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Billet de blog 1 mars 2023

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Réforme des retraites : le Sénat doit faire respecter la Constitution !

Un sénateur se lèvera-t-il pour se révolter contre la méthode du gouvernement de faire passer en force son projet de loi, bâclé sur des points essentiels, en utilisant l’article 47-1 de la Constitution qui n’est pas fait pour ça ? Henri Guaino vient de déclarer que « si le Conseil constitutionnel ne sanctionne pas cette utilisation de l’article 47-1… il n’y a plus de Constitution » : il a raison !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Mme Françoise Fressoz, éditorialiste du Monde, est affirmative. Dans sa dernière chronique[1], elle vient en effet de proposer au Sénat de relever un défi : celui de « redorer le blason de la démocratie représentative passablement terni par ce qu’il est advenu à l’Assemblée nationale » en n’omettant pas de souligner que c’est La France insoumise( LFI) « qui a orchestré le spectacle ». Mais, ajoute-t-elle, le « Palais du Luxembourg va donc essayer de prendre le contre-pied de cette mauvaise farce », en nous révélant que tous les sénateurs, son président Gérard Larcher en tête et y compris, selon elle, les sénateurs de l’opposition ( !), « sont convaincus qu’une partie importante se joue qui touche à la respectabilité de l’institution ». Ce quotidien était jadis une référence de la presse de notre pays, mais mon avis est que c’est désormais du passé.

Si je cite cette journaliste, c’est parce qu’elle me semble transmettre à la perfection le message présidentiel, celui qui peut-être lui a été murmuré à l’oreille lors du fameux dîner (ou déjeuner ?)  secret auquel elle a été récemment conviée à l’Élysée[2].

Il y a donc de quoi s’inquiéter !

Mais Mme Fressoz a-t-elle seulement conscience que le Sénat a une raison d’être principale : celle d’élaborer la loi conjointement avec l’Assemblée Nationale, sans s’écarter des dispositions de la Constitution, dans l’intérêt général des citoyens, et surtout pas pour satisfaire les ambitions politiciennes d’un seul homme ou d’une coterie de privilégiés qui le conseille comme il le faut, le protège ou profite de ses largesses ?

Or, dans le cas présent, le projet actuellement débattu au Sénat est fondé sur un article de la Constitution, le désormais fameux article 47-1, détourné de son objet dans sa lettre et dans son esprit, dans le seul but d’enfermer le débat parlementaire dans une durée étriquée interdisant tout débat sérieux et approfondi sur un sujet particulièrement délicat. C'est là une forme d'obstruction gouvernementale délibérée : et le détournement de procédure ne laisse aucun doute, comme le souligne fort justement Henri Guaino[3]. De plus, et même s’il avait été présenté selon la procédure ordinaire[4], ce texte est si indigent sur des points essentiels, si empli de lacunes, de mensonges et de raisonnements approximatifs, qu’il est impossible, de toute façon, de procéder à un examen sérieux de son contenu.

Alors, pourquoi notre journaliste n’ajoute-t-elle pas que si le projet soumis au Parlement par le gouvernement n’est pas conforme à ce que permet la Constitution, il n’a pas à en débattre : l’Assemblée Nationale, comme le Sénat, doivent rendre la copie avec la mention « hors sujet » assortie de la note « zéro pointé ». Le sujet à traiter par ce gouvernement était en effet, « Commentez honnêtement l’article du code de la sécurité sociale suivant : la pérennité financière du système de retraite par répartition est assurée par des contributions réparties équitablement (…) entre les revenus tirés du travail et du capital »[5]. C’est la loi !

La note « zéro » est sévère, mais elle s’explique aussi par ce contresens habilement dissimulé dans les discours et dans les médias : selon le gouvernement, le financement « équitable » du système des retraites, c’est 100% de revenus tirés du travail (d’où l'idée du passage de 62 à 64 ans de l’âge de départ à la retraite), et surtout pas un peu moins qui pourrait être compensé par quelques milliards d’euros prélevés, non pas sur les comptes des entreprises, mais sur les revenus pourtant démentiels distribués à quelques privilégiés du CAC 40 !

Je ne reviendrai pas sur mes observations juridiques exposées en détail sur ce sujet dans trois articles dont le dernier résume l’essentiel à retenir des deux précédents (https://blogs.mediapart.fr/paul-report/blog/250223/reforme-des-retraites-une-strategie-du-mensonge-et-de-la-desinformation), sauf à rappeler une fois de plus que ce n’est pas moi, mais le Conseil d’État qui a affirmé dès 2004 qu’un « projet de loi de financement de la sécurité sociale n’est pas, en raison des contraintes de temps et de procédure dans lesquelles est enfermé son examen par le Parlement, adapté à la mise en œuvre d’une réforme de fond et de grande ampleur », ou encore très récemment, en 2021, que l’article 47-1 de la Constitution comporte des limites et que « cette limitation vise notamment (…) à éviter que les lois de financement de la sécurité sociale ne servent de vecteurs à des réformes susceptibles de soulever des questions délicates dont l’examen n’est pas compatible avec les délais et les règles de procédure régissant ces lois ».

De même, s’agissant de l’insuffisance des évaluations justifiant, contrairement aux conclusions du Conseil d’orientation des retraites, l’obligation d’une réforme sans laquelle, selon le gouvernement, le système des retraites s’effondrera, c’est le Haut Conseil des finances publiques, présidé par le président de la Cour des comptes, qui souligne sévèrement que « Compte tenu du caractère incomplet des informations qui lui ont été transmises par le gouvernement, le Haut Conseil n’est pas en mesure d’évaluer l’incidence de moyen terme de la réforme des retraites sur les finances publiques », ce qui en dit long sur la sincérité de ces évaluations.

Quant au ministre du travail, Olivier Dussopt, il a décidé de prendre ces avertissements avec indifférence et mépris en répondant aux députés de façon cinglante, que  « Je n'ai pas à rendre de compte ni sur les canaux, ni sur la manière dont je fais les prévisions » : mais pour nos élites politiques relayées par quelques journalistes complaisants, il n’y a rien de grave à cela, comme si un comportement aussi inadmissible n’était pas de nature à « ternir le blason » de la démocratie.  

Alors, la situation est-elle désespérée ?

Pas encore tout à fait, mais presque. En tous cas, elle est désespérante. Les parlementaires baissent les yeux et les médias les plus influents jugent inopportun d’inviter sur les plateaux ou sur les antennes les futures victimes de cette réforme en refusant tout débat contradictoire avec elles. En réalité, ils ont peur d’entendre la vérité et ils ont peur qu’elle éclate au grand jour !

Il reste un espoir : la pression populaire, à la manière de celle qui a permis en 1995 de faire flancher le pouvoir de l'époque sur le même sujet. C’est pourquoi la journée nationale du 7 mars est cruciale : et ce jour-là, il ne faudra surtout pas oublier de mettre sous les yeux de nos parlementaires une banderole avec l’inscription « Respectez la Constitution, vous plus que d’autres ».

NOTES :

[1] Le Monde du 28/02/2023.

[2] Même BFM/RMC, un média pourtant peu enclin à critiquer le pouvoir actuel, rapporte sur son site internet (édition du 25/01/2023) que « Pour l'Élysée, l'objectif de ce déjeuner était pourtant clair. C’est qu’Emmanuel Macron distille la bonne paroledonne lui-même les éléments de langage aux dix journalistes les plus influents de la presse parisienneafin que la parole présidentielle influe dans l’opinion et pourquoi pas l’influence »,assure la journaliste Eve Roger sur France 5. « La presse française est d’une servilité avec le président de la République », tacle sur RMC et RMC Story l'avocat Charles Consigny. « Je le vois de près, je participe moi aussi à des cocktails et des dîners et je vois cet entre-soi qui s’est créé. C’est singulièrement vrai dans la macronie avec un changement générationnel qui fait qu’ils ont le même âge. A part quelques-uns, comme Edwy Plenel ou Élise Lucet, qui remuent la plume dans la plaie », assure le candidat LR malheureux aux législatives ».

[3] Interview sur Europe 1 du 26/02/2023 

[4] Articles 34, 39 et suivants de la Constitution.

[5] Article L. 111-2-1 de la sécurité sociale du code de la sécurité sociale.

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