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Billet de blog 20 février 2016

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Les perquisitions administratives partiellement censurées par le Conseil constitutionnel

Dans une décision Ligue des droits de l’homme du 19 février 2016, le Conseil constitutionnel a validé les perquisitions administratives prises dans le cadre de l’état d’urgence, à l’exception notable de la saisie des données informatiques par l’administration.

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Le 16 février 2016, moins de la moitié des députés (212 sur 577) ont avalisé le projet de loi prorogeant l’état d’urgence pour une nouvelle période de trois mois ; l’un des alinéas de cette  courte loi du 19 février 2016 prévoit que l’état d’urgence « emporte, pour sa durée, application du I de l'article 11 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence », c’est-à-dire en clair de la possibilité pour les préfets de procéder à des perquisitions administratives telles que prévues par la loi du 20 novembre 2015.

Dans son avis du 18 février 2016 sur le suivi de l’état d’urgence, la CNCDH a insisté sur les excès auxquels ont conduit nombre des quelques 3 300 perquisitions administratives menées depuis le 14 novembre 2015 : « le déploiement et la mobilisation des forces de police et de gendarmerie sont parfois apparus démesurés. A titre d’exemple : la perquisition d’une mosquée à Brest, le 20 novembre 2015 à 3h20 du matin, par une centaine de policiers, gendarmes et CRS. Cette opération n’aurait donné lieu à aucune interpellation. Par ailleurs, les autorités ont pu manquer de discernement dans le choix du lieu perquisitionné, comme notamment une ferme biologique dans le Périgord ».

De tous ces excès, le Conseil constitutionnel n’a cure, car il statue en pur droit.

1 - Le 19 février 2016, par une décision Ligue des droits de l’homme, le Conseil constitutionnel a, à une notable exception près, validé ces perquisitions administratives. Il n’y a pas lieu ici de revenir sur chacun des motifs, tous discutables sinon critiquables, sur lesquels le Conseil constitutionnel a motivé son raisonnement. L’un d’eux apparaît particulièrement choquant : « si les voies de recours prévues à l'encontre d'une décision ordonnant une perquisition sur le fondement des dispositions contestées ne peuvent être mises en œuvre que postérieurement à l'intervention de la mesure, elles permettent à l'intéressé d'engager la responsabilité de l'État ; qu'ainsi les personnes intéressées ne sont pas privées de voies de recours, lesquelles permettent un contrôle de la mise en œuvre de la mesure dans des conditions appropriées au regard des circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence ».

Traduisons : les perquisitions administratives sont décidées par l’administration sans aucun contrôle préalable ; elles ne peuvent pas faire l’objet d’un référé-liberté, pour des raisons pratiques (difficile de saisir le juge du référé-liberté à 6 heures du matin quand la perquisition est en cours et que les portes du tribunal sont fermées…) ; elles ne peuvent pas non plus faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le juge du fond, parce que la perquisition aura épuisé ses effets avant même que ce juge ne soit saisi, et ceci alors pourtant que le Conseil d’Etat a jugé dans un arrêt Dame Lamotte  du 17 février 1950 que ce recours est ouvert contre tout acte administratif afin d’assurer le respect de la légalité ; elles peuvent en revanche, comme l’indique le Conseil constitutionnel, faire l’objet d’une demande indemnitaire.

Celle-ci est extrêmement compliquée à former pour qui n’a jamais eu affaire à la justice administrative, alors au surplus que les forces de police ne remettent pas à la personne perquisitionnée un ordre de perquisition mentionnant les voies et délais de recours. Le recours indemnitaire est d’abord soumis au ministère d’avocat, ce qui engendre dès le départ un coût pour la personne perquisitionnée qui doit par ailleurs faire face à celui engendré par les dégradations commises par la perquisition elle-même ; il est également soumis à la règle dite de « la décision préalable », ce qui signifie que la personne perquisitionnée ne peut pas saisir directement le juge administratif mais doit d’abord former une demande indemnitaire auprès de l’administration ; en cas de rejet explicite ou implicite (qui survient automatiquement dans un délai de deux mois) de cette demande préalable indemnitaire, le recours devant le juge ne pourra être tranché que plusieurs semaines au mieux, plusieurs mois en pratique, après la réalisation de la perquisition ; l’avocat de la personne perquisitionnée doit rassembler les preuves qu’un préjudice a été commis au détriment de son client, ce qui est toujours plus compliqué à démontrer que pour un contentieux où se pose une question de légalité « pure » ; le cas échéant, un expert pourra être désigné par le juge administratif pour établir la réalité des préjudices subis et les évaluer ; tout préjudice ne sera pas indemnisé, même en cas d’illégalité de la perquisition administrative,  car en matière de « haute police » (ce qu’est l’état d’urgence, comme l’indique implicitement le Conseil constitutionnel dans l’extrait de sa décision ci-dessus rapporté), le juge administratif ne sanctionne que les fautes caractérisées, lourdes, commises par l’administration, et une circulaire du 15 novembre 2015 du ministre de l’Intérieur rappelait à cet égard que le seul fait « d’enfoncer une porte ou de causer des dégâts matériels ne devrait pas être à lui seul constitutif d’une faute lourde ». Il est par ailleurs évident que le « préjudice de réputation » ne sera pas indemnisé à sa juste hauteur par le juge administratif, lorsque des personnes perquisitionnées pour rien sont désormais considérées comme « suspectes » par leurs voisins…

Les perquisitions administratives illustrent bien ce constat fait par Olivier Beaud et Cécile Guérin-Bargues dans une étude particulièrement riche sur l’état d’urgence : « dans le cas de l’état d’urgence, le juge arrive toujours trop tard. L’état d’exception a été instauré, des mesures d’urgence ont été prises, et les recours, à les supposer recevables et fondés, interviennent alors que le mal est fait, et parfois difficilement réparable ».

On comprend donc pourquoi, plus de trois mois après l’entrée en vigueur de l’état d’urgence, « moins de 1% des perquisitions administratives, qui représentent pourtant près de 90% des mesures prononcées sur le fondement de la loi du 3 avril 1955, font l’objet d’un recours juridictionnel » (Sénat, rapport n° 368, 3 février 2016, p. 31). Pour sa part, la CNCDH a relevé qu’une seule perquisition administrative avait été contestée, le référé-suspension formé contre cette perquisition ayant logiquement été rejeté par le tribunal administratif de Paris en raison de l’entière exécution de la perquisition administrative – il n’y avait alors plus rien à suspendre.

Affirmer comme l’a fait le Conseil constitutionnel que, par l’effet d’un recours indemnitaire ouvert devant le juge administrative, les personnes perquisitionnées ne sont pas privées d’une voie de recours est juridiquement exact. Le problème fondamental est que ce recours n’est pas effectif – il suffit de se mettre deux minutes à la place des personnes perquisitionnées pour le comprendre.

2 – Le Conseil constitutionnel a en revanche censuré la possibilité donnée aux forces de l’ordre « d’aspirer » toutes les données informatiques des personnes perquisitionnées. On avait déjà dit ici à quel point cette mesure, que le Conseil d’Etat avait considérée, dans son avis du 17 novembre 2015, comme toujours « appropriée à la nature particulière des menaces », est un viol administratif, c’est-à-dire selon les termes juridiques employés par le Conseil constitutionnel, une saisie qui n’est pas autorisée par un juge alors qu’elle devrait l’être.

Or, une grande partie de la supposée efficacité de l’état d’urgence dans la lutte contre le terrorisme reposait sur ces saisies de données informatiques dans les lieux perquisitionnés. Ainsi, devant la commission des Lois de l’Assemblée nationale qui l’auditionnait le 11 février 2016, le ministre de l’Intérieur, pour justifier le fait que seule une information judiciaire avait été ouverte par la section antiterroriste du parquet de Paris contre 3 300 perquisitions administratives effectuées, s’était ainsi défaussé : « On ne peut pas savoir aujourd’hui combien de personnes seront, in fine, mises en cause pour des infractions terroristes : une grande partie des éléments récupérés lors des perquisitions n’ont pas encore été exploités, notamment les données informatiques. C’est au terme des investigations que nous pourrons connaître le nombre de réseaux démantelés, le nombre de personnes concernées, et les résultats pour la lutte antiterroriste des perquisitions menées ».

Relisons également l’audition du ministre de l’Intérieur le 2 février 2016 devant la commission des Lois du Sénat : « il ne fait pas de doute que les données numériques saisies, en cours d’exploitation, déboucheront également sur de nouvelles incriminations. Ces éléments sont encore loin d’être exhaustifs : les données numériques ne sont pas encore toutes exploitées (…) ».

Relisons maintenant l’une des interventions du ministre de l’Intérieur au cours de la séance publique de l’Assemblée nationale le 16 février 2016 : « Si l’on s’en tient aux procédures ouvertes sous la qualification terroriste – 29 procédures, dont 23 pour apologie du terrorisme – le bilan pourrait sembler modeste. Et j’ai souvent entendu dire aussi que pendant la mise en œuvre de l’état d’urgence, seules six procédures pour terrorisme avaient été ouvertes alors que nous avions pris de nombreuses mesures de police administrative. Là encore, c’est un raisonnement faux : au cours des perquisitions administratives, énormément d’éléments ont été récupérés, certains éléments informatiques ou numériques ont été copiés, éléments qui sont en cours d’exploitation et qui déboucheront sur d’autres incriminations au titre du terrorisme dans les prochaines semaines et les prochains mois. Au moment où la justice est en train de procéder à l’analyse de l’ensemble de ces éléments, il est impossible de tirer des conclusions précises sur le nombre d’individus mis en cause pour leur implication dans des activités à caractère terroriste au terme des perquisitions administratives ou des assignations à résidence ».

Les saisies informatiques ne peuvent donc plus légalement être effectuées dans le cadre de perquisitions administratives, ni sous l’empire de la loi du 20 novembre 2015, ni sous celui de la phase III de l’état d’urgence résultant de la loi du 19 février 2016, qui proroge à nouveau l’état d’urgence jusqu’au 26 mai 2016.

Au surplus, ces saisies informatiques déjà effectuées ne peuvent donc plus être légalement exploitées par les services de police, ni même conservées par elles. Contrairement à ce qu’a indiqué le ministre de l’Intérieur, il donc désormais possible de faire le bilan des phases I et II de l’état d’urgence en termes de lutte contre le terrorisme : il n’a aucunement donné des « résultats significatifs », comme l’avait indiqué le Conseil d’Etat dans son ordonnance Ligue des droits de l’hommedu 27 janvier 2016 ; il n’est pas seulement « modeste », pour reprendre le terme employé par le ministre de l’Intérieur le 16 février 2016 ; il est insignifiant.

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