La vraie vie est celle que l'on mène hors compétition.
Avec l'Euro de balle-au-pied, le tour de France cycliste et bientôt les jeux olympiques, nous en sommes les spectateurs à outrance, jusqu'à la nausée. La compétition est-elle consubstantielle de la nature humaine? Il est pour le moins évident qu'est elle exacerbée par le dogme ultralibéral qui privilégie en l'homme l'individualisme plutôt que le collectif. On pourrait penser qu'elle a la vertu d'induire automatiquement l'émulation, sentiment louable qui a permis à l'homme de s'élever jusqu'au niveau actuel de la pensée intelligente, d'accéder au formidable développement scientifique et technologique apportant confort et longévité, mais aussi, et c'est peut-être moins glorieux, de notre capacité de domination absolue sur toutes autres espèces vivantes et du pouvoir de modifier notre environnement naturel. Mais ce n'est qu'illusion, si elle est porteuse de quelque vertu, elle contient les graines de notre propre disparition par la violence et l'agressivité qui seraient (dixit Freud) chez tout être humain, une pulsion de vie. Mais cette assertion est démentie par des anthropologues comme Lévi-Strauss qui ont montré que dans les "sociétés premières", il y a beaucoup de jeu, mais pas d'activités d'ordre compétitif. Ici, l'objectif n'y est pas de gagner mais d'agir ensemble, l'idée la plus enracinée est que le pire serait d'être exclus du groupe. Alors, que penser de cette barbarie guerrière qui gagne en intensité, de cette brutalité tant physique qu'institutionnelle, de cette inhumanité et cette indifférence des puissants au sort des populations les plus fragiles, bref de cette compétition dont le but premier est de neutraliser le concurrent, sinon de le tuer pour accumuler richesse et pouvoir ? La compétition est-elle un comportement normalisé des rapports humains dans la société et ne débouche-t-elle pas le plus souvent sur des conflits ? L'humanité est-elle axée sur la compétition pour des raisons biologiques ? Ne serait-ce pas un long conditionnement qui nous aurait conduit à la pratique de la compétition dans tous les domaines ?
Le principal moteur de cette idée de compétition est bien sûr le modèle économique institué et cette fameuse loi du marché et la concurrence féroce qui en découle et ses conséquences pour les travailleurs : diminution des salaires précarisation, chômage, suicides … Passer d'un environnement de compétition à un environnement d'émulation nécessiterait l'intervention d'une autorité de régulation supérieure, qui ne peut être que l’État ou mieux, l'Europe. Nous savons ce qu'il en est, la concurrence "libre et non faussée" est un vecteur de compétition qui n'enrichit que les maîtres de la finance.
Vae victis, une antienne impitoyable toujours d'actualité, que nos Brennus modernes, sans dire ouvertement « malheur aux vaincus », pour toujours plus de pouvoir et de richesse, appliquent avec constance, et sans état d’âme pour les populations qui crèvent de ne pas avoir eu la chance de naître dans un environnement favorable.
L’éducation n’est pas épargnée par cet esprit de compétition. En France, c'est « un système conçu pour organiser le plus précocement possible la sélection d’une élite, dans le cadre d’une compétition scolaire pipée dès le départ. » comme l'explique Yves Besançon dans son billet Une école élitiste au service de la reproduction sociale qui y dénonce également la tyrannie des diplômes. On peut en outre se demander sans esprit de polémique, si les élites formées dans les grandes écoles de management (HEC, ENA, X, Sciences Po …) sont d'une quelconque utilité au vu de l'état de délabrement social, politique et administratif dans lequel elles ont conduit notre pays.
Nous en sommes témoins tous les jours dans nos gazettes et sur nos écrans, il n'est nullement indispensable de souligner ici l'affligeante et indigne médiocrité de la compétition politique. La campagne électorale qui s'annonce sera abjecte à moins d'un miracle ...
La compétition sportive échappe-t-elle à ces critiques, autrement dit n'est-elle vraiment animé que par « l'esprit sportif » ? A l'évidence non. Performance, dépassement de soi, élimination de l’autre, loi du plus fort, repoussement perpétuel des limites, rejet de l’humain dans l’athlète, le sport-spectacle façonné par les médias, est le plus efficace vecteur de communication et de contamination de l’idéologie libérale caractérisé par la logique d'accumulation sans fin du capital. Le modèle de la compétition sportive est le reflet de la compétition économique.
Anecdote révélatrice : dans l'association sportive de mon village, j’œuvre très humblement à dégrossir les adolescents intéressés par la pratique du badminton. J'observe toujours avec un peu de déplaisir qu'avant même d'avoir les automatismes fondamentaux de ce sport, leur intention première est de frapper très fort sur le volant pour mettre en difficulté celui, de l'autre coté du filet qu'il considère à priori comme l'adversaire à abattre, car la compétition fait déjà partie de leur pensée intime, acceptée de manière bien souvent inconsciente et jamais remise en question. Leur faire comprendre que les échanges durables leur seraient infiniment plus profitables que les agressions directes (concept à élargir à d'autres domaines) est une entreprise difficile. Une philosophie de la vie qui semble leur être sinon étrangère, du moins pour certains, contraire à leur pratique quotidienne de la vie en société.
Je regarderai sans doute les jeux olympiques, mais surtout pour l'élégance des attitudes, la beauté des corps et et des gestes, pour les performances aussi (en tentant d'oublier la chimie qui les ont rendu possibles), mais sans la moindre idolâtrie pour les vainqueurs qui, dans les panthéons des meetings ultérieurs, en dieux de l'Olympe autoproclamés, iront dispenser leur suprématie, contre monnaie bien sonnante, à condition bien sûr de ne pas trop trébucher.
Billet complété par ma réponse à Yves Besançon:
La « nature humaine » expliquerait agressivité, compétition et violence. Nombre de penseurs l'ont établi et défini comme cupide, agressive voire violente, prédatrice envers ses congénères et seulement motivée à l’action par l’intérêt personnel. De nombreux philosophes, de Platon en passant par Aristote, Kant, Descartes, Nietzsche, Franklin sans oublier Freud, durant des siècles de pensées, ont doté l’homme de penchants pour la domination et la violence.
"Benjamin Franklin déclara à la Convention Fédérale américaine : "deux passions exercent une puissante influence dans les affaires humaines : l’ambition et l’avarice, l’amour du pouvoir et l’amour de l’argent."
Il est incroyable comme cette idée a traversé des siècles et s’est maintenue intacte pour justifier et protéger le pouvoir répressif des puissances militaires et religieuses. Elle permet aujourd'hui de justifier la compétition économique et même la violence comme des saines conduites naturelles. Elle rationalise l’idéologie libérale capitaliste qui prône le droit du plus fort, quand elle ne renforce pas le culte de la performance dans des domaines aussi divers que le sport, l'économie, la finance, et bien sûr l'éducation qui conditionne les précédents.
Pour Edward Wilson, fondateur de la sociobiologie, la "nature humaine" est faite d’un certain nombre de contraintes biologiques, codées génétiquement, qui amènent les différents humains à prendre les mêmes décisions dans un large éventail de contextes. Wilson pense que le moteur du comportement social est l’égoïsme biologique qui permet la conservation de ses propres gènes et de leurs copies, ce qui conduit les individus à s’affronter socialement pour l’acquisition de la dominance car la dominance sociale, directement liée à l’agressivité, peut se traduire par un grand succès reproductif.
Alors sommes-nous condamnés à subir ces agressions, cette violence trop souvent conséquentes de cet esprit de compétition qui a envahi notre univers, jusqu'à disparition de l'espèce ? Peut-on se rassurer par la déclaration du « Manifeste de Séville sur la violence » en 1986, année internationale de la paix où, se fondant sur les recherches de diverses disciplines, vingt scientifiques de réputation mondiale déclarent :
Il est scientifiquement incorrect que nous ayons hérité de nos ancêtres les animaux une propension à faire la guerre.
Il est scientifiquement incorrect de dire que la guerre ou toute autre forme de comportement violent soit génétiquement programmée dans la nature humaine.
Il est scientifiquement incorrect de dire qu’au cours de l’évolution humaine une sélection s’est opérée en faveur du comportement agressif par rapport à d’autres types. La violence n’est inscrite ni dans notre héritage évolutif ni dans nos gènes.
Il est scientifiquement incorrect de dire que les hommes ont « un cerveau violent » bien que nous possédions en effet l’appareil neuronal nous permettant d’agir avec violence, il n’est pas activé de manière automatique par des stimuli internes ou externes.
Il est scientifiquement incorrect de dire que la guerre est un phénomène instinctif ou répond à un mobile unique.
La seule voie, je n'en vois pas d'autre pour éradiquer agressivité et violence, est l'éducation et la culture, encore faut-il que les pouvoir en place prennent conscience qu'elle est ultra-prioritaire, qu'elle doit être égalitaire et non-élitiste et donc qu'elle doit bénéficier de moyens financiers accrus. Mais est-ce bien leur intérêt de caste ?
L'état d’injustice et de désordre du monde, régulé par des instances gouvernementales en charge de propager l’uniformité dogmatique des modèles et du pouvoir néolibéral, montre assez clairement que le modèle général des activités humaines basé sur la compétition est dans l’incapacité de construire une société apaisée et d’apporter un peu de sérénité dans un monde qui manque cruellement d'humanité.