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Billet de blog 29 juil. 2016

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Etat d’urgence : le pot « pourri » de la loi du 21 juillet 2016

Les dispositions de loi du 21 juillet 2016 relatives à l’état d’urgence sont-elles conformes à la Constitution ou au droit international ?

Paul Cassia
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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le 13 juillet 2016, la commission des Lois du Sénat plaidait avec beaucoup de conviction pour la levée de l’état d’urgence, qui devait prendre fin le 26 juillet. Le jour même, le Garde des Sceaux soutenait fermement à la radio qu’une loi du 3 juin 2016 « contre » le terrorisme offrait tous les outils en la matière et justifiait l’absence de nouvelle prorogation de l’état d’urgence. Telle était également l’opinion solennellement exprimée le 14 juillet en début d’après-midi par le président de la République. La semaine précédente, un rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les attentats de janvier 2015 soulignait, après plusieurs mois de travaux et des dizaines d’auditions, l’inutilité de l’état d’urgence dans la lutte contre le terrorisme.

La tuerie de masse à Nice a d’un coup bouleversé la donne. Elle a été hâtivement et opportunément qualifiée de terroriste par les pouvoirs publics – le rapport du Sénat du 20 juillet 2016 s’ouvre par cette phrase : « La tragédie survenue à Nice à l'occasion des manifestations organisées pour la célébration de la fête nationale du 14 juillet 2016 illustre, s'il en était besoin, le niveau toujours élevé de la menace terroriste dans notre pays ». Elle a conduit à l’adoption, en 48 heures à peine, d’une loi du 21 juillet 2016 « contre » le terrorisme, qui reprend des dispositions pénales que gouvernement et députés avaient refusé d’insérer dans la loi du 3 juin 2016 et qui étend le champ de la surveillance des communications électroniques organisée par la loi du 24 juillet 2015. Une grande majorité des dispositions de cette loi émotionnelle pose question au regard de sa conformité à la Constitution (v. cet article sur ces points). Au surplus, ces dipositions de nature pénale ou relative à la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ou encore à la loi sur le renseignement du 24 juillet 2015 constituent des "cavaliers législatifs" au sens de l'article 45 de la Constitution, sans rapport direct ou indirect avec le projet de loi qui ne portait "que" sur la prorogation de l'état d'urgence, qui auraient certainement été censurés par le Conseil constitutionnel s'il avait été saisi avant la promulagation de la loi, mais qui ne peuvent pas l'être une fois la loi promulguée - seuls les droits et libertés constitutionnels, à l'exclusion de la procédure parlementaire, peuvent donner lieu à une "question prioritaire de constitutionnalité" mettant en cause la loi promulguée.

Seules seront ici évoquées trois des vingt dispositions de cette énième loi anti-terroriste : celles prorogeant l’état d’urgence d’une manière inattendue et « musclant » les mesures de police administrative pouvant être prises sur le fondement de la loi du 3 avril 1955 ainsi modifiée.

1 – La prorogation pour six mois de l’état d’urgence

Le principe même d’une prorogation de l’état d’urgence pouvait faire débat, eu égard au caractère temporaire de cet état d’exception.

Dans son avis du 28 avril 2016, le Conseil d’Etat avait admis la prorogation pour deux mois à compter du 26 mai 2016 en raison de l’adoption imminente de la loi du 3 juin 2016 et de l’existence de deux évènements sportifs – l’Euro 2016 et le Tour de France. Dans le contexte « post Tour de France », il aurait été logique que l’état d’urgence ne soit pas renouvelé. Et pourtant, le Conseil d’Etat a validé cette prorogation, pour le « motif » suivant, résultant de son avis du 17 juillet 2016 : « Nonobstant les dispositions renforçant les moyens administratifs et judiciaires de la lutte contre le terrorisme notamment contenues dans les lois n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement, n° 2016-339 du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs et n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale, le Conseil d'État estime qu’est dans son principe nécessaire, adaptée et proportionnée et, par suite, justifiée l’application des mesures propres à l’état d’urgence prévues par les articles 5, 6, 6-1, 8, 9, 10 et 11 de la loi du 3 avril 1955 mentionnée ci-dessus, telles qu’elles ont été proposées par le Gouvernement, dans le ressort géographique déterminé par les décrets des 14 et 18 novembre 2015 ». On ne peut pas faire plus « light » comme « motivation », qui revient à dire que la prorogation est justifiée parce que… le gouvernement a décidé qu’elle était opportune…

Par ailleurs, le Conseil d’Etat a considéré qu’une prorogation pour trois mois – durée initialement fixée par le gouvernement dans le projet de loi – était proportionnée aux circonstances. Or, la loi du 21 juillet 2016 fixe à 6 mois la durée de la prorogation, applicable au surplus sur tout le territoire national…

Conseil constitutionnel et Conseil d’Etat ne cessent de répéter la formule incantatoire selon laquelle que l’état d’urgence est un régime exceptionnel d’application géographique et temporelle limitée. En pratique toutefois, l’état d’urgence peut ne connaître ni limite spatiale (son régime est intégralement applicable sur tout le territoire français depuis le 19 novembre 2015), ni limite temporelle ! De fait, l’état d’urgence peut devenir un état permanent.

2 – Le renouvellement des assignations à résidence à compter du 23 juillet 2016

La nouvelle prorogation de l’état d’urgence permet au ministre de l’Intérieur de renouveler, pour les six prochains mois, les assignations de tout ou partie des 87 personnes qui l’étaient avant cette date – une partie d’entre elles étaient déjà assignées depuis plus de six mois.

Le Conseil constitutionnel a jugé le 22 décembre 2015 que les assignations à résidence étaient conformes à la Constitution, et il n’y a plus lieu de revenir sur ce point. Le 11 décembre 2015, le Conseil d’Etat laissait entendre que l’article 6 de la loi du 3 avril 1955 serait conforme au droit international.

Toutefois, le Conseil d’Etat considère depuis une décision du 31 mai 2016 qu’une loi conforme au droit international peut, in concreto, conduire à la naissance d’une situation contraire à ce droit. Or il est probable qu’un renouvellement pour 6 mois, à compter du 23 juillet 2016, d’une assignation à résidence qui avait déjà été opposée pendant plusieurs mois à des personnes auxquelles aucune infraction n’est reprochée, avec obligations de pointage et de demeurer dans un domicile, constitue un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droit de l’homme – article auquel il n’est pas possible de déroger même pendant la période exceptionnelle que constitue l’état d’urgence.

3 – Le sort des données et matériels informatiques saisis lors des perquisitions administratives

Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 19 février 2016 déjà évoquée dans ce blog, avait considéré que la saisie de matériels et données informatiques à l’occasion des perquisitions administratives de l’état d’urgence était contraire à la Constitution, pour le motif suivant : « Considérant que les dispositions de la seconde phrase du troisième alinéa du paragraphe I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 permettent à l'autorité administrative de copier toutes les données informatiques auxquelles il aura été possible d'accéder au cours de la perquisition ; que cette mesure est assimilable à une saisie ; que ni cette saisie ni l'exploitation des données ainsi collectées ne sont autorisées par un juge, y compris lorsque l'occupant du lieu perquisitionné ou le propriétaire des données s'y oppose et alors même qu'aucune infraction n'est constatée ; qu'au demeurant peuvent être copiées des données dépourvues de lien avec la personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ayant fréquenté le lieu où a été ordonnée la perquisition ; que, ce faisant, le législateur n'a pas prévu de garanties légales propres à assurer une conciliation équilibrée entre l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et le droit au respect de la vie privée ».

La loi du 21 juillet 2016 tente de remédier à cette inconstitutionnalité en créant un système d’autorisation a posteriori donnée par le juge administratif des référés saisi à l’initiative du préfet ayant signé l’ordre de perquisition.

Il n’est pas besoin de décrire ce système car il paraît contraire à la Constitution, pour trois raisons.

A - D’une part, le Conseil constitutionnel a décidé que non seulement l’exploitation des données devait être autorisée par un juge – ce que prévoit désormais la loi du 3 avril 1955 – mais que tel devait être le cas également pour la saisie des matériels informatiques.

Or, dans le schéma de l’article 11-I de la loi du 3 avril 1955 modifié par celle du 21 juillet 2016, les forces de police peuvent procéder à la confiscation des matériels informatiques lorsqu’il s’avère difficile de copier les données dématérialisées au cours de la perquisition. Ce n’est qu’ensuite, si le juge administratif des référés refuse l’exploitation des données, que le matériel informatique devra être restitué, le cas échéant après rejet de l’appel du ministre de l’Intérieur devant le Conseil d’Etat ; ce matériel pourra être restitué plus tardivement encore si le juge des référés valide l’exploitation des données. En pratique donc, les personnes se trouvant dans le lieu perquisitionné peuvent se retrouver pendant plusieurs jours sans ordinateurs, tablettes ou téléphones portables. Ils ne sont ainsi plus joignables par téléphone ou par courriel, que ce soit par leurs proches ou pour des besoins professionnels. La loi du 21 juillet 2016 autorise donc les forces de l’ordre à opérer des saisies de matériels informatiques sans autorisation préalable d’un juge, contrairement aux exigences posées par la décision du 19 février 2016. La difficulté constitutionnelle posée par la confiscation du matériel informatique a été clairement identifiée par la commission des Lois de l’Assemblée nationale, qui n’en a pour autant tiré aucune conséquence : « il ne faudrait pas, cependant, que la rédaction puisse aboutir à une saisie systématique de l’ensemble des matériels, difficilement conciliable avec le droit de propriété et la liberté d’expression » (Assemblée nationale,  rapport n° 3978, 19 juillet 2016, p. 46). Il est pourtant évident qu’en pratique, les forces de l’ordre vont privilégier la si commode confiscation des matériels informatiques plutôt que de procéder sur place à la fastidieuse copie des données informatiques…

B - D’autre part, il résulte du commentaire que le Conseil constitutionnel a fait de sa propre décision du 19 février 2016 que les garanties entourant les saisies de données informatiques étaient alors insuffisantes parce que « l’accès aux données n’était nullement encadré dans son périmètre : l’autorité administrative pouvait prendre copie de toutes les données auxquelles elle peut accéder par le système informatique ; alors même que la personne qui occupe les locaux n’a commis aucune infraction, l’autorité administrative pouvait prendre copie de l’intégralité des données informatiques auxquelles elle peut accéder, y compris des éléments « intimes » qui sont dépourvus de tout lien avec la menace que représenterait l’intéressé ». Or, l’article 11-I de la loi du 3 avril 1955 applicable depuis le 23 juillet 2016 permet précisément la copie de toutes les données informatiques, y compris des données « intimes » - lesquelles ne pourront toutefois pas être exploitées si elles ne se rapportent pas à une menace à l’ordre public.

C - Enfin, la décision du 19 février 2016 paraissait déplorer que la loi du 20 novembre 2015 autorise la saisie « de données dépourvues de lien avec la personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics » – par exemple, des données appartenant au conjoint, à un enfant, à un-e parent-e de cette personne (à l’encontre de laquelle, insistons-y, aucune infraction n’était reprochée antérieurement à la perquisition et n’a pu être relevée au cours de la perquisition), qui se trouverait dans le local perquisitionné. Or, dans sa version issue de la loi du 21 juillet 2016, l’article 11-I de la loi du 3 avril 1955 prévoit désormais que « si la perquisition révèle l'existence d'éléments, notamment informatiques, relatifs à la menace que constitue pour la sécurité et l'ordre publics le comportement de la personne concernée, les données contenues dans tout système informatique ou équipement terminal présent sur les lieux de la perquisition peuvent être saisies soit par leur copie, soit par la saisie de leur support lorsque la copie ne peut être réalisée ou achevée pendant le temps de la perquisition ». Les travaux préparatoires à la loi sont clairs sur ce point : « sont ainsi concernés tous les équipements trouvés sur les lieux de la perquisition, qu’ils appartiennent à la personne expressément visée par celle-ci ou à d’autres individus hébergés sur place ou simplement présents au même moment » (Assemblée nationale,  rapport n° 3978, 19 juillet 2016, p. 46).

Il est excessif d’inférer de la présence d’éléments « suspects » relatifs à la personne dont le comportement a fait l’objet de la perquisition, le droit pour les forces de l’ordre de procéder à des saisies d’équipements et données informatiques n’appartenant pas à cette personne. Le commentaire fait par le Conseil constitutionnel de sa décision du 19 février 2016 est explicite à cet égard : « l’atteinte était d’autant plus importante lorsque le lieu perquisitionné est seulement un lieu occupé par une personne tierce à la personne regardée comme constituant une menace. Ainsi, par exemple, dans l’hypothèse où aurait été perquisitionné le domicile de parents ou d’amis de la personne regardée comme constituant une menace, pouvaient être ainsi « saisies » l’ensemble des données personnelles des amis ou parents de cette personne figurant sur des supports informatiques ». Au regard de cette considération, il ne paraît pas conforme à la Constitution d’avoir autorisé la saisie des supports et données informatiques de personnes dont le comportement n’avait pas été identifié a priori par les forces de l’ordre comme de nature à constituer une menace pout l’ordre public et qui n’ont commis aucune infraction.

En définitive, le régime de l’article 11-I de la loi du 3 avril 1955 modifiée par celle du 21 juillet 2016 applicable aux saisies informatiques réalisées dans le cadre des perquisitions administratives paraît insuffisant à répondre aux atteintes au droit au respect de la vie privée relevées par le Conseil constitutionnel le 19 février 2016 ; ces saisies paraissent au surplus porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété et au droit à la liberté d’expression.

Il est certain que le Conseil constitutionnel aura à se prononcer sur ces points, à l’occasion d’une demande d’exploitation dont un préfet saisira un tribunal administratif.

4 – La possibilité reconnue au préfet de faire procéder à des fouilles systématiques des bagages et des véhicules

La loi du 21 juillet 2016 a inséré un article 8-1 à la loi du 3 avril 1955 permettant aux préfets, par décision motivée transmise au procureur de la République, d’autoriser pour une durée de 24 heures (renouvelables tant que dure l’état d’urgence), les officiers et agents de police judiciaire à procéder, en des lieux publics déterminés, à des contrôles d’identité, à des fouilles de bagages et de véhicules se trouvant sur la voie publique.

Hors état d’urgence, selon l’article 78-2-4 du Code de procédure pénale dans sa version issue de la loi du 3 juin 2016, fouilles des bagages comme visite des véhicules peuvent être réalisés dans tous les lieux publics « pour prévenir une atteinte grave à la sécurité des personnes et des biens », à deux conditions cumulatives : ces fouilles et contrôles doivent découler d’une vérification d’identité destinée à rechercher certaines infractions limitativement énumérées à l’article 78-2-2 du Code de procédure pénale (actes de terrorisme, infractions en matière d’arme et d’explosif…) ; en l’absence d’accord de la personne du propriétaire du bagage ou du conducteur du véhicule dont l’identité est contrôlée, il ne peut être procédé à ces fouilles que sur instructions du procureur de la République, et « dans l'attente des instructions du procureur de la République, le propriétaire du bagage (ou du véhicule) peut être retenu pour une durée qui ne peut excéder trente minutes ».

Intuitivement, l’article 8-1 de la loi du 3 avril 1955 paraît contraire à la Constitution. Les parlementaires en avaient conscience au moment de l’adoption de cette disposition. Un ancien président de la commission des Lois de l’Assemblée nationale a ainsi pu dire : « cela ne me gêne pas que nous prenions prenne le risque de l’inconstitutionnalité. Le Conseil constitutionnel prendra ses responsabilités, et nous prendrons ensuite les nôtres. Faciliter les contrôles d’identité et les fouilles de véhicules : voilà des outils nécessaires aux forces de l’ordre. Le cas échéant, nous en tirerons les conséquences en nous faisant constituants » (Assemblée nationale, rapport n° 3978, 19 juillet 2016, p. 62). Au cours des si rapides débats du 20 juillet 2016 devant la commission des Lois du Sénat, un échange a également révélé ce risque d’inconstitutionnalité :

« Mme Catherine Troendlé. - Quel sera le rôle dévolu au procureur de la République ?

M. Michel Mercier, rapporteur. - Il sera informé.

M. René Vandierendonck. - S'il n'était pas informé sans délai, je ne donne pas cher de cet amendement devant le Conseil constitutionnel.

M. Philippe Bas, président. - C'est une garantie essentielle ».

On ne voit pas en quoi la simple information d’un procureur de la République de l’adoption d’un acte administratif de portée générale constitue « une garantie essentielle ». Mais passons…

Une fouille de bagage ou de véhicule est assimilable à une perquisition.Il y a donc lieu de raisonner en la matière de la même façon que pour l’examen de la constitutionnalité des perquisitions administratives de l’état d’urgence, reconnue par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 19 février 2016 précitée.

A - On relèvera d’abord qu’en période « normale », dans le cadre de la loi du 3 juin 2016, ces contrôles et visites ne peuvent être réalisées sans les réquisitions préalables du procureur de la République, comme l’a exigé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 93-323 DC du 5 août 1993, Loi relative aux contrôles et vérifications d'identité (« le législateur a confié au procureur de la République, magistrat de l'ordre judiciaire, la responsabilité de définir précisément les conditions dans lesquelles les procédures de contrôle et de vérification d'identité qu'il prescrit doivent être effectuées »). Ce filtre préalable du procureur de la République aussi insuffisant soit-il – car ce magistrat judiciaire, soumis à la hiérarchie du ministre de la Justice, n’est pas un juge indépendant au sens de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme – n’est pas prévu pour les fouilles et visites de l’état d’urgence. Or, des travaux parlementaires ont établi que le contrôle consistant à fouiller les véhicules sur la voie publique – le raisonnement est transposable à la fouille des bagages – « est de nature administrative mais il est autorisé par une autorité judiciaire et non par l’administration, ce qui permet d’opérer des contrôles et des fouilles de manière systématique dans le lieu déterminé et pour la durée fixée par le procureur de la République, ce que le Conseil constitutionnel n’autorise pas dans le cadre d’un contrôle exercé sous le contrôle d’une autorité administrative » (Sénat, rapport n° 491, 23 mars 2016, p. 167). Dans le cadre de l’état d’urgence, c’est pourtant le préfet, c’est-à-dire une émanation du ministre de l’Intérieur et plus largement de l’Etat, qui, seul, autorise d’autres agents de l’Etat à procéder discrétionnairement aux contrôles et fouilles systématiques, y compris en dehors de tout risque de trouble à l’ordre public !

B - Il faut alors souligner que la décision du 19 février 2016 du Conseil constitutionnel n’a admis la constitutionnalité des perquisitions administratives de l’état d’urgence que parce qu’elles peuvent faire l’objet d’un contrôle a posteriori par le juge administratif – plus précisément une demande de dédommagement formée dans un recours en responsabilité contre l’Etat. Or, la décision d’un préfet d’autoriser pendant 24 heures les officiers et agents de police judiciaire à procéder à des fouilles de bagages et des visites de véhicules ne peut, en pratique et au regard de la brièveté de la durée d’existence de cette décision, faire l’objet ni d’une demande d’annulation en temps utiles, ni d’une demande de suspension devant le juge du référé-liberté – qui ne peut matériellement se prononcer tant que la décision préfectorale est en vigueur. Contrairement à une perquisition administrative, cette décision ne peut pas non plus faire l’objet d’une demande de réparation contre l’Etat, faute pour quiconque de pouvoir démontrer le préjudice certain que causerait une telle décision, qui ne fait qu’autoriser des agents publics à procéder à des contrôles.

Autrement dit, la décision préfectorale autorisant fouilles de bagages et visites de véhicules dans certains lieux ne peut pas faire l’objet d’un recours juridictionnel effectif. Pour cette raison, l’article 8-1 de la loi du 3 avril 1955 paraît porter une atteinte disproportionnée au droit à un recours effectif comme au principe de la séparation des pouvoirs de l’article 16 de la Déclaration de 1789.

*

Pour conclure, on signalera que la loi du 21 juillet 2016 a permis aux préfets d’interdire des manifestations sur la voie publique au nom de la « sécurité ». Cette possibilité a aussitôt été mise en œuvre par la préfecture de Nice, qui a interdit une « marche blanche » prévue pour le 31 juillet. Nul doute qu’elle le sera demain pour interdire des manifestations « politiques », comme le préfet de police de Paris en avait eu la tentation le 22 juin 2016 à propos d’une manifestation devant se tenir le lendemain contre la loi « Travail ».

L’état d’urgence sort donc considérablement renforcé après… 48 heures de travaux parlementaires.

Il reste cependant toujours aussi inutile à la prévention du terrorisme. Mais cela, visiblement, intéresse moins les pouvoirs publics que l’effet de « com’ » que constitue la prorogation d’un régime d’exception…

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