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Billet de blog 17 septembre 2024

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Budget et réforme des retraites : l’enfumage du pouvoir et le coup de bluff du RN !

Le budget de l’État 2025 ne traduira rien de la volonté de changement exprimée par les français lors des dernières élections, et la réforme des retraites ne risque pas d’être abrogée : Emmanuel Macron en a décidé ainsi et Marine Le Pen, en son for intérieur, approuve ces choix en faisant semblant de froncer ses sourcils. Voilà comment la sournoiserie politique met notre démocratie en lambeaux !

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Le budget 2025 :

Selon les informations de fraîche date qui filtrent depuis l’Hôtel Matignon[1], « Le Premier ministre Michel Barnier enverra les documents du projet de budget pour 2025 (lettres-plafonds) dans la journée au président de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, Éric Coquerel, qui menaçait de venir les chercher en personne à Matignon ... Les lettres-plafonds fixent les crédits ministère par ministère pour 2025. D’après une source au sein de l’exécutif, Matignon conserverait ceux qui ont été fixés par le gouvernement sortant ». Ce qui devient grotesque, c’est que les ministres de son gouvernement ne sont pas encore nommés alors que c'est  normalement à eux de finaliser la rédaction de « leur budget » avant qu’il soit envoyé à l’Assemblée nationale. Mais il est vrai que la logique d’Emmanuel Macron n’est pas celle-là : elle doit transgresser, elle doit être « disruptive » !

Je ne reviendrai pas sur ce que j’ai écrit il y a près d’un mois dans un billet[2] concernant les lettres-plafonds (documents normalement établis par le Premier Ministre et transmis aux ministres début juillet !), mais également les avis  (Cour des Comptes, Conseil d’État) qui n’ont toujours pas été rendus, outre le calendrier qui ne sera évidemment pas respecté (Commission de Bruxelles vendredi 20 septembre prochain, conseil des ministres au plus tard la semaine prochaine, Assemblée nationale mardi 1er  octobre, c’est-à-dire dans 15 jours) : en bref, je ne reviens pas sur ce qui n’est désormais à l’évidence qu’un « foutoir disruptif absolu » qui donne le tournis !!

Mais il y a plus grave, sur le fond.

Il ressort en effet de ses propres aveux que Michel Barnier, membre du parti LR toujours présidé par Éric Ciotti (ce précieux allié de Marine Le Pen), et Premier ministre placé sous la tutelle du RN mais aussi surveillé de très près par les députés macronistes, bayrouistes et philippistes, présentera un budget qui ne sera rien d’autre que celui concocté de longue date par Gabriel Attal et Bruno Le Maire selon les directives incontournables et sans appel d’Emmanuel Macron !

Ce budget ne changera donc rien à ce qu’Emmanuel Macron a décidé depuis longtemps, à savoir réduire les dépenses en sabrant notamment dans celles des services publics et des dépenses sociales, mais surtout sans toucher à la fiscalité des privilégiés, notamment celle des grosses fortunes. Marine Le Pen, qui déteste les « assistés », c’est-à-dire les pauvres, ne peut qu’approuver, contrairement à ce qu’elle laisse entendre dans ses discours (n’oublions pas qu’elle puise largement depuis des années son inspiration « économique » dans les discours ultra-libéraux des Donald Trump et assimilés : on se souvient d’elle, lors de la campagne présidentielle de 2017, lorsqu’elle avait répondu à un journaliste lui demandant ce qu’elle pensait du président Trump qu’ « Évidemment, ce que fait Trump m'intéresse, puisqu'il met en place la politique que j'appelle de mes vœux depuis très longtemps … »[3], ce qu’elle n’a jamais démenti sur le fond).

Ce budget est donc une opération d’enfumage, et il ne traduira évidemment rien de la volonté de changement d’orientation exprimée par les français lors des dernières élections.

La triste et rageante réalité est qu’il révèlera une nouvelle lacération de notre démocratie, une de plus. Le risque est que cette démocratie malmenée soit définitivement mise en lambeaux, et plus rapidement que prévu !

L’abrogation de la réforme des retraites :

Cette proposition de loi envisagée par le RN, Sophie Binet a bien raison de dire qu’elle ne traduit que « de la com,  de la posture, comme à chaque fois que l'extrême droite parle des questions sociales »[4], mais elle révèle sans doute aussi un coup de bluff d’une posture qui relève d’une imposture.

L’on ne sait pas si cette proposition de loi sera une loi ordinaire ou s'inscrira dans le cadre d'une loi de financement de la sécurité sociale (rappelons en effet que le vice fondamental de cette réforme est celui d’avoir fait l’objet d’une loi de financement de la sécurité sociale rectificative[5]), mais il est fort probable que cette initiative du RN (initiative probablement calculée pour qu’elle échoue) relèvera d’une loi ordinaire : c’est en effet plus simple à mettre en œuvre et à rédiger … sauf sur un point qui sauvera ceux qui ne veulent pas entendre parler de cette abrogation, ouvertement ou en leur for intérieur.

Il y a en effet une différence essentielle, inscrite dans la Constitution, entre un projet de loi déposé par le gouvernement et une proposition de loi déposée quant à elle par des députés (ou des sénateurs). Cette différence est celle que la proposition de loi, pour être recevable avant toute possibilité de discussion et de vote, doit respecter les conditions de l’article 40 de la Constitution. Si ces conditions ne sont pas remplies, le risque est alors que la loi émanant d’une proposition de loi a toutes les chances d'être déclarée non conforme à la Constitution.

Selon cet article 40, « Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiquessoit la création ou l'aggravation d'une charge publique ».

La procédure de contrôle de la recevabilité d’une proposition de loi (ou d’un amendement parlementaire) est décrite à l’article 89 du règlement de l’Assemblée Nationale : en particulier, il est important de noter que cet article prévoit (en son §4) que « Les dispositions de l’article 40 de la Constitution peuvent être opposées à tout moment aux propositions de loi et aux amendements, ainsi qu’aux modifications apportées par les commissions aux textes dont elles sont saisies, par le Gouvernement ou par tout député. L’irrecevabilité est appréciée par le président ou le rapporteur général de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire ou un membre de son bureau désigné à cet effet »[6]. Cette irrecevabilité, si elle est soulevée devant l’Assemblée, pourra alors être examinée par le Conseil Constitutionnel dans le cadre du contrôle de la loi après son adoption[7].  

S’agissant des ressources, l’emploi du pluriel signifie qu’une perte de recettes consécutive à une proposition de loi autorise sa compensation par l’augmentation d’une autre recette (par exemple, une baisse du produit des cotisations retraites peut être compensée par l’affectation d’une augmentation de telle ou telle autre taxe ou impôt). En revanche, s’agissant des charges, c’est-à-dire des dépenses, l’emploi du singulier interdit en principe toute compensation.

 Or la mesure essentielle qui justifie l’abrogation de la réforme des retraites est celle qui permet le retour à 62 ans de l’âge de départ à la retraite : une telle mesure impliquerait alors mécaniquement un accroissement sensible et logique des dépenses, et ne serait donc pas recevable dans le cadre d’une proposition de loi : l’on voit mal alors Eric Coquerel ou Charles de Courson, en leurs qualité respectives de président et de rapporteur général de la commission des finances,  trouver un motif sérieux pour affirmer le contraire !

Il est vrai que certains, à l’Assemblée nationale ou au Sénat ferment les yeux sur ce contrôle de recevabilité et prônent parfois l’idée d’apporter un peu de souplesse dans l’application de cette disposition (il est vrai qu’une stricte application revient en effet à réduire à presque rien la possibilité de présenter une proposition de loi sur le moindre sujet susceptible de générer une nouvelle dépense de l’État …) : mais, encore une fois, si cette irrecevabilité est soulevée, cette loi risque de toute façon de ne pas passer pas le sas  du contrôle du Conseil Constitutionnel.  

N’oublions pas que l’an dernier, c’est cet article 40, interprété à la lettre, que la présidente de l’Assemblée nationale brandissait pour s’opposer à la proposition d’abrogation de la loi sur les retraites présentée par le groupe LIOT. Dans le cas présent, il est fort probable que Mme Braun-Pivet, réélue présidente de cette assemblée dans des conditions pourtant juridiquement inadmissibles (mais pour le plus grand bonheur d’Emmanuel Macron), brandira sans doute à nouveau cet article 40 lorsqu’elle trouvera sur son bureau la proposition de loi du RN (comme elle le fera d’ailleurs à l’égard de tout autre groupe parlementaire, puisqu’elle a clairement déclaré qu’elle ne voulait pas entendre parler d’une abrogation de la loi sur les retraites).

En réalité, seul un projet de loi présenté par le gouvernement permettrait, en évitant cet écueil de l’article 40, de passer directement à la discussion et au vote d’une abrogation de la réforme des retraites : c’est ce qu’aurait fait un gouvernement dirigé par Lucie Castets sans avoir d’états d’âme pour prélever des recettes là où elles sont abondantes …, et c’était sans doute l’une des principales raisons pour lesquelles Emmanuel Macron ne voulait pas entendre parler d’un gouvernement NFP !

                                                           ***

Comment ne pas répéter et répéter encore que la France va mal dans un contexte mondial des plus inquiétants, qu’elle est mal menée et donc malmenée. Le drame est que la plupart de ceux qui détiennent le pouvoir dans notre pays, qui en sont à la port et  qui en rêvent ne sont pas à la hauteur des enjeux colossaux qui défient la planète et l’humanité, en Europe et en France en particulier. Il est vrai que cela ne date pas d’hier et, au fond, le journaliste et académicien André Frossard, n’avait pas tort d’affirmer que « Le discours politique vole bas, mais il n’atterrit jamais ». Depuis, rien n’a vraiment changé, bien au contraire.

Encore une fois, les invraisemblables fautes de pilotage commises depuis 2017 par Emmanuel Macron ont mené la France en zone de très graves turbulences. Le résultat est que le risque d’une implosion de la République telle qu'elle est encadrée par la Constitution en vigueur,  n’est donc plus à exclure : mais le drame pour la France est que cette Constitution lui permet malgré tout de demeurer le maître du jeu périlleux qu’il a choisi pour continuer d’imposer ses volontés et d’exister par lui-même sur la scène politique.

Il faut craindre que l'on s’achemine vers une situation de crise majeure, d’autant qu’il est impossible de lancer de nouvelles élections législatives avant juin prochain : je suis de plus en plus convaincu, aujourd’hui plus que jamais, qu’Emmanuel Macron souhaite effectivement, comme le titrait un récent article de Mediapart, une « cohabitation avec lui-même »[8]… ce que, d'une certaine manière, n'interdit pas la Constitution !

NOTES:

[1]  Sur le fil d’actualité de Mediapart du 16/09/2024 : https://www.mediapart.fr/journal/fil-dactualites/160924/budget-2025-les-lettres-plafonds-transmises-aux-deputes-dans-la-journee-matignon.

[2] Sur mon blog : https://blogs.mediapart.fr/paul-report/blog/220824/emmanuel-macron-se-trompe-une-loi-de-finances-n-est-pas-une-affaire-courante.

[3] Interview de Marine Le Pen sur RTL le 16/01/2017.

[4] Interview de Sophie Binet sur France Inter le 14/09/2024 : « Gouvernement de Michel Barnier : Emmanuel Macron met en place le Premier ministre le plus faible de la Ve République ». 

[5] Voir par exemple : https://blogs.mediapart.fr/paul-report/blog/310523/l-abrogation-de-la-loi-retraites-est-elle-irrecevable.

[6] Sur ce point, le Conseil Constitutionnel a considéré dans sa décision n° 2009-581 DC du 25 juin 2009 que « le respect de l'article 40 de la Constitution exige qu'il soit procédé à un examen systématique de la recevabilité, au regard de cet article, des propositions et amendements formulés par les députés et cela antérieurement à l'annonce de leur dépôt et par suite avant qu'ils ne puissent être publiés, distribués et mis en discussion, afin que seul soit accepté le dépôt des propositions et amendements qui, à l'issue de cet examen, n'auront pas été déclarés irrecevables ; qu'il impose également que l'irrecevabilité financière des amendements et des modifications apportées par les commissions aux textes dont elles ont été saisies puisse être soulevée à tout moment ».

[7] Décision du Conseil Constitutionnel n° 93-329 DC du 13/01/1994 :  «  Considérant que  le Conseil constitutionnel ne peut être saisi de la conformité de la procédure aux prescriptions de l'article 40 de la Constitution que si la question de la recevabilité de la proposition ou de l'amendement dont il s'agit a été soulevée devant l'assemblée parlementaire concernée / Considérant qu’il appartient au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la régularité de la procédure suivie en examinant si le texte des conclusions du rapport de la commission saisie au fond inscrit à l'ordre du jour, dont la discussion a donné lieu au texte définitivement adopté, est ou non contraire aux dispositions de l'article 40 de la Constitution …». 

[8] Lire l’article de Youmni Kezzouf dans Mediapart : https://www.mediapart.fr/journal/politique/140824/la-gauche-s-exaspere-emmanuel-macron-veut-une-cohabitation-avec-lui-meme

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