I-13 Coup de tonnerre dans un ciel serein : après la ruée vers l’Eldorado, l’exode des Blancs Métros de Nouméa la Blanche
I -131 Plus d’un Européen sur cinq, surtout les Métros, se sont tirés ou vont se tirer de Nouvelle-Calédonie de 2014 à 2024[1]… D’abord, la comparaison des résultats des deux recensements de 2014 et 2019
* Pourquoi coup de tonnerre ?
La population de Nouvelle-Calédonie serait maintenant, toujours d’après l’ISEE : en quasi-stagnation certaine pendant 5 ans à partir de 2014, selon le dernier recensement de 2019 ; en baisse probable de 2019 à aujourd’hui.
Cela en pleine incertitude de la période des trois référendums successifs (et en période de ralentissement économique) et, aujourd’hui, au moment des négociations sur l’avenir institutionnel comme suite au référendum de fin 2021 (en pleine crise économique avec PIB en baisse en volume de 2019 à 2021, avec cependant un fantastique rebond en 2022, mais à confirmer en 2023).
Plus de câlins sur le Caillou ? Plutôt « J’irai revoir ma Normandie ! ». On aura compris que la cause principale réside dans le flux migratoire extérieur net : beaucoup de Blancs (pas qu’eux, mais surtout eux) se sont fait ou se font la malle. Et en masse, mais pas tous les Blancs : les Caldoches sont restés (sauf quelque exceptions) et restent encore : il s’agit en quasi-totalité de Métros ou Zoreils[2] ; pourtant, pas (comme au début des années 1960 en Algérie) de mot d’ordre : « La valise ou le cercueil ».
* Le point de vue de l’ISEE quelquefois remis en cause
Bref : il n’y a pas que les Européens qui se tirent ou rêvent de se tirer ! Et pas seulement des Métros ! Tout est dit ; quelques exemples.
En avril 2021, un sondage[3] Quidnovi-ETOM/OcéaneFM indiquait que « 21% des Calédoniens partiraient en cas d’indépendance ! ». Des seuls Calédoniens non-Kanak ou de tous les habitants du Caillou ? L’article indique : « 1 Calédonien sur 5 estime que si le OUI l’emportait au prochain référendum, sa "situation et celle de sa famille" deviendrait "intenable". Ainsi, en cas d’indépendance, 11 % des Calédoniens déclarent qu’ils "ne savent pas s’ils pourront rester" et 10 % qu’ils seront certainement "contraints de partir". En définitive, cette inquiétude est partagée par 35 % des électeurs du NON. Autrement dit, en cas de victoire du "OUI", environ 57 000 Calédoniens (1 non-kanak sur 3) s’interrogent quant à leur départ de Nouvelle-Calédonie ».
La conclusion de l’article est intéressante : « … Et si c’était seulement ça l’objectif de la "lutte indépendantiste" : faire partir les non-kanak ? ».
Aucune distinction n’est alors faite entre les différentes communautés, pas plus qu’entre Caldoches et Zoreils. Et l’article de Calédosphère en rajoute : beaucoup de jeunes vont partir, même les Kanak[4] ! Et il ne cache pas ses préférences en conclusion (on croit entendre Metzdorf…)[5].
Second exemple, plus récent. Un sondage (toujours de QuidNovi[6], d’août 2023 contredit les affirmations de l’ISEE en indiquant : « Contrairement aux idées reçues, la majorité des familles qui sont parties étaient installées durablement en Nouvelle-Calédonie. Une partie d’entre elles comptait au moins un adulte natif de Nouvelle-Calédonie. Il ne s’agit donc pas de « personnes en séjour pour quelques années »[7].
Qui croire ? QuidNovi ou l’ISEE ?
* Réactions des intéressés et des média : plutôt du Non-Dit comme dirait Barbançon…
Toutefois, dans les médias, on n’en fit pas de gorges chaudes, et toujours en termes mesurés ; chez les loyalistes anti-indépendantistes, pas de pleurs, ou alors sous cape ; chez les indépendantistes, pas d’explosion de joie, ou alors bien cachées. Une étincelle peut mettre le feu à toute la plaine…
* Précisions de l’ISEE
La forte dynamique du taux de croissance naturelle, mais surtout celle de l’immigration historique pouvait laisser espérer (voir la Saison précédente) avant le revirement datant donc de 2014-2019 et bien documenté par l’ISEE après le recensement de 2019 (trois ans déjà…) une population de 300 mille âmes aujourd’hui et 322 milles en 2024[8] ; patatras, ce n’est qu’environ 270 milliers en 2022 et peut-être 266 milliers en 2024.
Pas grand monde de toute façon sur le Caillou : moins de 15 habitants / km2 (119 en France). Mais les deux-tiers de la population habitaient en 2019 le Grand Nouméa (Nouméa la Blanche[9] donc et ses trois banlieues) et surtout des Européens[10]. La baisse de la population du cœur de la Capitale entre 2014 et 2019 nous laisse à penser que la plupart des envols sont partis de là…

Agrandissement : Illustration 1

* L’émigration nette des Européens, surtout les Métros donc (selon l’ISEE…) et de quelques autres
Plus qu’un exode[11] : une catastrophe ! En Métropole, on immigre ; là-bas où l’on immigrait le plus souvent, maintenant on émigre : un Grand remplacement en verlan qui ne doit remplir d’aise l’inénarrable Zemmour. Catastrophe sociale qui éclaire un peu mieux la dynamique des Blancs sur ce Caillou.
Les Métros sont très mobiles : ils sont attirés par l’Eldorado, mais fuient en temps de crise (économique et politique) ; autrement dit, l’éventuelle Kanaky Nouvelle-Calédonie est bien l’une des dernières colonies du Nouveau Monde. Catastrophe économique qui était annoncée depuis 2019, effet et cause du ralentissement de la croissance depuis une petite décennie puis de la crise économique actuelle ; mais, répétons-le, dans un silence assourdissant. Il y avait, il est vrai : les successions de référendums de 2008 à 2021, dont la farce du troisième… (mais n’insistons-pas…) ; la crise de l’Usine du Sud (à Goro) fin 2019 et début 2021, et la quasi-reprise des « Événements » ; enfin le danger de la Covid en 2020 et surtout 2021.
Cette dernière période n’explique pas tout, loin de là. Tout a commencé en fait, répétons-le, dès 2014, l’ISEE ne s’en est donc rendu compte qu’avec le recensement de 2019 qui indiquait clairement le fort flux migratoire négatif net ; une lecture même pas trop attentive permettait déjà de comprendre que l’exode provenait des Européens, et en particulier des Métros[12] ; mais il l’écrivait de façon plus soft[13].
I-132 Et ça continue après 2019 !
* Les hésitations de l’ISEE fin 2022 et, surtout, une interrogation sur sa méthode d’évaluation
En septembre 2022, le même ISEE indiquait curieusement une croissance de la population en 2020 et 2021 ; mais se reprenait un peu plus tard notant : « Une dynamique démographique en berne dans un contexte atypique » ; il indiquait qu’au 1er janvier 2022, la population serait tombée sous la barre des 270 milliers d’habitants. Cette baisse serait simplement due (radotons…) mis à part les longs développements de l’ISEE sur la fécondité, la nuptialité et les décès, au solde migratoire déficitaire, en 2020 comme en 2021, le solde migratoire apparent est resté déficitaire ; la tendance de 2014-2019 se poursuit simplement, en pire d’après l’ISEE qui a ainsi vite corrigé le tir.
On peut néanmoins s’interroger sur la méthode employée par l’ISEE : il continue d’évaluer la migration externe nette actuelle à partir du modèle tiré de la période 2014-2019 pour les sorties, les entrées étant connues par les arrivées à l’aéroport international de La Tontouta. Mais rien ne dit que les flux de départ continuent sur le même rythme après 2019 ; l’hypothèse de l’ISEE ne semble choquer personne, même pas certains loyalistes qui pensent que la ruée vers l’or va recommencer, surtout après les trois référendums.
En 2021-2022, toujours pas de buzz ; mais quelques murmures au MEDEF local qui, pour une fois, se fait l’adepte de l’offre expliquée par la demande et voit d’un mauvais œil la consommation s’écrouler ; tout en se plaignant cependant du manque de main-d’œuvre (qualifiée) comme conséquence de cet exode qui risque de faire déraper le coût du travail… Catastrophe politique, encore peu évoquée, où ce Grand remplacement à l’envers verra peut-être la population kanak devenir ultra-majoritaire en 2024 (avec autour de 58 %, contre 25 % pour les Européens[14]) année charnière en matière de transformation institutionnelle.
La crise sanitaire de la Covid est souvent mise en avant comme explication du solde migratoire négatif après 2019 : elle n’est que très conjoncturelle, et avec elle les difficultés d’arrivées sur le Territoire (longtemps Covid free) pour se préserver du virus (en vain) et la facilité des départs, le recul des mariages et des naissances[15], le bond des décès (en fin 2021) ; l’ISEE est intarissable pour décrire par le menu, dans la presse, tous ces aspects démographiques qui nous semblent pourtant, insistons, une goutte d’eau dans le torrent de l’exode ; on va le montrer.
Mais on ne parle toujours pas ou peu de l’aspect ethnique ; pardon : de l’analyse par communauté… C’est ce que l’on propose de faire. Une image valant mille mots (… toujours selon Confucius) on ne fera à la suite que commenter, pour étayer ce qui vient d’être affirmé, les graphiques que le lecteur trouvera dans le texte.
* Une actualisation réjouissante ou pas, c’est selon le point de vue, de la répartition par ethnie… Mais le mouvement existait déjà, avec le recensement de 2019
Tous les mouvements de population du Caillou ne peuvent donc se comprendre sans les soldes migratoires extérieurs, l’ISEE ne s’y est pas trompé en les analysant de près sur le long terme : les bosses et creux (cependant rarement en territoire négatif) se succèdent. Bien sûr, ses évaluations pour 2020 et 2021 (malheureusement publiées juste avant un retour en arrière…) tablant sur une reprise de l’immigration positive nette (modifiant donc profondément la tendance de 2014 à 2019) furent pour le moins malheureuses[16].
Le taux de croissance naturelle de la population diminue (transition démographique déjà ancienne, natalité en forte baisse moins mortalité en plus légère érosion) d’un taux de moins de 3 % en 1965 à moins de 1 % actuellement ; le solde migratoire toujours positif (avec cependant, répétons-le, des hauts et des bas) depuis une quarantaine d’années, avant le choc 2014-2019 qui semble continuer, n’empêche pas le taux de croissance globale de la population de s’éroder.

Agrandissement : Illustration 2


Agrandissement : Illustration 3

Le second graphique ci-dessus illustre ce qui a été affirmé plus haut : la croissance de la population n’est plus ce qu’elle était. Plus enquiquinant est aussi le refus de plus en plus de Calédoniens de définir précisément leur communauté d’appartenance, et pas seulement pour les Métis. Ce qui n’était qu’un mouvement de mauvaise humeur où de volonté de se définir simplement comme Calédonien dans le cadre du fameux destin commun, jusqu’en 1996 (5 % de refus), devient depuis 2014 et surtout 2019, un mouvement de grande ampleur qui concerne plus d’un enquêté sur cinq en 2019 (graphique ci-dessous) : les parts de chaque ethnie déclarée (les seules, évidemment, publiées) deviennent complètement bidon !
Notre solution consistant à répartir ces indécis au prorata des réponses permet sans doute (même s’il s’agit d’une évaluation pas loin du doigt mouillé) de mieux appréhender la structure par ethnie du Caillou. Ce qui est sûr, c’est que même ce doigt mouillé ou ce pifomètre sont sans doute plus proches de la réalité que le ressassement des données brutes qui sous-estiment le poids des Kanak. Le fait que l’ISEE n’ait pas tenté d’affiner ces données brutes interroge.
* La répartition par Province est significative
La Provincialisation est, on l’a vu, à la base des accords de Matignon-Oudinot de 1988 et n’avait jamais été remise en cause jusqu’à récemment, sauf par des murmures. Du côté indépendantiste il le fut un temps[17] ; mais surtout du côté loyaliste, rarement de front jusqu’il y a peu, et seulement pour remettre en cause les discriminations positives (nombre d’élus au congrès ; répartition des ressources fiscales, etc.) rarement en allant plus loin. Rappelons qu’en mai 2021, le sénateur Pierre Frogier, du Groupe des Républicains, alla un peu plus loin dans la critique de cette provincialisation, souhaitant « négocier un désaccord » avec les indépendantistes ; il ajoutait cependant : « Il ne s’agit pas de se séparer mais de s’entendre sur nos divergences afin d’en limiter les effets ».
Cette provincialisation du Territoire est un mot et un objet lourd de sens, on l’a vu. Il a en grande partie permis d’éteindre l’incendie : chacun chez soi... Elle peut évoquer, certes en plus soft, le développement séparé (certains iront jusqu’à dire l’apartheid...) avec des migrations internes très spécifiques. La plus grande partie de la population se trouve donc en Province Sud : les trois quarts en 2019, dont deux tiers dans le Grand Nouméa ; un peu plus des deux tiers il y a quarante ans. Mais la majorité européenne est courte (39 %) contre 38 % de Kanak, après correction des données brutes de l’ISEE qui n’ont plus, radotons, le moindre sens) ; ces Européens sont toujours cependant soutenus politiquement par une large majorité de Wallisiens (et Futuniens), autour de 10 %, et la mosaïque des Asiatiques et autres Océaniens (dont surtout les Tahitiens) par ailleurs quasi absents des deux autres Provinces où les Kanak forment une majorité écrasante.

Agrandissement : Illustration 4


Agrandissement : Illustration 5


Agrandissement : Illustration 6

* Mais il y a, en plus, l’après 2019…
Ce qui n’était qu’une quasi-stagnation de la population de 2014 à 2019 devient une forte érosion qui saute aux yeux. Il s’agit encore de la combinaison des taux de croissance naturelle érodés et du solde migratoire négatif, encore plus important pendant les années Covid 2020 et 2021 selon les estimations de l’ISEE somme toute assez précises (quoique hardies et pouvant être infirmées quand paraîtront les résultats du recensement de 2024).
Plus dure serait la chute, selon notre analyse chiffrée dont nous sommes seuls responsables (seul un graphique soutenant notre prise de risque fut donné par l’ISEE...) utilise ces estimations. À partir de 2020, si les hypothèses hardies de l’ISEE ne sont pas farfelues, le solde migratoire négatif (autour de 3 000 départs nets par an : nettement plus qu’en 2014-2019, autour de 2 000) explique à lui seul le renversement.
* Plus délicate est l’analyse du passage du niveau de la population globale à celle par Communauté
La seule solution est de projeter le niveau connu de répartition du solde migratoire nette par ethnie de 2019 pour les années qui suivent ; et, en oubliant les aspects négatifs des deux années particulières de la crise sanitaire de 2020-2021 sur les taux d’accroissement naturel, qui rend relativement plausible le pessimisme qui suit sur la dynamique démographique.
On peut ainsi répartir le solde migratoire négatif global et approcher l’évolution probable de la population par communauté. Le résultat est frappant ; on comprend mieux pourquoi l’ISEE ne s’y est pas hasardé : c’est politiquement très gênant compte tenu du blocage actuel des négociations sur l’avenir institutionnel et la sortie des Accords de Matignon-Oudinot de 1988 et de Nouméa de 1998, la date butoir d’éventuels nouveaux accords étant justement 2024. Les Kanak deviendraient largement majoritaires au niveau du pays en 2024, avec 58 % contre 25 % pour les Européens : plus de deux fois plus. Si cette hypothèse pessimiste pour les tenants de la Calédonie française est risquée, celle d’un rapport 55-28 ou même 53-30 suffirait à émouvoir les loyalistes et à réjouir les indépendantistes…

Agrandissement : Illustration 7


Agrandissement : Illustration 8


Agrandissement : Illustration 9

On peut préciser un peu…

Agrandissement : Illustration 10


Agrandissement : Illustration 11


Agrandissement : Illustration 12


Agrandissement : Illustration 13

Les graphiques précédents (pour les pinailleurs amateurs de précisions) permettent de tirer quelques conclusions qui vaudront bien quelques discussions politiques animées.
De 2020 à 2024 en cumul, la population Kanak pourrait augmenter de 11 milliers ; celle des Européens chuter de 15 milliers. Bof, 15 milliers de moins ! Mais sur un pays de moins de 300 milliers d’habitants dont environ 100 milliers d’Européens… C’est - 5 % des habitants du Caillou et peut-être 15 % des Européens qui s’envoleraient (après des arrivées qui continueront pourtant) ; un peu plus qui prennent l’avion, car il reste une croissance naturelle positive, certes érodée : bref, il y aurait bien plus d’un Européen sur cinq qui aurait fui, de 2014 à 2024, l’Eldorado manqué ! Les Wallisiens devraient rester et même croître, comme sur 2014-2019 ; les ethnies très minoritaires, autres Océaniens et Asiatiques, s’envoleraient également (- 10 %), mais en nombres absolus bien plus faibles.
Explicitons quelques proportions. En France, cela ferait 13 millions d’habitants de moins si l’on utilise le ratio concernant les seuls Européens (20 % de 66 millions de Métropolitains)… Si ce n’est pas un désastre ou une catastrophe sur le Caillou[18], c’est quoi ?
En dix ans, de 2014 à 2024, on peut se consoler : c’est moins de 1 % de la population totale de 2014 qui aurait disparu (- 2,4 milliers) ; solde encore un peu positif de 2014 à 2019 (+ 2,6), mais solde très négatif sur 2019 à 2024 (- 5,1). Mais, c’est donc là l’explication principale, et de très loin, avec plus de – 9 % de solde migratoire (- 25 milliers) dont – 31 milliers d’Européens (surtout des Zoreils : on va le préciser) et – 4 milliers des minorités hors Wallisiens-Futuniens, compensés par un apport massif de Kanak (+ 11 ; qui sont-ils et d’où viennent-ils ?).
Les vases communicants ou le Grand remplacement en verlan…
* L’ISEE confirme. Ce ne sont pas tous les Européens qui s’envolent : ce sont bien surtout les Métros
Le lecteur qui n’aurait pas encore compris serait bien inattentif… ; mais ce n’est pas une évidence pour celui qui tente de comprendre de loin ce qui se passe sur le Caillou… où qui lisent les sondages locaux.

Agrandissement : Illustration 14


Agrandissement : Illustration 15

Les Européens se divisent (et pas seulement statistiquement ; mais là, l’ISEE est précis) entre Caldoches (nés sur le Caillou) et Métros, ou Zoreils, nés en général en France ou dans les ex-DOM-TOM (qui ont changé de nom ; mais qu’importe) : en gros, moitié-moitié en 2019 : 47 % nés sur le Caillou, 46 % nés en France, mais aussi 7 % nés à l’étranger ; en 1996, les proportions étaient assez différentes : respectivement, 57 % ; 35% et encore 7 %. Bref, les statisticiens nous permettent de mieux comprendre ceux qui arrivent ou s’envolent. L’immigration nette positive des Métros vers l’Archipel qui a fait son œuvre de 1996 à 2014 : (en milliers) + 13,4 pour les Métros ; - 8,0 pour les Caldoches qui ne sont pas immortels ; + 0,7 pour les nés à l’étranger. L’Eldorado : bonne activité économique et référendums encore loin. Renversement donc de 2014 à 2019 : - 7,7 milliers d’Européens de moins, dont 0,5 Caldoches de plus (il y a des jeunes qui font des petits) - 6,9 Métros et - 1,3 nés à l’étranger envolés. La fuite face à la crise économique et à la proximité des prises de décision démocratiques institutionnelles.
C’est aussi simple que cela ; ce ne sont pas les Caldoches qui fuient le danger Kanak, (sauf quelques-uns, mais la plupart, pas seulement les milliardaires en CFP qui ont assuré leur retraite en plaçant leur thune dans les paradis fiscaux proches) : ce sont les néocoloniaux de la Nouvelle néo-colonisation de Zoreils, à l’écoute des opportunités.
Pour ceux qui s’interrogent encore : de 1996 à 2009, c’est l’Eldorado (plus près de 10 milliers de Métros de plus), avec quelques Caldoches s’éteignant (- 6) ; de 2009 à 2014, c’est la même chose, en plus discret (respectivement + 4 et - 2) ; de 2014 à 2019, renversement complet (- 7 et + 0,5 respectivement) ; sur toute la période de près d’un quart de siècle, l’équilibre est presque parfait (+ 6,5 pour les Métros ; - 7,5 pour les Caldoches).
* La lutte contre les inégalités : peut mieux faire…
Mais ce n’est pas tout : la décolonisation sans indépendance tant vantée par les loyalistes n’est pas un franc succès au niveau de la lutte contre les inégalités…
Pour ce qui est de la structure de la population active au travail, l’ISEE nous informe clairement, ne fait pas le buzz dans sa communication, mais alerte toutefois sur les inégalités. Résumons de façon lapidaire : les Européens gagnent plus de thunes que les Kanak ; ils gagnaient certes, relativement, beaucoup plus en 1996 qu’aujourd’hui, mais encore largement plus après le quart de siècle qui a suivi les Accords de Nouméa de 1998. Ledit rééquilibrage et la discrimination positive, clés de la décolonisation sans indépendance, se sont avancés avec un pas de tortue malade !
La structure de la population active a certes évolué de la fin des années 1990 à la fin des années 2010… mais plutôt au bénéfice des Européens : 1 sur 6 était ouvrier en 1996 et 1 sur 10 en 2019 ; 28 % étaient employés en début de cette période et 19 % à la fin ; 40 % appartenaient aux professions intermédiaires et cadres au début de cette période et 54 % à la fin. Les éleveurs de brousse ont toujours été marginaux (2 % des Européens en 1996) et le restent en 2019 (1 %). Certes, les Kanak étaient encore en partie aux champs en début de période (12 % des leurs) mais y sont encore pas mal (6 % ; sans compter que ce fameux champ reste encore fondamental pour une grande partie de ceux qui vivent maintenant à Nouméa et dans sa banlieue) ; la proportion des ouvriers est la même sur toute la période (un gros tiers) idem pour les employés ; la proportion de Kanak dans les classes moyennes (professions intermédiaires et cadres) a en effet doublé (5 % au début ; 11 % à la fin) ; mais ça ne fait encore pas grand monde. Grâce aux discriminations positives et aux différents plans de formation, les Kanak prennent plutôt un escalier étroit que l’ascenseur social… Les Wallisiens-Futuniens étaient ouvriers à 55 % en 1996 ; ils ne sont plus que 38 %, mais, gros bras, forment les gros bataillons des ouvriers dans le BTP : ils sont peu passés employés (respectivement 38 % et 35 %), mais pas mal « classe moyenne-Middle Class » (7 % à 20 %) : leur dynamique est ainsi très différente de celle des Kanak.

Agrandissement : Illustration 16


Agrandissement : Illustration 17

* Quant aux inégalités de formations diplômantes, il reste un long chemin…
La seule vision des graphiques qui suivent est éclairante : les Européens montent en grade de diplôme, et ça se voit ; les Kanak également, mais ça se voit moins pour les post-bac, beaucoup mieux pour le niveau Troisième et plus et Bac. Mais ils reviennent de loin : près des deux tiers sans plus que le Certif (le CEP, le Certificat d'études primaires officiellement supprimé en France en 1989) en 1996 (cependant beaucoup mieux que du temps de Leenhardt) un peu plus d’un tiers en 2019 ? L’évolution du profil des Wallisiens-Futuniens est peu différente.
« Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons » affirmait Victor Hugo. La prison de Nouméa, le Camp est (une véritable horreur) vient de faire un petit (plus moderne…) qui devrait bientôt ouvrir à Koné, la Capitale de la Province Nord… Et le ministre de la Justice et garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, vient d’annoncer fin 2013 la construction d’une nouvelle prison à Nouméa[19].

Agrandissement : Illustration 18


Agrandissement : Illustration 19

* Conclusion sur le passage de l’Eldorado à l’Exode
L’un de mes profs nous faisait remarquer, il y a bien longtemps, que les ratios (un pourcentage significatif[20]) : « C’est comme les bikinis : ça donne des idées, mais ça cache l’essentiel ». Ceux de l’ISEE sur la répartition de la population par ethnie sont en plein dans le mille ; et en plus ils ne présentent plus, depuis 2009, aucune relation avec la réalité : les Kanak sont-ils minoritaires en 2019 (ratio brut) ou majoritaires (ratio corrigé, même au doigt mouillé, mais pas tant que ça).
Et, cet aspect technique mis à part, la communication de nos statisticiens patentés nous semble bien mesurée ; politique oblige, probablement ; même pour des technocrates. Ce ne sont pas des Européens qui fuient quand l’Eldorado se tarit, ce sont des non-natifs (surtout des Zoreils donc, ou des Tahitiens et Asiatiques, dont la fuite en nombre absolu est donc cependant dérisoire ; les Wallisiens-Futuniens s’accrochent aux murs du Caillou, faute de mieux[21]). Tout n’est peut-être pas perdu : on ne peut oublier qu’il existe encore une immigration à la recherche de l’Eldorado ; j’en connais, et de très proches... Et ils ne sont pas au courant de tout ce que je viens de conter...
Tout ce que compte et conte l’ISEE, ça va sans dire ou dit plus discrètement mais ça va mieux en le disant, même en langage plus fleuri, est quelquefois résumé par des critiques plus acerbes contre ces touristes néocoloniaux, propos que j’hésite à rapporter : « En cas de naufrage, les rats sont les premiers à quitter le navire ».
Notes
[1] Voir un premier billet sur Le Club de Médiapart, début 2021, très analytique mais peu polémique :
puis un deuxième, plus récent, fin octobre 2023, très polémique, renvoyant dans ses 22 mètres un démographe et économiste en herbe : le tout récent député Nicolas Metzdorf qui en a raconté de belles à l’Assemblée nationale… Voir :
Et, encore dans une prise de parole à l’Assemblée nationale en février 2024, notre démographe persiste et signe, évoquant 250 000 habitants ; il n’a probablement pas lu notre billet...
[2] L’ISEE le suggère discrètement, mais sans aller jusqu’à une affirmation péremptoire. Tout est dit en termes plus politiquement corrects : en évoquant les natifs et non-natifs, et sans plus de précision.
[3] Voir Calédosphère, fin avril 2021, sur un sondage avec un échantillon représentatif de 1032 personnes :
[4] « 14 % des jeunes, âgés de 18 à 30 ans, déclarent de prime abord qu’ils "ne savent pas s’ils souhaitent rester en Nouvelle-Calédonie". De même, 6 % des jeunes kanak partagent cet avis. Or, il est possible d’estimer le nombre de personnes concernées puisque l’ISEE-NC a rendu publiques les données du dernier recensement classées par âge et par communauté. Les jeunes kanak représentent en effet 18 520 personnes (ayant entre 20 et 30 ans) et les jeunes non-kanak 19 058 personnes du même âge. Autrement dit, selon ce sondage, plus d’un millier de jeunes kanak (environ 1 100 personnes) ne savent pas s’ils vont rester vivre sur le territoire tout comme près de 2 600 jeunes d’origines non-kanak soit en tout 3 700 " jeunes". C’est-à-dire plus que la population du village de La Foa ou d’Ouvéa et l’équivalent de la population de la commune de Canala… ».
[5] « À noter que parmi les électeurs du OUI, 54% d’entre eux estime que leur situation serait "identique" en cas d’indépendance (NDLA : à se demander alors pourquoi voter pour l’indépendance…). En définitive, une personne d’origine Kanak sur deux refuse majoritairement de prendre position sur cette question (54 % des électeurs du OUI, 50 % des électeurs de la province Nord et 47% des résidents des îles Loyauté). Ils ne sont en effet que 20 % parmi les électeurs du OUI à penser que leur situation personnelle sera meilleure en cas d’indépendance (dont 26 % des résidents des îles Loyauté). Du côté non-indépendantiste en revanche, le sentiment est totalement opposé puisque 1 jeune sur 3 non-kanak (32 %) et 37 % des personnes non-kanak âgés de plus de trente ans estiment que leur situation personnelle serait intenable en cas d’un vote OUI majoritaire. Autrement dit, et toujours selon les données de l’ISEE-NC, en cas d’indépendance c’est environ 30 000 Calédoniens qui estiment qu’ils seront contraints de partir et 27 000 autres qui s’interrogent sur leur devenir en Nouvelle-Calédonie, (soit l’équivalent de toute la population des communes de Paita et de Dumbéa) [Cette dernière phrase en écrite en rouge ! PC]. Dans cette hypothèse la Nouvelle-Calédonie verrait sa population passer en quelques années de 272 000 habitants à moins de 215 000, soit la population totale du Caillou à la fin des années 90 ».
[6] Le même institut de sondage qui, par ailleurs, a toujours très largement surestimé le poids du Non aux différents référendums d’autodétermination… Le sondage, commandé par la Chambre de commerce et d’industrie) porte sur 1 700 personnes, avec deux tiers des répondants résidant dans le Grand Nouméa (ce qui est donc, à cet égard, un échantillon représentatif).
[7] L’étude indique par ailleurs qu’un quart des sondés envisagent de quitter le territoire : « 12% sont certaines de partir, dont 8% à très court terme (1 à 2 ans). Par ailleurs, 14% sont susceptibles de quitter le territoire lorsqu’ils atteindront l’âge de la retraite. Au total, ils sont donc 39 % à penser à un éventuel départ du territoire. […] 17 % n'avaient pas confiance dans l'avenir du pays ; 11 % attestaient d'une incertitude sur le futur statut et le risque indépendance ; 9 % ont aussi évoqué un rapprochement familial ; 8% ont eu une fin de contrat, une mutation ou des opportunités ; 6 % ont déploré la vie chère en Nouvelle-Calédonie ».
[8] L’IEDOM (Institut d’émission des départements d’outre-mer) prévoyait, il y a peu, 321 milliers d’habitants en 2030 et 378 en 2050… Les prévisions sont difficiles, surtout en qui concerne l’avenir, répétait Churchill ; on en sait quelque chose…
[9] Épithète donnée par les indépendantistes pendant les années 1980 pour railler la couleur de son urbanisme et surtout le caractère de sa population.
[10] Nouméa est la seule agglomération (c’est en fait la seule ville…) du Caillou où les Européens sont majoritaires. Nouméa la blanche se colore… dans le Grand Nouméa (182 milliers en 2019) et de la seule commune de Nouméa (94 milliers). Comme dans tout le Territoire, la population stagne sur 2014-2019 et baisse à Nouméa-commune : - 6 milliers environ en 5 ans (soit - 1 200 par an) ; le chiffre ne dit pour le moment pas grand-chose, mais s’éclairera un peu plus loin. Allons, déflorons : il y eut 2 milliers de migrations nettes négatives par an de 2014 à 2018 ; ce serait bien le diable qu’une bonne partie ne vienne pas de Nouméa la blanche !
[11] Quelques références possibles bien que lointaines : la sortie des Hébreux d’Égypte sous la conduite de Moïse ; le bateau Exodus et les Juifs rescapés de la Shoah arrivant difficilement à Haïfa ; la Nakba (Catastrophe en arabe) ou fuite de la majorité des Arabes de Palestine lors de la guerre qui a suivi la déclaration d’indépendance d’Israël en 1948 (entre 700 000 et 750 000 sur les 900 000 qui vivaient dans la partie de Palestine qui sera sous contrôle israélien à l’issue de la guerre) ; on ne peut éviter de rajouter le million de rapatriés d’Algérie…
Encore une digression qui n’en est pas tout à fait une (tirée de l’article de Wikipédia, L’exode des Pieds-noirs) :
Exode des Pieds-noirs — Wikipédia (wikipedia.org)
(« … ou rapatriement des Français d’Algérie suivant l’appellation officielle […] une "vague" massive d’arrivées en France d’avril à juillet 1962 d’Algérois, Constantinois et Oranais d’origine européenne […] Selon un narratif répandu dans une partie de l’opinion française, les pieds-noirs auraient été conduits à quitter l’Algérie car menacés d’épuration ethnique. Des représentants du FLN auraient annoncé dès 1960 qu’"ils excluaient tout avenir pour les non musulmans". Ben Bella avouera trente ans après l’indépendance qu’il ne "pouvai[t] concevoir une Algérie avec 1 500 000 pieds noirs". Cependant, des appels de la direction du FLN, lancés en février 1960 aux Européens d’Algérie, auraient indiqué : "L'Algérie est le patrimoine de tous (...). Si les patriotes algériens se refusent à être des hommes de seconde catégorie, s’ils se refusent à reconnaître en vous des super-citoyens, par contre, ils sont prêts à vous considérer comme d’authentiques Algériens. L’Algérie aux Algériens, à tous les Algériens, quelle que soit leur origine" ».
Tout rapprochement avec l’éventuelle indépendance de la Kanaky Nouvelle-Calédonie serait purement fortuite…
[12] L’ISEE notait seulement dans la Synthèse : « Pour la première fois depuis 1983, le solde migratoire est négatif ». En lisant plus avant, on comprend que ce sont les non-natifs qui sont surtout partis.
[13] « Le net fléchissement démographique s’explique par un solde migratoire apparent devenu négatif pour la première fois depuis près de quarante ans. Entre 2014 et 2019, 27 600 personnes qui vivaient en Nouvelle-Calédonie en 2014 ont quitté l’archipel, soit un habitant sur dix. Les trois quarts des départs concernent des personnes qui ne sont pas nées en Nouvelle-Calédonie … Inversement, 17 300 personnes qui ne vivaient pas sur le Caillou en 2014 sont arrivées depuis. [...] Le solde migratoire apparent est déficitaire de 10 300 personnes entre 2014 et 2019, soit 2000 départs nets par an ». Résumé : « L’émigration importante de non-natifs explique en partie ce résultat ». Il faut lire les tableaux pour comprendre que les Européens ont en effet diminué de 7,7 milliers ; quand même près de 11 % de moins qu’en 2014… Différence sous-estimée ; on y reviendra, mais n’allons pas trop vite… Et des chiffres neutres ; aucune mise en relation avec la minuscule population de l’Archipel. L’ISEE notait seulement dans sa synthèse : « Pour la première fois depuis 1983, le solde migratoire est négatif ».
[14] Voir plus loin ; mais autant annoncer la couleur…
[15] Pas d’effet gros câlin donc des rares confinements ; contrairement à la Métropole.
[16] Par ailleurs, la courbe parfaitement plate (de la période de la quasi-guerre civile de 1984 à 1988 (dite les « Événements ») interroge… D’autant plus, on l’a indiqué, que l’ISEE fait référence à une forte migration négative nette au moins en 1983…
[17] Sauf erreur de ma part, par Louis Kotra Uregei, dit LKU, mort récemment, du Parti travailliste (celui du Caillou) et du syndicat USTKE ; mais on ne retrouve plus trace sur le Net de ses déclarations.
[18] Au Japon, depuis 2014, la population aura diminué de 5 millions d’habitants (128 millions en 2014, 123 environ en 2024) mais par écroulement de la natalité et le vieillissement, pas par solde migratoire négatif ! Si cela continuait, il n’y aurait plus que 74 millions de Japonais en 2100…
[19] « Il y aura une nouvelle prison à Nouméa » - La Voix du Caillou
[20] Par exemple, pour ce qui nous intéresse, celui des Kanak ou des Européens dans la population du Caillou…
[21] En 2019, 22 500 personnes vivant en Nouvelle-Calédonie se déclaraient Wallisiens ou Futuniens, auxquels s’ajoutaient 7 000 Wallisiens et Futuniens métissés : au total, 10,9 % de la population néocalédonienne, selon Wikipédia ; cela vaut de jeter un coup d’œil particulier sur ces immigrés :
Wallisiens et Futuniens de Nouvelle-Calédonie — Wikipédia (wikipedia.org)
La population à Wallis et Futuna n’est plus que de 11,2 milliers d’habitants en 2023 ; elle était de 15 milliers en 2003. Voir :
Wallis-et-Futuna — Wikipédia (wikipedia.org)
Dans l’Hexagone, il y a aussi une immigration de Wallisiens ; on n’ a pas réussi à trouver son importance.