L'intérêt de cette question ne doit pas être réduite à l'espèce, car elle emporte des conséquences générales, s'appliquant à tout cumul de sanction - fiscale administrative pénale - mais aussi, selon la réception de la Convention européenne des droits de l'Homme dans l'ordre public français que fera la Conseil constitutionnel, de multiples incidences, en matière de maintien de l'ordre ou de la défense des droits sociaux, laquelle prévaut déjà en France sur les libertés d'entreprendre et du commerce, puisque la jurisprudence Dieudonné consacre la prééminence de la dignité " matrice de tous les droits de l'Homme " sur l'exercice des libertés fondamentales.
On ne peut pas cumuler une procédure administrative et une procédure pénale pour les mêmes faits selon le principe non bis in idem (article 4 protocole additionnel N°7) et ceux dégagés par la Grande Chambre dans l’affaire Sergueï Zolotoukhine c. Russie (N° 14939/03, 10 février 2009).
La Cour a rappellé cette prohibition dans une décision récente contre l'Italie.
Le Conseil constitutionnel vient d'être saisi d'une question préjudicielle à ce propos pour une affaire de délits d'initiés. L'intérêt de cette question ne doit pas être réduite à l'espèce, car elle emporte des conséquences générales, s'appliquant à tout cumul de sanction - fiscale administrative pénale - mais aussi, selon la réception de la Convention européenne des droits de l'Homme dans l'ordre public français que fera la Conseil constitutionnel, de multiples incidences, en matière de mantien de l'ordre ou de la défense des droits sociaux, laquelle prévaut déjà en France sur les libertés d'entreprendre et du commerce, puisque la jurisprudence Dieudonné consacre la prééminence de la dignité " matrice de tous les droits de l'Homme " sur l'exercice des libertés fondamentales.
La Cour de Strasbourg a confirmé l'impossibilité de d'engager plusierus procédures et de cumuler deux sanctions pour des mêmes faits dans sa condamnation récente de l'Italie". (AFFAIRE GRANDE STEVENS ET AUTRES c. ITALIE - Requêtes nos 18640/10, 18647/10, 18663/10,18668/10 et 18698/10). Comme dans l'affaire Zolothoukine, la Cour sanctionne l'inconformité aux droits de l'Homme d'une double poursuite administrative et pénale pour un fait identique.
Au § 227 de son arrêt Grande Stevens, la Cour de Strasbourg constate que " il s’agit clairement d’une seule et même conduite de la part des mêmes personnes à la même date " et que " Il s’ensuit que les nouvelles poursuites concernaient une seconde « infraction » ayant pour origine des faits identiques à ceux qui avaient fait l’objet de la première condamnation définitive " et, qu'en conséquence, la Cour conclut à l’unanimité qu'il y a la violation de l’article 4 du Protocole n° 7 consacrant le principe non bis in idem, dès lors que les mêmes personnes sont poursuivies et sanctionnées pour une même conduite (donc des faits identiques).
Il est intéressant de voir que la Cour rappelle (voir STEVENS §§ 207 et ss.) qu'une réserve générale ne peut pas faire échec au but et à l'efficacité de la Convention, selon une jurisprudence bien établie depuis sa décision en Cour plénière Belilos c. Suisse, 29 avril 1988 (§§ 55 et 59, série A n° 132).
Elle a consacré très clairement le sens et la portée de ce principe fondamental en invoquant la nature constitutionnelle européenne des droits de l'Homme, qui écarte toute interprétation ou réserve susceptible d'y porter atteinte, dans l'arrêt Loizidou, lequel explique cette jurisprudence écartant les réserves susceptibles de faire échec à l'effectivité des dispositions garanties par la Convention :
" Si, comme le prétend le gouvernement défendeur, ces dispositions permettaient des restrictions territoriales ou sur le contenu de l’acceptation, les Parties contractantes seraient libres de souscrire à des régimes distincts de mise en oeuvre des obligations conventionnelles selon l’étendue de leurs acceptations. Un tel système, qui permettrait aux Etats de tempérer leur consentement par le jeu de clauses facultatives, affaiblirait gravement le rôle de la Commission et de la Cour dans l’exercice de leurs fonctions, mais amoindrirait aussi l’efficacité de la Convention en tant qu’instrument constitutionnel de l’ordre public européen. " (Loizidou c. Turquie exceptions préliminaires N°15398/89 23 mars 1995).
La Cour de Strasbourg a étendue l'emprise de la Convention en intégrant à son interprétation tous les instruments juridiques protecteurs des droits de l'Homme, y compris ceux que n'a pas ratifiés l'Etat défendeur et même ceux dépourvus de valeur contraignante, pour s'assurer de la conformité de ses décisions à la pratique majoritaire des Etats dans l'affirmation des droits de l'Homme :
" 85. La Cour, quand elle définit le sens des termes et des notions figurant dans le texte de la Convention, peut et doit tenir compte des éléments de droit international autres que la Convention, des interprétations faites de ces éléments par les organes compétents et de la pratique des Etats européens reflétant leurs valeurs communes. Le consensus émergeant des instruments internationaux spécialisés et de la pratique des Etats contractants peut constituer un élément pertinent lorsque la Cour interprète les dispositions de la Convention dans des cas spécifiques.
86. Dans ce contexte, il n’est pas nécessaire que l’Etat défendeur ait ratifié l’ensemble des instruments applicables dans le domaine précis dont relève l’affaire concernée. Il suffit à la Cour que les instruments internationaux pertinents dénotent une évolution continue des normes et des principes appliqués dans le droit international ou dans le droit interne de la majorité des Etats membres du Conseil de l’Europe et attestent, sur un aspect précis, une communauté de vue dans les sociétés modernes (voir, mutatis mutandis, Marckx, précité, § 41). " (CEDH Grande Chambre Affaire Démir et Bayakar c. Turquie N° 34503/97 12 novembre 2008)
La Cour, soucieuse d'affirmer, une pratique convergente des Etats s'est également prononcée sur l'obligation des Etats à respecter ses décisions, ce qu'a fait la Cour de cassation.
La Cour de Strasbourg juge qu'une juridiction nationale confrontée à une jurisprudence européenne « applique directement la Convention et la jurisprudence de la Cour. » (CEDH Affaire Verein gegen Tierfabriken Schweiz c. Suisse 4 octobre 2007 § 55) et que les Etats conservant dans leur ordre juridique respectif une ou des normes nationales similaires à celles déjà déclarées contraires à la Convention sont tenus de respecter la jurisprudence de la Cour sans attendre d'être attaqués devant elle (Modinos c. Chypre Requête n°15070/89 § 18 et s.).
L'Assemblée plénière de la Cour de cassation a réceptionné cette jurisprudence et l'a consacrée dans un arrêt de principe en jugeant que “ les Etats adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation”. (Arrêt N°10.30313).
La justice judiciaire ne peut dès lors que respecter la solution de la Cour de Strasbourg et constater qu'une administration sanctionnant un comportement prive le parquet d'action judiciaire, à moins que la parquet n'ouvre une instruction dans laquelle le juge puis le tribunal n'écartent la décision administrative, comme le permet l'article 111-5 du code pénal, consacrant le principe de prééminence de l'appréciation des faits par le juge judiciaire sur l'administration.
Le Tribunal des Conflits a étendu ce pouvoir d'appréciation en reconnaissant au juge judiciaire le pouvoir d’apprécier la légalité d’un acte administratif au regard du droit de l’Union et de l’écarter de lui-même s'il viole le droit de l'Union (Dalloz). Le juge judiciaire ne peut pas refuser de répondre à ce moyen de violation du droit de l'Union par un acte administratif sans violer lui-même le droit de l'Union,selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (affaire C-224/01 Köbler), et emporter ainsi la responsabilité de l'Etat et l'obligation de réparer (Affaire C-46/93 Brasserie du Pêcheur et affaire C-48/93 Frankovitch).
Le Conseil d'Etat ne peut que s'aligner sur la solution adoptée et consacrée par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation quant la section du contentieux écarte les dispositions d'une loi validant des contrats irréguliers, dès lors que l'application de cette loi à l'espèce la rend contraire à la Convention européenne des droits de l'homme (CE, sect., 10 nov. 2010, n° 314449).
Le droit interne français montre déjà qu'il ne saurait donc plus y avoir de sanctions disciplinaires pour des faits répréhensibles pénalement, sachant, qu'en toute logique, l'administration est tenue de se dessaisir de ces poursuites en dénonçant immédiatement les infractions au ministère public conformément à son obligation de le faire posée par l'article 40 alinéa 2 du code de procédure pénale.
Il y a dès lors à s'interroger déjà sur la légalité des procédures disciplinaires diligentées en parallèle à des procédures pénales et se poser la question de la bonne foi de l'administration.
L'appréciation de la question que pose les requérants au Conseil constitutionnel se fera à la lumière des déclarations et du dialogue des juges, de l'ordonnancement juridique européen, qui s'affirme à travers la convergence des textes et la volonté des Etats (voir l'article 6 du traité de l'Union et l'article 88-1 de la Constitution), en conformité aux différents instruments protecteurs des droits de l'Homme, contraignant ou non, et selon le principe de bonne foi, " pacta sunt servanda ", posé par le droit des traités internationaux (Art. 26 et 27 de la Convention internationale de Vienne de 1969).
Cette convergence s'affirme clairement dans l'évolution de la jurisprudence française par sa réception de la norme fondamentale de l'ordre public européen qui s'affirme grâce à la " Convention européenne des droits de l'homme en tant qu’instrument constitutionnel de l’ordre public européen " (Loizidou c. Turquie 23 mars 1995 §75) et à la Charte européenne des droits fondamentaux.
Cela montre combien les effets de la réponse du Conseil constitutionnel dépassent largement le litige des requérants poursuivis pour un délit d'initiés, qu'ils contestent.
Le droit ne s'apprécie plus dans une branche isolée.
La décision Dieudonné du Conseil d'Etat limite l'exercice d'une liberté, fut-elle la plus importante comme l'est la liberté d'expression selon la Cour européenne des droits de l'Homme, par l'obligation à ne pas porter atteinte au respect d'autrui. La décision du Conseil d'Etat, ne fait pas obstacle à la Cour européenne des droits de l'Homme. Bien au contraire, la complète et l'éclaire en faisant prévaloir la primauté de la dignité que consacre en premier, dans son Titre premier, la Charte européenne des droits fondamentaux, qui a valeur de traité, et selon laquelle s'apprécie la conformité du droit de l'Union et l'application de ce droit par les Etats membres.
Le Conseil d'Etat vient préciser que la dignité est la limite infranchissable à l'exercice des libertés.
Cette décision pose la première pierre d'un progrès déterminant dans la défense des droits sociaux.
Toute liberté, notamment celles d'entreprendre ou du commerce, doit dorénavant et nécessairement s'exercer dans les limites infranchissables du respect d'autrui. Un contrat de travail ne peut pas, sous quelque prétexte qu'il soit, comporter des obligations faisant grief à la dignité, c'est-à-dire à un revenu décent, des conditions de travail digne, la santé ou la sécurité du travailleur. Le respect de la dignité de la personne élevée par le Conseil d'Etat comme norme fondamentale devient nécessairement la référence de la moralité publique en vertu de laquelle s'interprète les exceptions à la liberté du commerce posée par l'article 36 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne et l'article XX a du GATT. Cela peut expliquer les tentations des Etats à contourner les règles de l'OMC ou de l'Union, par des accords bilatéraux négociés secrètement, au mépris du principe de transparence rappelé par la Cour de Luxembourg à propos de l'accord SWIFT, et donc de l'accord TTIP, sur la base d'un mandat dont l'effet, comme en témoigne le mécanisme d'arbitrage portant atteinte au monopole de juridiction de la CJUE, modifie les compétences des institutions, fixées par les traités, au mépris de droit de l'Union.
La validité de l'enquête des gendarmes de l'IGGN à propos de la mort de Rémy Fraisse s'apprécie en considération de tout ce qui précède, nonobstant la question de savoir pourquoi le ministère de l'intérieur n'a pas associé l'inspection générale des services judiciaires, comme le demande l'article 15-2 du code de procédure pénale, et l'absence de démonstration de la conformité des règlements de police et de gendarmerie au droit international humanitaire dans l'emploi de la force et à la norme fondamentale de l'ordre public français, qu'est le respect de la dignité humaine, comme l'a pourtant fait consacrer lui-même le ministère de l'intérieur contre Dieudonné par le Conseil d'Etat. Il est étonnant que le demandeur oublie ce qu'il est parvenu à faire reconnaître en justice.
La QPC déposée par les personnes poursuivies pour un délit d'initiés mobilise des moyens de droits susceptibles de faire évoluer de manière déterminante dans l'affirmation des droits fondamentaux à l'avantage des plaideurs les plus modestes, notamment dans la défense des droits sociaux, qui sont des droits de l'Homme intangibles, et dont le droit international contraignant prohibe la régression, ce que persiste à ignorer un majorité d'élus qui y font grief.
Il faut s'interroger sur le silence et la mansuétude de ceux qui s'abstiennent à le dénoncer efficacement, comme ils pourraient le faire et comme ils en l'obligation, selon l'article 2 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen : De l'obligation des partis politiques d'agir pour défendre pour défendre les droits sociaux
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À la suite de la visite de la Cour européenne des droits de l'Homme au Conseil constitutionnel le 13 et 13 février 2009, ceux-ci ont convenus de poursuive et approfondir leurs relations communes.
- Intervention de Lech Garlicki "Contrôle de constitutionnalité et contrôle de conventionnalité"
- Intervention de Françoise Tulkens "Convention européenne des droits de l'homme et cours suprêmes"
- Intervention d'Olivier Dutheillet de Lamothe "L'influence de la Cour européenne des droits de l'homme sur le Conseil constitutionnel"
- Intervention de Jean-Louis Pezant, "Cours suprêmes et convention européenne des droits de l'homme"
- Intervention de Pierre Steinmetz "Contrôle de constitutionnalité et contrôle de conventionnalité"
Mise à jour :
" Ne bis in idem : un principe simple, une mise en œuvre complexe " par Olivia Dufour in Les Petites Affiches, 15 octobre 2015, n° 206, p. 4
Olivia Dufour : " L'affaire Kerviel peut se reproduire "
Un journaliste critique : Affaire Kerviel Société Générale La fable d'Olivia Dufour
Un article dans La lettre des juristes d'affaires :
Ne bis in idem ou la partage de la poire en deux :
L’AMF a par ailleurs pris acte de la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015 consacrant le principe ne bis in idem et interdisant les doubles poursuites pénales et administratives (lire à ce sujet l’article d’Olivia Dufour : Ne bis in idem, les avocats ont gagné ! , réservé aux abonnés). Après l’arrêt Grande Stevens c/ Italie rendu par la Cour européenne des droits de l’homme le 4 mars 2014 condamnant le mécanisme de double sanction, l’AMF avait d’ailleurs mis en place un groupe de travail sur le sujet présidé par Gérard Rameix et Michel Pinault, président de la commission des Sanctions. À l’issue des réflexions, « nous pensons qu’il conviendrait de réserver la répression pénale aux seuls cas les plus graves, a déclaré le président de l’AMF. La sanction administrative devant quant à elle, dans un temps compatible avec la vie économique, réprimer les manquements objectifs qui ont altéré l’intégrité et le bon fonctionnement des marchés. Cette lecture est d’ailleurs tout à fait conforme aux dispositions de la directive abus de marché qui entrera en vigueur en 2016 » . (http://www.lja.fr/2015/05/rapport-annuel-de-lamf-les-marches-ont-repris-du-poil-de-la-bete/)
Double poursuite pénale et administrative : ce qui va changer
Valerie de Senneville / Journaliste | Le 05/02/2015 à 07:00 Les Echos.fr
" Au départ, ça partait plutôt d'un bon sentiment juridique : sous le coup d'une possible sanction venue de la Cour européenne des droits de l'homme, il fallait cesser, en France, le jeu pervers des doubles poursuites et des doubles sanctions, administratives et judiciaires. C'est ce que le Conseil constitutionnel a fait le 18 mars 2015 dans l'affaire désormais célèbre dite « EADS ». Pour la première fois, les sages s'emportaient et brisaient leur propre jurisprudence - et au passage celle du Conseil d'Etat - en affirmant que la « répression » du délit d'initié (peine pénale) concomitante ou successive à celle du manquement d'initié (sanction administrative infligée par l'Autorité des marchés financiers) était inconstitutionnelle. (...) "
" (...) le procès Wildenstein a été suspendu le 6 janvier dernier en attendant que la Cour de cassation se prononce sur la QPC déposée par les avocats du marchand d'art milliardaire. Dans cette affaire de fraude fiscale présumée concernant les droits de succession, les quatre critères posés par la Rue de Montpensier sont également remplis.
La question va encore se poser à l'ouverture du procès de Jérôme Cahuzac. (...) la double poursuite (et double sanction), fiscale et pénale, est sérieusement menacée. (...)
Autre front ouvert par les avocats : le 21 janvier, c'était au tour de la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) d'accepter de transmettre au Conseil d'Etat une QPC déposée par les avocats de Stéphane Richard. Le patron d'Orange (...) est poursuivi devant cette juridiction (...). Il est également mis en examen au pénal...(...)
Le 14 janvier dernier, les sages sont revenus sur leur propre décision. (...)
C'est peut-être pour le Conseil constitutionnel une manière de préparer le terrain au rejet des QPC en matière fiscale. (...). Pour esquiver la réponse à donner sur le fond, ils pourraient estimer, par exemple, qu'ils se sont déjà prononcés sur cette question, notamment dans une décision de 2011. "
Dalloz Actualités du 29 octobre 2014 :
Le Conseil constitutionnel ne remet pas en cause l’impartialité et l’indépendance de la CDBF
Le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (CE 23 juill. 2014, n° 380743, AJDA 2014. 1582 ), s’est prononcé sur onze dispositions du code des juridictions financières portant sur la composition, le fonctionnement et le pouvoir de sanction de la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF).