L’audition par la commission d’enquête sénatoriale du cabinet de conseil Mc Kinsey a livré à la connaissance de toutes et tous, le coût d’une étude demandée par l’Éducation nationale sur les évolutions de la profession enseignante : 496 800 euros.
Rapporté au budget du ministère, le montant peut paraître limité (0,001%) mais confronté aux difficultés quotidiennes des personnels pour obtenir le financement des choses les plus élémentaires, il a de quoi nourrir quelque exaspération d’autant que les plus forts doutes subsistent sur la plus-value apportée par cette contribution d’experts.
Et ce n’est pas la réponse confuse faite par le responsable du cabinet devant la commission sénatoriale qui pourrait lever ces doutes, l’élément le plus clairement signifiant de sa réponse étant offert par un lapsus où « métier » et « marché » se confondaient.
Aucune plus-value
Mc Kinsey a donc été sollicité par le ministre de l’Éducation nationale pour préparer un colloque sur les évolutions des métiers de l’enseignement qui, initialement prévu en avril 2020, n’a pu se tenir du fait des conditions sanitaires. Les travaux du cabinet Mc Kinsey ont alors été mis au service du colloque « Quels professeurs au XXIe siècle ? » organisé le 1er décembre 2020 dans le cadre du Grenelle de l’Éducation et qui a donné lieu à la rédaction d’un rapport[1] par Yan Algan (voir billet du 29 janvier 2021 sur ce même blog).
On peut déjà s’interroger sur la nécessité de recourir à un cabinet qui n’est manifestement pas, dans son implantation française, spécialisé dans les questions d’éducation : il suffit de regarder la liste de ses consultants pour s’en convaincre.
Amélie de Montchalin avoue qu’elle ignorait, jusqu’à cette enquête sénatoriale, l’existence de cette expertise. Certes, elle n’était pas encore la ministre chargée de la fonction publique quand le cabinet a été sollicité mais elle l’était en décembre 2020 quand le colloque s’est tenu. On peut donc s’étonner, si la plus-value de l’expertise avait été évidente, qu’elle n’ait pas attiré la moindre attention de la ministre chargée d’une Fonction publique d’État qui comporte 43% d’enseignants[2] et qui devrait donc être quelque peu concernée par la question.
Quant à la lecture du rapport de Yann Algan, difficile de percevoir, là aussi, la plus-value puisque l’économiste n’y dit rien de vraiment nouveau et y répète ce qu’il a déjà publié… Pas de trace non plus d’une synthèse qui prendrait en compte la diversité des visions actuelles sur le sujet.
Le rapport assène une conception unique, déjà largement développée par Yann Algan. Si on prend l’exemple de la rémunération au mérite ou de l’autonomie des établissements, sujets qui pour le moins donnent lieu à des analyses diverses et à des désaccords, le rapport n’offre rien d’autre que la répétition de visions partagées par le gouvernement sans qu’aucune analyse contradictoire ne vienne y mettre quelque limite, quelque doute, quelque interrogation…
La méthode rappelle d’autres stratégies mises en œuvre par Jean-Michel Blanquer où un discours, affirmé comme scientifique, est instrumentalisé par ses volontés idéologiques sans qu’aucune place ne soit faite à la controverse, aux débats ou à une volonté de synthèse prenant en compte la diversité des analyses.
L’alibi de l’expertise
Pour qu’une expertise soit pertinente, elle doit être indépendante. C’est loin d’être la réalité actuelle où les experts internes sont sommés d’épouser les vues gouvernementales au nom de la loyauté et où les expertises externes sont choisies parce qu’elles vont dire ce que l’on attend d’elles…
Ainsi la politique ultralibérale continuera à promouvoir des évolutions dont les analyses exigeantes d’experts indépendants ont maintes fois montré qu’elles produisaient, pour le système scolaire, des effets contraires aux perspectives démocratisantes et émancipatrices énoncées.
Grâce à l’alibi d’une expertise, scrupuleusement choisie pour sa convergence d’idées avec le demandeur, un discours de vérité savante pourra venir imposer des choix idéologiques en rejetant le désaccord et la contestation au prétexte de l’incapacité du discours commun à comprendre la complexité du monde.
[1] Yann ALGAN, Quels professeurs au XXIe siècle ? Rapport de synthèse, colloque du 1/12/2020, CSEN
[2] INSEE, Les agents de l’État en 2014 : leurs profils, leurs carrières, Insee Références, édition 2018, p.49-62