actes et de les interdire. "
Rappeler ce risque est d'autant plus pertinent qu'il est déjà arrivé que ces remontées d'informations soient adressées et utilisées illégalement au cabinet du garde des Sceaux.
Le citoyen curieux sera déçu par la mauvaise qualité du son, voire son absence (les questions de Cécile Untermaier sont inaudibles ou presque). L'Assemblée nationale peut encore faire un effort pour passionner le public sur ses travaux.
Prolonger :
Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire
La vidéo de l'audition de Madame Eliane Houlette
Les ministres de la justice :
- Jean-Jacques Urvoas Janvier 2016 à mai 2017
- François Bayrou Mai-juin 2017
- Nicole Belloubet Juin 2017 à aujourd'hui