Paul DEVIN (avatar)

Paul DEVIN

Syndicaliste, Paul Devin a été inspecteur de l'Education nationale et secrétaire général du SNPI-FSU. Il est actuellement le président de l'Institut de Recherches de la FSU

Abonné·e de Mediapart

189 Billets

0 Édition

Billet de blog 5 novembre 2019

Paul DEVIN (avatar)

Paul DEVIN

Syndicaliste, Paul Devin a été inspecteur de l'Education nationale et secrétaire général du SNPI-FSU. Il est actuellement le président de l'Institut de Recherches de la FSU

Abonné·e de Mediapart

Evaluations CP-CE1 : un moment historique ?

Pour justifier sa politique en matière de lecture, Jean-Michel Blanquer vante les résultats des évaluations CP-CE1en tentant de faire passer le progrès technique ponctuel d’une compétence pour un progrès de justice sociale… et cela au prix d'un renoncement à l’enjeu essentiel du savoir-lire : développer l’ensemble des compétences nécessaires pour s’approprier la culture de l’écrit.

Paul DEVIN (avatar)

Paul DEVIN

Syndicaliste, Paul Devin a été inspecteur de l'Education nationale et secrétaire général du SNPI-FSU. Il est actuellement le président de l'Institut de Recherches de la FSU

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les résultats des évaluations nationales CP-CE1 à peine connus, le ministre affirme déjà que « nous vivons un moment historique pour l’école » puisque les résultats de ces évaluations affirment, nous dit-il, que « le niveau des élèves remonte ». Se confirme donc que ces évaluations sont loin d’être considérées essentiellement comme des outils pour l’enseignant, contrairement à ce qui est régulièrement répété… Elles constituent clairement un vecteur de la communication ministérielle.

Des progrès trop ponctuels pour être signifiants
Mais le ministre peut-il raisonnablement considérer ces résultats comme répondant à « ses deux objectifs principaux : hausser le niveau général, assurer plus de justice sociale. » ?
Non… Ce n’est pas parce que quelques items progressent que cela signifie un progrès de la démocratisation de la réussite scolaire. Prenons l’exemple de l’évaluation de la vitesse de lecture (nombre de mots lus par minute). Si le résultat est meilleur en 2019 qu’en 2018, c’est que les enseignants ont développé, du fait des injonctions institutionnelles, les activités permettant d’améliorer cette compétence. C’est en éducation, un phénomène connu nommé « teach to test » qui consiste à focaliser l’enseignement de manière intense et répétitive sur quelques compétences isolées. Cela produit des effets rapides d’amélioration mais qui restent très localisés et sont loin de témoigner d’une progression des compétences réelles. Pour dire les choses simplement, constater que la fluidité de la lecture est un facteur favorable à une meilleure compréhension, ne signifie pas que cette fluidité constitue un facteur suffisant. Loin de là. Elle n’est un élément favorable qu’aux conditions de s’associer à d’autres compétences qui sont largement mises de côté par les préconisations méthodologiques du ministère, notamment toute celles liées au développement de la culture de l'écrit [1]. Nous sommes donc très loin d’un progrès de la capacité à comprendre et produire des textes et à intégrer l’écrit dans ses pratiques sociales et culturelles. On peut même craindre, constatant que dans bien des classes l’entrainement intensif à la vitesse de lecture se fait aux dépens des autres activités permettant d’entrer dans la culture de l’écrit, que ce progrès ponctuel de compétence n’est en rien signifiant d’une démocratisation du savoir lire.
D’ailleurs, la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), qui a publié un document de travail (2019-E03) sur ces évaluations, se garde de toute interprétation au-delà d’un constat chiffré.

Une instrumentalisation pour la maternelle
La stratégie ministérielle en matière d’évaluations ne s’arrête cependant pas à la recherche d’une légitimation de sa politique, elle cherche aussi à agir sur les contenus d’enseignement hors de toute élaboration programmatique. Cela est clairement le cas pour la maternelle et tout particulièrement pour la grande section : le ministre annonce que l’interprétation qu’il fait des évaluations doit orienter vers un développement du travail lexical considéré comme le facteur majeur des inégalités. Là encore, cette centration sur une compétence sans doute nécessaire mais largement insuffisante va réduire le champ de travail alors que les programmes continuent à viser l’ensemble des dimensions langagières, sans négliger mais sans prioriser de façon exagérée le développement lexical. Les dimensions culturelles de l’entrée dans l’écrit vont être réduites, qu’il s’agisse de découvrir la littérature enfantine, de développer les usages sociaux de l’écrit notamment dans des situations de communication, de produire des écrits, d’interroger le sens des énoncés au-delà de la compréhension basique d’une phrase simple et d’expérimenter le plaisir de lire.

Un outil pour les enseignants ?
Difficile de mesurer ce que ces évaluations représentent dans la réalité des pratiques enseignantes car l’enquête sommaire sur le sujet ne dit rien des usages réels mais on ne peut évidemment pas confondre l’acceptation contrainte avec un investissement pédagogique massif. L’usage quasi généralisé s’explique d’abord et avant tout par un discours injonctif particulièrement marqué. On doit constater que beaucoup d’enseignants ont cependant des visions très critiques sur les modalités de passation et la pression qu’elle installe chez les élèves comme sur le choix très partial des compétences évaluées parmi l’ensemble des compétences définies par les programmes.

Cependant, tant bien que mal, les évaluations se pratiquent, offrant l’illusion d’un progrès que la communication ministérielle mettra habilement en valeur mais laissant de côté la question essentielle : est-ce qu’il suffit de former les élèves à quelques compétences techniques pour démocratiser l'accès à la culture écrite ?
Un consensus scientifique en 2003 puis 2016 [2] avait établi la nécessité absolue de mettre en œuvre l’enseignement conjoint du code et de la compréhension et contribué à poser des équilibres sur lesquels il fallait investir dans la formation et l’accompagnement des enseignants. Jean-Michel Blanquer a fait un autre choix, celui de réaffirmer l’apprentissage syllabique du code comme une nécessité préalable. Pour le justifier, il vante les résultats de ces évaluations en tentant de faire passer le progrès technique ponctuel d’une compétence pour un progrès de justice sociale… et cela au prix de l’enjeu essentiel du savoir-lire : développer l’ensemble des compétences nécessaires pour s’approprier la culture de l’écrit.

[1] sur ce sujet voir un précédent billet : Deux ou trois choses simples en matière d’apprentissage de la lecture … 

[2] Conférences de consensus PIREF 2003 et CNESCO-IFE 2016

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’auteur n’a pas autorisé les commentaires sur ce billet