La tribune publiée dans le Monde du 21 février à l’initiative de Anne-Christine Lang et d’autres parlementaires LREM, anciens socialistes et regroupés dans « Territoires de progrès », propose une réforme radicale du collège.
La tribune commence par une liste de difficultés dont elle nous dit qu’elles sont identifiées depuis longtemps : creusement des inégalités, survenue du décrochage, apparition des violences et du harcèlement, contournement de la carte scolaire, rupture CM2-6è… Et de conclure que l’ensemble de ces problèmes est dû à une erreur de conception du collège qui est un « petit lycée » alors qu’il aurait dû être la prolongation de l’école primaire. Car pour Anne-Christine Lang, le problème du collège, c’est la multiplication des professeurs et des disciplines qui ne permet pas de « donner du sens aux apprentissages ».
Cette question mérite examen.
Tout d’abord parce qu’il n’y a pas plus de disciplines enseignées au collège qu’à l’école élémentaire. L’organisation disciplinaire se modifie, se spécialise par exemple « sciences et technologie » se divisent à partir de la 5ème en « physique-chimie », « sciences de la vie et de la terre » et « technologie ». Mais pour autant, il ne faut pas imaginer que l’école élémentaire ne connaît pas une grande diversité disciplinaire. Le véritable changement entre l’école et le collège n’est pas dans l’organisation disciplinaire mais dans la polyvalence ou la spécialisation de l’enseignant.
En fait, ressurgit dans cette tribune un vieux projet, maintes fois énoncé par les Républicains qui voudrait fondre en un seul corps les professeurs des écoles et les professeurs de collège.
Spécialisation disciplinaire et sens des apprentissages
Que des évolutions soient indispensables pour renforcer une cohérence des savoirs nécessaire à la construction d’une culture commune et au sens des apprentissages ne suppose pas l’abolition des champs disciplinaires. Si leur cloisonnement excessif constitue une difficulté pour l’élève cherchant à appréhender la réalité du monde, leur absence nuirait à une organisation des savoirs tout aussi indispensable que leur mise en cohérence globale.
Seul un raccourci simpliste pourrait tenter d’expliquer les difficultés du collège par son organisation disciplinaire.
Or, la polyvalence des enseignants au collège posera vite des problèmes d’enseignement. Peut-on raisonnablement imaginer un enseignant capable, tout au long de la scolarité en collège, d’enseigner le français, les langues vivantes, les arts plastiques, l’éducation musicale, l’histoire des arts, l’éducation physique et sportive, l’enseignement morale et civique, l’histoire géographie, la physique-chimie, les sciences de la vie et de la terre, la technologie, les mathématiques, … ?
L’affirmation de liens nécessaires entre les disciplines ne peut donc être résolue par une polyvalence enseignante qui prendrait le risque d’un appauvrissement ou d’une approximation des contenus enseignés.
Quant à « l’acquisition d’une culture manuelle » prônée par la tribune, il faut s’interroger sur ce que signifie une culture manuelle opposée ici aux savoirs académiques. S’agit-il d’un développement de l’enseignement de la technologie ? d’un retour aux enseignements ménagers, d’une introduction précoce des apprentissages professionnels ? Le clivage manuel/intellectuel constitue généralement un prétexte d’orientation précoce qui réintroduirait plus tôt encore l’idée d’une destinée préalablement écrite devant conduire à des études longues ou courtes.
Retour de vieilles lubies...
La tribune d’Anne-Christine Lang, au-delà de cette analyse monocausale des difficultés du collège, distille la série habituelle des réformes envisagées par la droite néolibérale.
Tout d’abord donner aux enseignants de nouvelles missions éducatives, c’est-à-dire relativiser la part des connaissances disciplinaires pour développer des compétences socio-comportementales que le Grenelle de l’éducation a défendues comme l’élément central de l’école du XXIe siècle[1]. Les cités éducatives en seraient le cadre décentralisé. On voit comment dans une telle perspective, « l’instauration d’un système modulaire pour s’adapter au niveau de l’élève […] à l’appréciation des chefs d’établissement et des équipes éducatives » constituerait une modalité de renoncement au collège unique.
Autre obsession de ce projet scolaire néolibéral : la présence accrue des enseignants. Une telle perspective n’est évidemment pas sans résonance avec les habituelles considérations critiques sur le temps de travail enseignant dont on sait pourtant qu’il est loin d’être réduit ! Mais, au-delà, elle renforce la perspective du développement de missions autres que celles liées à l’enseignement : celles du Grenelle, évoquées plus haut et que la tribune formule au travers de l’idée d’un collège « tuteur des adolescents ». Entendons-nous bien, nous ne refusons évidemment pas une dimension éducative de l’école mais nous faisons le choix de la construire au travers des connaissances et non pas par une éducation comportementale.
Autre leitmotiv : l’autonomie, dont on sait qu’elle constitue un miroir aux alouettes dans une gouvernance qui ne cesse de la prôner tout en multipliant les injonctions et les contraintes autoritaires. Rappelons ici qu’aucune étude n’a accrédité une relation causale entre autonomie des établissements et réussite des élèves[2].
Quant à l’internat, resterait, là encore, à démontrer son effet réel sur la réussite scolaire, ce qui est loin d’avoir été fait ! Au passage, la priorisation pour les familles monoparentales témoigne de quelques stéréotypes familiaux !
Aider plutôt que sanctionner ?
La tribune en appelle à des équipes éducatives « fermes et bienveillantes » qui aideraient plutôt qu'elles sanctionneraient…
Sans doute peut-on, ici ou là, fustiger des pratiques qui méprisent les élèves ou leur refusent l’aide nécessaire mais cela caractérise-t-il le collège d’aujourd’hui ? Là encore, aucun consensus d’analyse ne permet de l’affirmer et poser une telle question renforce des préjugés stéréotypés sans apporter quelque réelle amélioration que ce soit.
Sous l’apparence d’une initiative nouvelle, cette tribune ne fait que répéter un projet ancien de la droite néolibérale.
Et si le problème était ailleurs ? Et si la faiblesse essentielle du collège était dans l’insuffisante formation didactique des enseignants à pouvoir, au sein même des enseignements, traiter des difficultés d'apprentissage des élèves alors que l’institution ne s'est jamais donné les moyens d’y parvenir.
Et si la réduction raisonnée des effectifs et le dédoublement des classes pouvaient constituer un élément facilitateur majeur pour la mise en œuvre de ces aides aux apprentissages?
Et si le travail des équipes enseignantes reposait sur le développement d’une culture coopérative et non sur des contraintes managériales croissantes ?
Et si l’existence d’équipes pluriprofessionnelles complètes constituait la véritable réponse à la question éducative plutôt que de décentrer le travail enseignant des apprentissages ?
Et si on reconnaissait que, malgré ses défauts et ses insuffisances, le collège unique reste la meilleure réponse aux ambitions démocratiques de l’école et que plutôt que de le mettre en cause, il faudrait le conforter en le dotant des moyens humains et matériels indispensables à son bon fonctionnement.
[1] https://blogs.mediapart.fr/paul-devin/blog/290121/l-ecole-du-grenelle-education-comportementale-et-bonheur-economique
[2] https://blogs.mediapart.fr/paul-devin/blog/090517/autonomie-des-etablissements-et-reussite-des-eleves