La caution scientifique inexistante de Cécile Alvarez
Une multitude d’articles de presse ont affirmé que l’expérience menée par Céline Alvarez à l’école maternelle Lurçat de Gennevilliers avait donné lieu à une recherche menée par le CNRS de Grenoble. Ces articles affirmèrent que les résultats positifs obtenus par Céline Alvarez étaient confirmés par une évaluation assurée par le même CNRS de Grenoble, garantissant la preuve scientifique des progrès extraordinaires des élèves. La presse(1) avait parlé de résultats probants.
Céline Alvarez n’a cessé d’invoquer cette caution scientifique. Dans la fiche déclarative de son expérimentation publiée par Eduscol(2), elle déclare : « Pour mesurer l’impact de l’expérimentation, deux psychologues du CNRS de Grenoble ont fait passer des tests étalonnés aux enfants, en début d’année et en fin d’année. Les résultats ont révélé des progressions extrêmement intéressantes. Les enfants progressent globalement bien plus vite que la norme. ». Toutes les interviews de Céline Alvarez font état de ces progrès extraordinaires et les affirment comme attestés par le CNRS de Grenoble.
On peut s’étonner que six ans plus tard rien n’ait jamais été publié de cette étude.
C’est que la réalité est tout autre : sur l’expérimentation Alvarez, il n’y a jamais eu de recherche scientifique menée par le CNRS de Grenoble ou d'ailleurs et faisant la preuve de quoi que ce soit. Mais les formulations de Céline Alvarez ont eu les ambiguïtés nécessaires pour que soit largement diffusée l’idée que les « extraordinaires » progrès de ses élèves, résultant de la mise en œuvre de sa méthode pédagogique, étaient scientifiquement attestés par le CNRS.
Une formule pudique, dans l’exposition des résultats de l'expérimentation sur le site web(3) de Céline Alvarez, nous informe qu’une « formulation erronée s’est glissée dans le livre “Les lois naturelles de l’enfant” (1ère édition, p.18) indiquant que les tests de cette première année ont été réalisés par le CNRS de Grenoble. Cette imprécision sera corrigée lors de la prochaine réimpression. ».
L’affirmation d’une véracité scientifique des résultats de son expérimentation se serait donc glissée dans les discours de Céline Alvarez, "à l'insu de son plein gré"!
Pourtant c’est régulièrement et pendant deux ans qu'elle a répété cette information aux journalistes et qu'elle l'a affirmée comme une preuve lors de ses conférences. Elle figurait dans le déclaratif de l’expérience sur Expérithèque(2).
Difficile de croire que cela puisse relever de la seule imprécision d’une formulation erronée. Non, les progrès « attestés par le CNRS de Grenoble » ont été si souvent annoncés et avec une telle insistance que ce n’est pas une bévue. C’est une imposture.
Autres tentatives de cautionnement scientifique
L’étude longitudinale annoncée sur l’expérimentation de Gennevilliers à fait long feu et l’évaluation mise en œuvre en 2011 est abandonnée dès l’année suivante. Le suivi de l’expérimentation est confié à l'association "Agir pour l’école", qui avait déjà contribué à financer un poste d’ASEM spécialement dédié à la classe de Céline Alvarez. "Agir pour l’Ecole" est une association présidée par Laurent Bigorgne, directeur de l'Institut Montaigne. Jusqu'à une date récente, Jean-Michel Blanquer était membre de son comité directeur.
"Agir pour l'école" va devenir la nouvelle caution scientifique de Céline Alvarez qui affirme que le rapport de l’association sur son expérimentation atteste de résultats au-dessus de la norme. Mais ce rapport n’a jamais eu de diffusion publique et l’engouement a cédé la place à la discrétion : à ce jour le site de l’association "Agir pour l’école" ne fait aucune mention de l’expérimentation de Gennevilliers dans l’état de ses recherches. Aucune explication sur pourquoi elle s’est enthousiasmée pour l’expérience Alvarez, l’a financièrement soutenue puis a décidé de l’abandonner ? Voilà qui aurait pu être passionnant pour comprendre pourquoi il ne suffit pas de prôner une méthode miracle pour transformer l’Éducation nationale.
La dernière expérimentation évoquée par Céline Alvarez, dans cette recherche éperdue de pouvoir faire état d'une caution scientifique à son expérimentation, est liée aux travaux de Ghislaine Dehaene-Lambertz et Karla Monzalvo(4). Dans l’état actuel des éléments diffusés de cette recherche en cours, une seule certitude : l’imagerie cérébrale identifie les effets de l’apprentissage de la lecture dans le développement de zones cérébrales et ce dès la grande section. Que certains enfants lecteurs de la grande section de Gennevilliers aient participé à cette étude et que leur image cérébrale atteste de transformations ne peut en aucun cas être confondu avec une légitimation scientifique des méthodes Alvarez. D’ailleurs, d’autres enfants, lecteurs en grande section mais issus d’autres écoles, présentent les mêmes caractéristiques d’imagerie cérébrale. Là encore la confusion est volontairement entretenue. Peut-être nous expliquera-t-on dans quelques temps qu’elle est aussi le résultat d’une formulation erronée qui s’est glissée dans les propos de Céline Alvarez !
Résumons-nous : la prétendue assise scientifique de la méthode Alvarez ne repose que sur les ambiguïtés entretenues de ses discours. À un tel degré de persévérance de l’ambiguïté, y compris en constatant ses effets sur les discours journalistiques, on ne peut croire raisonnablement qu’il s’agisse d’une erreur.
Il n’est pas exagéré de parler d’imposture.
(1) par exemple, Le Monde, 25 mai 2014
(2) Bibliothèque des expérimentations pédagogiques, Expérithèque, fiche 8638
(3) https://www.celinealvarez.org/les-resultats
(4) non publié à ce jour
La suite de la série de billets : "Science et pédagogie : déformations et impostures
Sur l'expérimentation Alvarez, voir aussi
Un autre billet de ce même blog : "les vérités de Céline Alvarez"
Une intervention de Laurence de Cock, à l'invitation de l'association N'autre école