La bonne nouvelle est cette libération qui fait le buzz, et pas seulement sur le Caillou ; on commence par elle. En second lieu, trois « experts » en droit constitutionnel répètent ce qu’ils disent depuis belle lurette, néanmoins avec quelques précisions et débats.
1 – Téin mis en examen, Téin incarcéré en détention provisoire, Téin « déporté » ; mais Téin libéré !
Bien sûr, il reste mis en examen et sous contrôle judiciaire, comme tous les membres du CCAT qui ont subi la justice du Caillou[1] et ne peut regagner sa Kanaky. Mais pour le FLNKS (dont il est président, il faut le rappeler) « "Ce feuilleton judiciaire qui n’a jamais été traité par les seules voies de la justice, marquera à tout jamais notre Histoire et le combat déterminé des militants politiques pour la souveraineté de notre pays", a estimé le Front, qualifiant de "vide" et dénué de preuves le dossier judiciaire ». Le troisième article cité en note détaille le point de vue des trois magistrats instructeurs : « Ils ont notamment estimé qu’à ce stade de la procédure, il n’était pas démontré que M. Téin ou d’autres mis en examen auraient préparé un attroupement armé ou un groupement violent, avait indiqué à l’AFP une source proche du dossier ».
En face, du côté loyalistes radicaux, on ne s’étonnera pas que ce ne soit pas un grand jour ; seul Metzdorf reste relativement modéré, rappelant seulement que Téin « demeure mis en examen pour son implication présumée dans les émeutes les plus graves de l’histoire récente de la Nouvelle-Calédonie », mais en s’opposant à « la participation à une négociation politique d’une personne mise en cause pour des faits d’une telle gravité », revendication répétée du FLNKS.
Au milieu, les centristes continuent de jouer les faux-derches. « Les partis dits centristes, continue le même article, se montrent assez réservés sur la question. S’il refuse de commenter la décision de justice, le président de l’Éveil océanien Milakulo Tukumuli espère juste que cela "n’ajoutera pas de friture sur la ligne" lors des prochaines sessions de discussions. De son point de vue, la présence éventuelle de Christian Téin appartient avant tout au FLNKS. "Ce sont les partis politiques qui doivent décider. Nous sommes là pour porter une voix, pas pour déterminer qui doit être à la table", souligne-t-il […] . Calédonie Ensemble n’a pour sa part pas répondu à nos sollicitations à ce stade, mais Philippe Gomès livrait déjà en octobre dernier son point de vue sur le sujet lors de son passage dans le journal télévisé. "Ils ne choisissent pas les interlocuteurs chez nous, on ne doit pas les choisir chez eux", avait-il estimé ».
2 – Le point de vue de trois "experts" en droit constitutionnel sur le projet de Valls. Bof !
Les lecteurs de nos billets les connaissent ; mais on trouve cependant quelques précisions utiles[2] qui permettront de comprendre en quoi le projet annoncé par Macron serait « nouveau ». On le sait, Valls n’a jamais utilisé l’expression indépendance-association, en restant à son statut dit « inédit » de « souveraineté avec la France »[3] .
La constitutionnaliste Léa Havard (que l’on ne présente plus à nos lecteurs[4], grâce à sa thèse sur les États associés du Pacifique et qui promeut à l’envi cette solution comme un possible pour la Nouvelle-Calédonie) estime que l’indépendance-association d’Edgard Pisani était une « fausse indépendance-association. […] Cela devait se faire dans le cadre de l’article 88 de la Constitution française, qui était clairement destiné à maintenir un lien avec les anciennes colonies. Il y avait une dimension très coloniale ». Elle rappelle avec justesse : « Il faut remonter à la vague mondiale de décolonisation pour comprendre l’origine du terme "indépendance-association". En 1960, les Nations unies déterminent trois scénarios qui permettent de dire si un territoire est décolonisé ou non : rester dans le giron de la puissance administrante, devenir un État indépendant ou bien s'associer librement à un État indépendant. C’est cette "troisième voie de décolonisation", "entre l'intégration et l’indépendance totale, qui a été imaginée de toutes pièces par les Nations Unies : la libre association aussi appelée indépendance-association" »[5].
Ferdinand Mélin-Soucramien (que l’on ne présente plus non plus…) abonde : l’indépendance-association est une notion du passé : « Elle fait référence à l’article 88 de la Constitution qui stipule que "La République peut conclure des accords avec des États qui désirent s’associer à elle pour développer leurs civilisations". C’est un logiciel des années 1950, voire du 19ème siècle ! ».
On se demande ainsi bien pourquoi les loyalistes radicaux (et les loyalistes centristes de Calédonie ensemble, jusqu’il y a peu…) en veulent tellement à cette indépendance-association qui serait en fait néocoloniale ! Selon Léa Havard, le projet de Valls serait plutôt un État associé qu’une Indépendance-association ; et rappelons que pour certaines mauvaises langues, ce ne serait qu’un néologisme pour traduire ce que l’on nommait jadis un protectorat...
Et ces trois « experts » ne sont pas toujours d’accord. Carine David qui a longtemps travaillé en Calédonie, en particulier sur les États associés à la Nouvelle-Zélande, estime que ce ne sont pas des États « à proprement parler »[6]. On peut lire l’article du 12 juin pour d’autres rapports pervers avec les diptères…
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On attend donc toujours Godot-Macron. Ce dernier aurait peut-être mieux fait de tourner 7 fois sa langue dans la bouche avant de déclarer que les pays du Pacifique ne seraient pas « faits pour les référendums »[7]. Le président polynésien Moetai Brotherson a qualifié ces propos de « réflexion typiquement occidentale ».
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Ajout du mardi 16 juin : réaction d’Emmanuel Tjibaou aux incertitudes de l’État concernant le projet de Valls
Emmanuel Tjibaou, président de l’Union calédonienne et député de la 2e circonscription, a donc réagi le dimanche 15 juin, sur le JT de NC 1ère, aux différentes et récentes annonces de Macron : en substance, on ne connaît, selon lui, ni le contenu, ni le format, ni l’objet de ce « projet nouveau » ; voir l’article du 16 juin accompagnée de la vidéo de l’interview :
« Le député, selon l’article, affirme avoir saisi les services de l’Élysée et du ministère de l’Outre-mer sans obtenir de réponse précise. Le FLNKS, lui, continue de s’appuyer sur le socle posé depuis plusieurs mois par Manuel Valls. "Ce n’est pas le projet du ministre, c’est le projet porté par l’État. [...] C’est à partir de cette base que la majorité des parties prenantes autour de la table a accepté de discuter", précise-t-il en réponse à une partie des non-indépendantistes qui tente d’opposer le ministre des Outre-mer au chef de l'État sur le dossier calédonien. Emmanuel Tjibaou met en garde contre une méthode devenue illisible : on a fait gouvernement Castex, Borne, Attal, Barnier… Chaque fois, on change de format, de partenaires. [...] Même si le conclave n’a pas abouti, il a permis aux gens de continuer à discuter. Il faut garder ces principes-là. […] Notre crainte, c’est que la motion de censure entraîne la chute du gouvernement [national]. Or ici, on a besoin d’avancer". ».
Quant à la remise en liberté sous contrôle judiciaire de Christian Téin, il s’est contenté de parler d’un « un signe d’apaisement. L’instruction poursuit son cours. On a toujours dénoncé le fait que les incarcérations n’avaient pas lieu d’être. [...] Aujourd’hui, trois juges se sont prononcés pour leur libération ». L’article continue néanmoins avec un Tjibaou calme mais plus offensif : « Le président de l’UC appelle néanmoins à la prudence et à la responsabilité. Il estime que cette décision permet aussi de restaurer un cadre plus serein : "beaucoup se sont portés en juge au moment du 13 mai, parce qu’il y avait de la colère. Aujourd’hui, la parole, elle est posée comme une parole de justice". Il évoque un "moment important" dans une histoire judiciaire où, selon lui, "le traitement des affaires rattachées au combat politique du FLNKS a souffert de beaucoup de travers" ».
Il ajoute dans l’interview (pas dans les commentaires de l’article) qu’il est concevable, compte tenu de l’actualité des guerres en Ukraine et au Moyen-Orient « que le président temporise en fonction de ces urgences-là ». En outre, en répondant à la question-Facebook : « La Nouvelle-Calédonie peut-elle être un État indépendant financièrement ? », il répond « Aujourd’hui, difficilement… », tourne autour du pot des questions suivantes (dont celle du pardon indiqué par Macron) mais rebondit sur la question de la vérité en rappelant que le 13 mai 2024 est aussi de la responsabilité de l’État avec la politique de Macron-Darmanin du dégel du corps électoral présenté au Congrès de la République… En plus clair : il est normal que cette dernière paie les pots cassés.
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Autre nouvelle, nettement moins importante (quoique…) mais celle-ci, bonne (encore une fois, une bonne nouvelle, celle de la libération de Christian Téin, n’arrive jamais seule…) ; voir l’article du 16 juin de NC 1ère :
« Après plusieurs mois d’instruction, l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche ne préconise aucune procédure disciplinaire à l’encontre de Mathias Chauchat. Mais elle estime un rappel à l’ordre nécessaire, après ses propos tenus lors d’un conseil d’administration […]. Enfin, concernant certaines prises de position en cours, le rapport note que Mathias Chauchat "a pu excéder, à plusieurs reprises, les limites attendues en matière de mesure et d’équilibre dans l’expression pédagogique". Même si l'inspection précise que la plupart des faits, qui remontent à plusieurs années, "sont aujourd'hui prescrits". ».
Il avait été suspendu en octobre 2024 par la présidente de l’Université de la Nouvelle-Calédonie Catherine Ris, qui estimait que « La poursuite des activités de l’intéressé présente des inconvénients trop sérieux durant cette période ». Chauchat, prof métropolitain franchement indépendantiste et mal aimé (c’est une litote) par les loyalistes, était aussi mal aimé par certains de ses collègues... Voir (l’un des articles d’octobre 2024) :
Notes
[1] Voir, le 12 juin 2025, l’annonce sur NC 1ère, mais avec la photo d’un autre Kanak déjà libéré depuis quelques jours :
« Ce jeudi, Steeve Unë était le seul à comparaître libre. Il n’a été remis en liberté que vendredi dernier, après avoir passé près d’un an en détention provisoire à la maison d’arrêt de Blois (Loir-et-Cher). "Je ne souhaite à personne de vivre ce qu’on a vécu. Être à 16 000 km, loin de nos femmes, de nos enfants. C’est inhumain", confie-t-il après l’audience. Pudiquement, il évoque "une période très difficile". Son avocate, maître Metton, est plus précise. "À Blois, le système de visio ne marchait pas. Ça fait un an qu’il n’a pas vu ses enfants", raconte-t-elle. Seule l’une de ses filles, qui vit dans l’Hexagone, a pu lui rendre visite pendant sa détention ».
Le 13 juin, toujours sur NC 1ère, avec la photo de Téin (pas encore le look d’un gendre idéal, mais plus présentable que sur celles qui circulaient dans la presse il y a un an…)
[2] Voir l’article du 12 juin :
[3] Le document de travail remis aux participants du conclave de Deva, indique : 1/ « le transfert des compétences régaliennes (défense, sécurité, justice, monnaie) à la Nouvelle-Calédonie. Ces compétences seraient, ensuite, immédiatement "déléguées" à la France. 2/ « l’instauration d’une double nationalité : française "de droit" et calédonienne ». 3/ « l’établissement d’un statut internationalement reconnu ». « Ce pacte ne pourrait être modifié sans l'accord des deux parties ».
[4] Concernant Léa Havard, voir nos trois billets de fin 2024.
D’abord celui du 16 octobre 2024, intitulé Buffet sur le « Caillou » : la solution de l’ « État associé » sera-t-elle évoquée ? sous-titré, Faute de véritable indépendance-association, on en parle beaucoup, mais à demi-mot. Il n’y a pas qu’ « Indépendance, point » versus « Calédonie française » ; l’"État associé" serait la solution mi-figue mi-raisin (entre « pleine souveraineté avec partenariat » et « autonomie étendue »). Ou traduction en vocabulaire politiquement plus correct : protectorat de l’époque coloniale ? Tout est là…
Voir également celui du 5 décembre 2024, « Souveraineté partagée » solution calédonienne innovante ? Un truc bien éculée ! avec comme sous-titre, Ça vient de sortir du four de Larcher ! Mais l’expression est pourtant dans l’Accord de Nouméa et on en cause ailleurs depuis fort longtemps, comme « État associé », « Fédération » et autres gros mots. Mais ce ne sont pas les mots qui comptent : où mettre le curseur entre « Autonomie » et « Indépendance » ? Sur Indépendance-Association ! Le reste n’est que rapports pervers avec les diptères…
Voir enfin le billet du 22 décembre 2024, Nouvelles Calédoniennes uchroniques, tome 2, dont le sous-titre est Calédonie française ; guerre civile ; Kanaky Nouvelle-Calédonie indépendante en association avec la France… Attention, les têtes en l’air : ce ne sont que donc que des uchronies ! De bonnes blagues quoi... Mais qui pourront choquer !
https://blogs.mediapart.fr/patrick-castex/blog/221224/nouvelles-caledoniennes-uchroniques-tome-2
Voir également l’interview de Léa Havard publiée par LNC le 27 mars 2025 :
[5] C’est, semble-t-il, un ajout à son analyse antérieure où elle différenciait nettement l’indépendance association et l’État associé ; à moins que sa pensée ait été déforme par l’article qui écrit juste après cette phrase : « Rares sont les anciennes colonies qui opteront pour cette troisième voie. On n’en recense que cinq dans le monde et elles se trouvent toutes dans le Pacifique. Les Îles Cook sont les premières à inaugurer ce partenariat inédit en devenant un État associé à la Nouvelle-Zélande, en 1965, suivies de Niue en 1974, également associé à la Nouvelle-Zélande. Bien plus tard, en 1990, les États fédérés de Micronésie et les Îles Marshall s’associeront avec les États-Unis, puis Palau fera de même en 1994 ».
[6] Elle estime : « Comme Niue, les Îles Cook sont une collectivité territoriale extrêmement autonome mais qui reste néozélandaise : le passeport est néo-zélandais, la monnaie est néozélandaise. Et elles n’ont pas de siège à l’assemblée générale des Nations Unies, donc ce n’est pas un État à proprement parler ».
[7] On annonçait dans notre billet précédent que ça frisait la gaffe ; c’est bien le cas ; voir :