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Retraité. Ancien magistrat administratif.

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Billet de blog 22 mars 2023

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Il est crucial que le Conseil Constitutionnel censure la loi sur les retraites !

Le rôle du Conseil Constitutionnel est de dire le droit, pas de faire de la science politique. La situation en France est inquiétante et ses membres, pour la plupart non juristes, doivent s’obliger à oublier leur passé politique pour ne penser qu’au seul intérêt des citoyens, comme le veut la Constitution, et pas à celui de l’exécutif qui a franchi une borne interdite : celle du mépris du peuple !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le Président Macron a donc décidé, pour gouverner le pays sans une majorité parlementaire qui lui soit entièrement dévouée et obéissante, de confier à son gouvernement le soin d’exercer les pouvoirs parmi les plus exorbitants de la Constitution dans le seul but de bâillonner ceux du Parlement, à tel point que l’on peut craindre sérieusement que la France ne s’achemine désormais vers cette situation périlleuse annoncée dans notre Constitution à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution » !

La loi sur les retraites, qui vient d’être arrachée au Parlement, sans vote, et dans des conditions juridiques inacceptables, est l’occasion pour le Conseil Constitutionnel de stopper au plus vite l’hémorragie qui est en train de faire souffrir le corps social de notre pays, humilié et offensé comme jamais depuis bien longtemps.

Il doit avant toute chose rappeler au Président de la République et à son gouvernement la portée solennelle des principes fondamentaux de notre démocratie, inscrits à l’article 2 de la Constitution selon lequel la République c’est le « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » et à l’article 3 en vertu duquel « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».

Le Président du Conseil Constitutionnel, M. Laurent Fabius, qui est intervenu lors de la dernière campagne présidentielle pour expliquer aux français la difficulté, selon lui, de changer de Constitution, en déclarant à cette occasion que « n’est pas le général de Gaulle qui veut », pourra, ou plutôt devrait utilement rappeler, cette fois à ses collègues, ces paroles prononcées par de Gaulle dans son discours d’Alger du 3 novembre 1943 où il disait notamment que la France « veut faire en sorte que, demain, la souveraineté nationale puisse s’exercer entièrement, sans les déformations de l’intrigue et sans les pressions corruptrices d’aucune coalition d’intérêts particuliers », notamment politiciens. 

Ensuite, le Conseil Constitutionnel aura à examiner cette invraisemblable loi sur les retraites.

Rien n’est évidemment acquis[1], mais comment les citoyens pourraient-ils comprendre, sans explications convaincantes et juridiquement solides, que le Conseil Constitutionnel ne condamne pas le détournement de la procédure prévue à l’article 47-1 de la Constitution, une procédure utilisée sournoisement par le gouvernement pour faire passer en force, en évitant ainsi tout débat sérieux, une réforme de cette ampleur dans une loi de financement de la sécurité sociale simplement rectificative, alors que cet article et sa loi organique ne le permettent pas, comme l’a d’ailleurs souligné à plusieurs reprises le Conseil d’État[2] ?

Comment, subsidiairement, le Conseil Constitutionnel pourrait-il ne pas réagir sévèrement devant l’état d’insincérité manifeste du projet présenté au Parlement, un projet bâclé, truffé de mensonges, d’approximations et de graves omissions interdisant tout débat digne de ce nom[3] ?

Et comment accepter que cette loi de financement ait pu être « adoptée » (sans vote ) en négligeant son équilibre financier global dont l’appréciation n’apparait pas intégrer toutes les dépenses induites « hors retraites » affectant les autres branches de la sécurité sociale, telles que ces dépenses ont été analysées par le Conseil d’orientation des retraites[4] ?

Et puis, il y a cette pierre angulaire qui est la seule justification martelée par le Président de la République pour expliquer son entêtement à ne pas céder, à savoir que l'unique perspective de « sauver » financièrement le système de répartition des retraites passe par la prolongation de deux ans supplémentaires de labeur (ou de chômage) avant de prétendre à une retraite à taux plein. Mais le gouvernement a refusé tout débat sur ce sujet et pour cause, puisque c’est faux, et donc gênant d’en parler.

On peut rappeler, une fois encore, qu’il existe pourtant une loi[5] qui dispose que « La pérennité financière du système de retraite par répartition est assurée par des contributions réparties équitablement (…) entre les revenus tirés du travail et du capital » : cette loi ne dit pas « ou du capital », ni davantage « et, le cas échéant, du capital », mais elle dit « et du capital »[6]. Il y avait donc bien lieu d’explorer d’autres voies que celle de l’âge de la retraite, ce dont le Président Macron ne veut pas entendre parler, lui qui affirmait pourtant, la main sur le cœur, qu’« Aujourd’hui, quand on est peu qualifié, quand on vit dans une région qui est en difficulté industrielle, quand on est soi-même en difficulté, qu’on a une carrière fracturée, bon courage déjà pour arriver à 62 ans. C’est ça la réalité de notre pays ».

Mais pour parler avec sincérité de la réalité du pays, encore faut-il s’intéresser à la réalité du vécu quotidien et des aspirations profondes de ses citoyens : tel n’a pas été le cas avec cette « réforme » des retraites qui ne mérite certainement pas le « brevet de constitutionnalité » désormais espéré par la Première ministre.

Mon propos n’est pas, évidemment, de donner des leçons au Conseil Constitutionnel, mais que ses membres me permettent quand même de citer cette belle phrase de Georges Bernanos : « Ce sont les démocrates qui font les démocraties, c’est le citoyen qui fait la République » … que le Président Emmanuel Macron le veuille ou non !

NOTES:

[1] https://www.mediapart.fr/journal/politique/150323/le-conseil-constitutionnel-ne-joue-pas-le-role-de-contre-pouvoir et mon commentaire sous cette enrichissante interview de Mme Lauréline Fontaine.

[2] https://blogs.mediapart.fr/paul-report/blog/150223/reforme-des-retraites-le-parlement-est-il-victime-d-un-detournement-de-procedure

[3] https://blogs.mediapart.fr/paul-report/blog/250223/reforme-des-retraites-une-strategie-du-mensonge-et-de-la-desinformation

[4] L’appréciation de l’équilibre financier d’une loi de financement de la sécurité sociale ne se limite pas uniquement, en effet, à celle de la seule branche vieillesse. Dans son rapport, le COR a analysé l’impact global sur le budget de la sécurité sociale de la mesure du passage de l’âge de la retraite à 64 ans, et a alerté sur le fait que l’effet de cette mesure affecterait d’autres branches « hors retraites » de ce budget (accidents du travail, maladies professionnelles, invalidité etc …), et à hauteur de 5 milliards, en reprenant les chiffres en provenance des services du ministère du travail et de Bercy. En d’autres termes, les économies escomptées sur la branche vieillesse doivent être relativisées, année après année, par la prise en compte de dépenses nouvelles induites affectant d’autres branches : or, il n’y a rien sur ce sujet dans le dossier du projet du gouvernement !

[5] Loi codifiée à l’article L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale.

[6] https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/210323/taxer-enfin-les-plus-riches-ce-debat-brulant-que-le-gouvernement-s-epargne et mon commentaire sous cet intéressant et bienvenu article de Mathias Thépot.

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