Jean-Michel Blanquer, futur ci-devant (on croise les doigts) ministre de l'Education Nationale depuis maintenant quatre ans et qui détient à la fois le record de longévité et celui d'impopularité chez les enseignants de la cinquième République, avait déclaré en 2017 vouloir lutter, dans le cadre de sa réforme du baccalauréat, contre le bachotage. Je ne gâcherai pas le suspense de cette note de blog en révélant à l'avance qu'il s'agit, comme la plupart du temps lorsque M. Blanquer prend la parole, non seulement d'une négation des faits observables, mais d'une inversion totale de l'ordre du réel. (Pour le lecteur qui serait peu familiarisé avec la rhétorique du locataire de la rue de Grenelle, je ne saurais trop lui conseiller la lecture de la note que j'avais consacré à l'un de ses entretiens radiophoniques particulièrement emblématique à cet égard).
Il est en effet possible d'observer comment cette volonté de lutter contre le bachotage s'incarne concrètement dans la réalité puisque cette année a eu lieu la première véritable mise en application de la réforme du baccalauréat. Je n'évoquerai dans cette note qu'un cas précis lié à une épreuve dont j'ai pu suivre activement aussi bien la préparation que la passation, celle de l'oral de français, dite aussi épreuve anticipée de français (EAF).
Je n'évoquerai donc pas, sinon sous forme de prétérition, l'immense bazar organisationnel de cette session du baccalauréat. C'est presque devenu un marronnier sous Jean-Michel Blanquer, ce qui tendrait à confirmer l'affirmation d'Emmanuel Todd à propos de la République en Marche, « ces gens sont nuls. » Pas plus que je ne rentrerai dans le débat de savoir si cette désorganisation est l'objet d'un vaste complot comme certains le pensent ou simplement l'effet de l'incompétence de ceux qui nous dirigent (mes présupposés idéologiques m'auraient plutôt conduit vers la première hypothèse, mais l'analyse objective des faits tendrait plutôt à accréditer la seconde). .
Pour vérifier la conformité de l'affirmation de Jean-Michel Blanquer avec la réalité (admettons l'hypothèse hautement improbable que cette affirmation puisse se révéler vraie), il faut évidemment établir une comparaison entre ce qui existait auparavant et les modifications liées à la réforme. On rappellera donc brièvement en quoi consistait l'épreuve de l'oral de français avant 2020 : précédée d'un temps de préparation de 30mn, elle était constituée de deux parties égales aussi bien quant à la notation que quant à la durée (soit à chaque fois dix minutes notées sur dix). Durant la première partie, il s'agissait de répondre à une question précise sur l'un des textes étudiés pendant l'année, durant la seconde, avait lieu un entretien entre l'examinateur/trice et le/la candidat.e. portant sur l'objet d'étude lié au texte étudié. Pour tout expliciter au néophyte, les textes étudiés, soit relevant d'une œuvre étudiée de manière intégrale, soit de textes présentés sous forme d'extraits, appartenaient tous à quatre grands objets d'étude liés aux genres littéraires canoniques soit le roman, la poésie, le théâtre et l'argumentation. Pour avoir le détail de l'épreuve, vous pouvez consulter le BO afférent.
En quoi la réforme modifie-t-elle cette organisation ? En apparence, on pourrait dire que ces modifications sont minimes et que le cadre formel reste pour ainsi dire inchangé : l'épreuve se déroule comme auparavant en deux étapes distinctes. La durée en est légèrement modifiée, la première partie durant 12 minutes et étant notée en conséquence, la deuxième, huit minutes. Mais, comme on le sait, le diable se trouve dans les détails. Ce à quoi l'on assiste avec cette réforme, c'est à un véritable saucissonnage des tâches effectuées par le candidat au baccalauréat qui s'apparente peu ou prou à une taylorisation de son travail (taylorisation absurde étant donné que l'enchainement de taches répétitives et dépourvues de sens ne permet même pas de produire une voiture ou tout autre objet manufacturé). Rentrons donc dans le détail, que chacun pourra corroborer en se référant aux textes officiels.
La première partie est en réalité scindée en trois sous-parties distinctes : 1. une présentation du texte suivie de sa lecture notée sur deux points ; 2. une explication linéaire notée sur huit points ; 3. la réponse à une question de grammaire posée par l'examinateur, notée sur deux points. La deuxième partie est quant à elle scindée en deux parties : la présentation d'une œuvre choisie parmi celles lues durant l'année et des raisons qui ont présidé à son choix, suivie d'un entretien avec l'examinateur/trice.
On constatera en premier lieu que là où avant la réforme on avait affaire à deux parties constituées d'un seul bloc et évaluées en tant que tel, la réforme instaure une subdivision qui scinde l'épreuve en cinq parties/sous-parties dont quatre sont explicitement évaluées de manière distincte les unes des autres. On constatera d'ailleurs que le nombre de points évalués pour chacune des grandes parties correspond à la durée afférente (soit 12 et 8). Forts de ce constat, certains exégètes zélés ont voulu appliquer ce découpage temporel à l'ensemble de la première partie et ont préconisé de consacrer deux minutes à la lecture, huit minutes à l'explication linéaire et deux minutes à la question de grammaire. Cette piste a, heureusement très vite été abandonnée (tout au moins dans l'académie où j'enseigne), mais il en est néanmoins resté quelque chose dans les préparations des enseignants : je me suis en effet entendu répondre de la part d'une élève consciencieuse à qui je faisais remarquer qu'elle avait traité plus que la question de grammaire que je lui avais posée, que sans cela ça ne faisait pas deux minutes.
Mais pour avoir une idée encore plus précise de la fragmentation du travail demandé à l'élève, il faut entrer plus avant dans la définition de ce qui est attendu en le mettant en regard de ce qui existait précédemment. Une première remarque portera sur la division en deux étapes : là où avant la réforme on avait deux étapes dans la continuité logique l'une de l'autre (l'entretien permettait en effet d'élargir la réflexion à l'ensemble de l'oeuvre ou du genre auquel appartenait le texte étudié en première partie), il n'y a avec la réforme aucun lien entre les deux puisqu'il est fortement conseillé à l'examinateur de proposer un texte qui ne soit pas issu de l’œuvre choisie par l'élève en deuxième partie.
Concernant cette première partie, contrairement à ce qui se passait auparavant, le candidat n'a pas le choix de la méthode employée : il doit nécessairement proposer une lecture linéaire (qui suit l'ordre du texte), là où auparavant il pouvait proposer une lecture composée (avec plusieurs parties comme dans un commentaire composé). On notera également qu'il n'a plus la nécessité de répondre à une question portant sur le sens du texte : avant la réforme l'examinateur lui remettait en effet une question appelée aussi problématique à laquelle il devait répondre.
Autre spécificité de la réforme : alors qu'avant la longueur du texte étudié n'était pas spécifiée, il est désormais exigé qu'il ne dépasse pas une vingtaine de lignes. Est-il la peine de préciser les méthodes utilisées par les enseignants pour contourner cette contrainte ? Jeu sur les polices de caractère, mise en page de textes de théâtre de façon à faire figurer deux ou trois répliques sur une même ligne, utilisation du format paysage plutôt que du format portrait... Je dirais que c'est de bonne guerre...
On notera avec intérêt que la lecture linéaire retenue par la réforme est celle adoptée pour les candidats au CAPES. Si l'on met cela en parallèle avec le fait que la dissertation sur œuvre qui remplace la dissertation générale à l'écrit est une des épreuves emblématiques de l'agrégation, on constatera qu'on demande aux élèves de première de réussir des exercices qui sont ceux pratiqués dans les concours de recrutement des professeurs. Inutile de se poser la question de savoir qui a bien pu avoir ces excellentes idées.
Pourquoi la lecture linéaire pose-t-elle problème ? D'une part, parce qu'avec la disparition de la question, elle encourage le bachotage. En effet, avant la réforme, le candidat ne pouvait pas apprendre une explication par cœur, il était censé répondre à une question souvent différente de celle qu'il avait vue pendant l'année et par conséquent être capable de réorganiser les connaissances qu'il possédait sur le texte afin de répondre précisément aux enjeux attendus. Avec la réforme, il lui suffit de dérouler ce qu'il a vu en cours parfois sans le comprendre vraiment. Concrètement, la lecture linéaire donne lieu à deux écueils que j'ai pu constater de mes propres oreilles : d'une part certains élèves (les moins sérieux) se contentent de faire la paraphrase du texte (redire en moins bien ce que l'auteur a dit) ; d'autre part, les élèves qui ont revu leurs cours procèdent souvent à un catalogue de procédés ou de faits grammaticaux dont ils ne tirent aucun sens précis.
A lieu ensuite la question de grammaire dont il nous a bien été spécifié par nos inspecteurs qu'elle ne devait pas être mise en lien avec le sens du texte (contrairement précisément à ce qui se passe au CAPES). Cette question qui est remise par l'examinateur au candidat ne doit porter que sur un point du programme étudié. Dans l'absolu, elle pourrait porter aussi bien sur le programme de seconde que sur celui de première. Concrètement cette année, eu égard aux conditions particulières dans lesquelles les élèves avaient été scolarisés, il était fortement conseillé de ne la faire porter que sur le programme de première : cela se résumait donc à l'étude de la négation, des phrases interrogatives et des propositions subordonnées circonstancielles (mais pas toutes les circonstancielles puisque les temporelles et les comparatives étaient exclues). Pourquoi ces points de grammaire plutôt que d'autres ? J'avoue n'en avoir qu'une vague idée reposant sur des conjonctures incertaines que je me garderais bien d'exprimer tant elles sont hasardeuses.
Je passerai sur les problèmes posés par ces points de grammaire (personnellement, je n'ai toujours pas compris ce qu'était une négation totale, d'autant plus que les manuels fournissent à ce sujet des explications contradictoires). Mais autant vous dire que pour trouver plusieurs questions de grammaire intéressantes et pertinentes sur les textes étudiés par les élèves que j'interrogeai, il a parfois fallu que je me creuse la tête. Les poètes, en particulier (Apollinaire et Baudelaire pour ne pas les dénoncer), s'ingénient à produire des textes où ne figure aucun des points de grammaire abordés en première. Avec les autres collègues examinateurs nous en sommes venus à nous dire qu'il allait désormais falloir choisir les textes étudiés avec ses élèves en fonction des points de grammaire qui s'y trouvaient : le critère ne serait donc plus « Ce texte est-il intéressant ? » mais « Comporte-t-il une phrase interrogative et/ou négative ? »
Quel intérêt de cette question de grammaire pour les élèves ? Aucun, dans la mesure où il s'agit d'une vision myope de points précis qui ne sont pas perçus dans une perspective globale. D'ailleurs pour illustrer à quel point cela ne fait pas sens pour eux, j'évoquerai cette élève, que j'ai interrogée, qui, dans son explication linéaire, me parle d'une concessive qu'elle se révèle incapable d'identifier comme telle lors de la phase de la question de grammaire : elle avait appris par cœur une dénomination sans savoir à quoi elle correspondait (en l'occurrence ici une subordonnée circonstancielle).
Pour ce qui est de la deuxième partie de l'épreuve, on pourrait penser que c'est la plus intéressante puisqu'elle demande à l'élève d'opérer un choix et de pouvoir le justifier. C'est sans compter le formatage inhérent à ce type d'exercice. Il n'était pas précisé la proportion temporelle que devait prendre la première sous-partie de la deuxième partie, à savoir la présentation de l'oeuvre choisie et des raisons du choix par l'élève. Selon les académies, il semblerait qu'on ait pu avoir des préconisations différentes : en gros entre deux et quatre minutes (ce qui sur un total de huit minutes se révèle sensiblement différent). J'avouerai pour ma part humblement qu'entendre des présentations qui se ressemblaient toutes et que les élèves avaient visiblement apprises par cœur (je ne compte pas le retour du mot « obnubilé » dans la présentation du Malade imaginaire) m'a très rapidement profondément ennuyé si bien que j'avertissais d'emblée les candidats que j'allais très probablement les couper au milieu de leur présentation si elle s'éternisait trop. L'entretien est probablement l'étape qui reste la plus intéressante, mais là où avant la réforme il durait dix minutes, il ne dure plus que quatre à six minutes, ce qui est franchement trop court.
Il est maintenant temps d'arriver à la conclusion. Que doit-on retenir de cette réforme?
- Une multiplication des tâches sans lien les unes avec les autres.
- Un encouragement implicite à l'apprentissage par cœur sans compréhension réelle des textes et de leurs enjeux.
- Une question de grammaire sans aucun intérêt.
- Un échange réduit à la portion congrue.
C'est comme cela sans doute que M. Blanquer entend lutter contre le bachotage.
Il me reste à remercier le lecteur bénévole d'avoir pris la peine de lire ce texte jusqu'au bout. S'il a trouvé cela passionnant, c'est que je me suis mal exprimé. J'avoue avoir eu pour ma part à plusieurs reprises envie de bâiller en l'écrivant. Je crois pouvoir prétendre que la responsabilité ne m'en incombe pas entièrement, c'est simplement un aperçu de ce qu'on nous demande dorénavant de faire avec nos élèves en cours de français en première.