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Billet de blog 24 mars 2023

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Réforme des retraites : le Conseil Constitutionnel n’a pas droit à l’erreur !

En 2010 est intervenue l’avant dernière réforme des retraites dont la mesure phare a été de faire passer de 60 à 62 ans l’âge de départ à la retraite. A l’époque, Laurent Fabius, actuel président du Conseil Constitutionnel, était député de l’opposition : il n’a pas manqué de critiquer sévèrement cette mesure, et il en avait le droit. En revanche, aujourd’hui, il n’a pas droit à l’erreur.

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Laurent Fabius, l’actuel président du Conseil Constitutionnel, a certainement gardé en mémoire ce qu’il pensait en 2010, en sa qualité de député socialiste de l’opposition, du système de gouvernement de l’époque et de la réforme des retraites alors débattue et votée, cette réforme dont la mesure phare a été celle de faire passer l’âge de départ à la retraite de 60 à 62 ans.

Questionné sur cette réforme présentée par le gouvernement alors dirigé par François Fillon, il n’a pas mâché ses mots, estimant en particulier que « Le texte du gouvernement n'est pas juste car il repose sur un triple recul. Le recul de l'âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans supprime une garantie pour les plus modestes et va peser surtout sur les ouvriers. Le recul de 65 à 67 ans pour les départs à la retraite sans décote pénalisera particulièrement des centaines de milliers de femmes, qui n'ont pas des carrières complètes. Le troisième recul concerne la pénibilité »[1]. Treize ans plus tard, ces propos ne sonnent toujours pas faux …

Puis, interrogé à propos du système de gouvernement de l’époque, il a répondu sans détour que « Moi, ce qui me choque dans le système Sarkozy, c'est que c'est le gouvernement du Président, par le Président, pour les amis du Président », en condamnant « un cumul scandaleux des excès »[2]. Aujourd’hui, les choses n’ont pas évolué : il suffit de substituer dans cette phrase le nom Macron au nom Sarkozy, le reste n’appelant aucun changement …

Il est vrai que lorsqu’il s’exprimait ainsi, Laurent Fabius était dans son droit, en tant qu’acteur de la vie politique. Aujourd’hui, il ne le peut plus, car son rôle est uniquement de dire le droit, plus exactement de veiller à la conformité à la Constitution des lois soumises au Conseil qu’il préside, qu’il s’agisse de leur contenu ou de leur procédure d’élaboration.

Mais il reste une différence fondamentale entre la loi de 2010 et celle de 2023 que le Conseil Constitutionnel ne peut ignorer et dont Laurent Fabius doit certainement se souvenir, une différence qui pourrait constituer une source d’inspiration. Elle est simple à résumer : en 2010, le gouvernement a respecté la procédure constitutionnelle d’élaboration de la loi, alors qu’en 2023, le gouvernement de Mme Elisabeth Borne a dévoyé cette procédure.

La réforme de 2010 préparée par Éric Woerth, alors ministre du travail, et présentée au Parlement par le gouvernement de François Fillon, a en effet été débattue et votée dans des conditions normales, en suivant la procédure d’élaboration d’une loi ordinaire et non, comme celle de 2023, en utilisant abusivement la procédure dérogatoire de l’article 47-1 de la Constitution, qui plus est dans le cadre aberrant et totalement inappropriée d’une loi de financement de la sécurité sociale simplement rectificative.

Il n’est pas inutile de rappeler[3], encore une fois, que l’article 34 de la Constitution définit clairement dans sa première partie les matières relevant du domaine de la loi ordinaire, au nombre desquelles figure celle qui «  détermine les principes fondamentaux : … du droit de la sécurité sociale ».

A ce titre, le Conseil Constitutionnel a tout aussi clairement précisé par une décision qu’il a prise en 2016 que ce droit de la sécurité sociale recouvre «  la détermination des prestations et des catégories de bénéficiaires ainsi que … la définition de la nature des conditions exigées pour l'attribution des prestations »[4]. Ces conditions, ce sont par exemple celles qui portent sur l’âge de départ à la retraite ou sur le nombre de trimestres cotisés permettant d’espérer une retraite à taux plein. De même, la notion de catégories de bénéficiaires affecte directement les règles d’existence et de suppression des régimes spéciaux.

Telle est la jurisprudence du Conseil Constitutionnel qui invite à l’évidence, pour légiférer dans ces matières, à emprunter obligatoirement la voie ordinaire et non une quelconque autre voie dérogatoire, comme par exemple celle prévue à l’article 47-1 qui ne concerne que la loi de financement de la sécurité sociale (initiale ou rectificative) qui n’est qu’une loi d’équilibre financier, en d’autres termes une loi « de chiffres » (et non de « lettres ») qui tire, année après année, les conséquences financières des règles du droit de la sécurité sociale établi pour le long terme par la loi ordinaire.

Dans ces conditions, et sauf à revenir sur le sens de cette jurisprudence, le Conseil Constitutionnel ne devrait pas hésiter à déclarer inconstitutionnelle l’intégralité de la loi actuellement contestée comme « adoptée » selon une procédure irrégulière, celle de cet article 47-1 utilisé comme moyen pour la faire passer en force, malgré son ampleur et sa complexité, en enfermant dès le départ le débat parlementaire dans une durée insignifiante.

Cette durée a minima a permis au gouvernement de bâcler à la va-vite, et sans concertations sérieuses, un projet de loi truffé de mensonges, d’évaluations fantaisistes, d’omissions volontaires, et de priver ainsi les parlementaires de leur droit absolu de réellement délibérer et aux citoyens de comprendre les enjeux de la réforme proposée, sans parler du caractère simplement rectificatif de cette loi qui, en l’espèce, ne rectifie rien, mais vraiment rien de ce qui est prévu dans la loi initiale promulguée en décembre dernier. C’est une façon retorse du gouvernement d’organiser l’obstruction à un débat démocratique digne de ce nom.

Comment alors ne pas comprendre l’énervement et la colère des parlementaires dignes de leurs fonctions, de gauche et même de droite[5].

Si le Conseil Constitutionnel validait cette loi, même partiellement, il endosserait alors une lourde responsabilité devant la Nation : celle d’attiser l’incendie social allumé par le pouvoir exécutif en admettant que celui-ci puisse piétiner les procédures constitutionnelles dans le but d’asphyxier le débat parlementaire. Au fond, ce serait valider un projet de faire-part annonçant l’agonie et la fin proche de notre Constitution !

Mais le peuple ne s’est pas endormi !

Il laisse désormais entendre sa colère et sa rage en exprimant le sentiment profond que le Président de la République et son gouvernement ne respectent plus sa souveraineté au mépris de la Constitution qui proclame solennellement que « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum » : il est impératif que le Conseil Constitutionnel entende aussi cette colère et le grondement de plus en plus puissant de ce peuple qui n’en peut plus d’être traité par le mépris.

NOTES :

[1] Par exemple ; Les Échos, article du 6 juin 2010.

[2] Par exemple : Libération, article du 2 juillet 2010.

[3] Pour une analyse détaillée : https://blogs.mediapart.fr/paul-report/blog/150223/reforme-des-retraites-le-parlement-est-il-victime-d-un-detournement-de-procedure

[4] Décision du Conseil Constitutionnel n° 2016-742 DC du 22 septembre 2016, §36. 

[5] Pour un exposé plus. détaillé : https://blogs.mediapart.fr/paul-report/blog/250223/reforme-des-retraites-une-strategie-du-mensonge-et-de-la-desinformation

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