Philippe Champy (avatar)

Philippe Champy

Ancien éditeur, auteur & conférencier

Abonné·e de Mediapart

27 Billets

0 Édition

Billet de blog 26 mars 2025

Philippe Champy (avatar)

Philippe Champy

Ancien éditeur, auteur & conférencier

Abonné·e de Mediapart

Les fronts de la nouvelle guerre scolaire : 2/ l’offensive Blanquer-Attal

La valse ultra rapide des ministres de l’Éducation nationale sous le second quinquennat en cours de Macron (six en moins de deux ans !) donne l’impression d’un cuisant échec du macronisme, incapable de maintenir un cap. Le tragique Jupiter nous fait sombrer dans le théâtre de boulevard. La cacophonie et les zigzags des ministres depuis 2022 rendent en effet illisible la politique à l’œuvre.

Philippe Champy (avatar)

Philippe Champy

Ancien éditeur, auteur & conférencier

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La confusion institutionnelle est même à son comble lorsque le président prétend ajouter l’École à ses « domaines réservés », ce qui ne fait notoirement pas partie de ses prérogatives constitutionnelles[1].

Or, derrière l’apparent désordre des soubresauts liés aux nominations à répétition et aux annonces ministérielles tonitruantes (comme le « choc des savoirs » d’Attal qui reprend l’élément de langage martial et passe-partout des « chocs » macronistes), force est de constater qu’un puissant reformatage a été opéré sous Macron dont « le plan d’ensemble[2] » (Blanquer) apparaît nettement aujourd’hui.

Engagée depuis le début du siècle dans une opération de remise en cause du processus de démocratisation de l’École obligatoire (voir la première partie de ce texte), la droite française a attendu l’élection de Macron pour relancer sa guerre scolaire. Macron a délégué l’offensive à Jean-Michel Blanquer, l’ancien DGESCO (n°2 du ministère de l’Éducation nationale) sous Sarkozy.

La nouvelle offensive contre la démocratisation

Ce premier maître d’œuvre du reformatage a pu, durant son quinquennat de 2017 à 2022, mettre en place tous les éléments de cette guerre scolaire qui ne dit pas son nom[3] dont les premières victimes sont la grande masse des enseignants et des élèves et leur institution. Les effets cumulatifs de cette guerre larvée expliquent les désordres auxquels l’École est aujourd’hui confrontée et ses contre-performances. Quels sont les fronts de cette guerre ? On peut les résumer en cinq grandes offensives qui, comme dans toute guerre, peuvent se figer ou évoluer en fonction des percées ou des réactions adverses.

Le premier front n’est pas le plus visible du grand public. Ouvert par Blanquer durant ses cinq ans à la tête du ministère (record de longévité !), il a consisté en la mise en place discrète mais continue d’une verticalisation et centralisation sans précédent du pouvoir ministériel. Aucune opposition n’a pu empêcher cette prise de pouvoir inédite qui se poursuit avec ses (très nombreux) successeurs.

À cette époque, l’ensemble des organes supérieurs du ministère ont été restructurés, à l’exception du Conseil supérieur de l’éducation, seul organe défini par la loi, consultatif et sans poids véritable. Les inspections générales qui jouaient un rôle de mémoire, de contrôle, de conscience et, parfois, de contre-pouvoir ont été transformées en simples services « aux ordres ». De hauts fonctionnaires représentant une expertise scolaire indépendante du gouvernement en place, les inspecteurs généraux sont devenus de simples administrateurs civils interchangeables, sommés d’exprimer leur expertise dans des contraintes prédéfinies.

D’autres instruments institutionnels ont été créés à la main du ministre. Un Conseil scientifique a été installé qui a été confié à un courant des neurosciences[4] pour imposer une vision scientiste des méthodes d’enseignement à l’école primaire. Critique de la liberté pédagogique instaurée par Jules Ferry et Ferdinand Buisson qui mirent fin à la tradition des censures étatistes (monarchistes ou impériales), le ministre (Blanquer) a instrumentalisé ce Conseil avec l’intention d’en faire une autorité de labellisation des manuels et des ressources pédagogiques. Un Conseil des sages de la laïcité a remplacé l’Observatoire de la laïcité qui dépendait du Premier ministre, ce qui permit d’asseoir sans freins une vision intolérante d’une laïcité tacitement anti-musulmane et pro-catholique[5], en contradiction avec la loi de 1905. Il a exfiltré le Conseil national d’évaluation de l’école (CNESCO), jugé trop indépendant dans son expertise sur le système dans son entier, pour le remplacer par un Conseil de l’évaluation de l’école lié au sommet du ministère. Au Conseil supérieur des programmes ont été nommés des partisans déclarés d’un conservatisme disciplinaire obtus, droitiers intransigeants.

Casser les oppositions et les solidarités, même corporatistes

Le deuxième front a l’apparence d’un puzzle[6] tant il combine des éléments disparates et échelonnés dans le temps : il associe en fait un volet propagandiste et un volet managérial, l’un appuyant l’autre.

Sur le premier volet, il y a l’impact massif et ciblé d’une communication offensive omniprésente, aussi bien médiatique qu’usant des canaux de la communication institutionnelle et des réseaux sociaux officiels, qui vise à installer dans les esprits une interprétation liberticide de l’obligation de réserve des fonctionnaires. La loi sur l’école de la confiance de 2019 a donné lieu à d’intenses protestations car elle entend clairement limiter la liberté d’expression des enseignants en arguant de leur obligation d’exemplarité et de neutralité. Des sanctions et des poursuites contre des enseignants ont été intentées en son nom[7].

L’omniprésence propagandiste sert également à couvrir les abus de pouvoir d’une hiérarchie incitée à sanctionner les personnels récalcitrants de façon brutale et inédite, comme le dénoncent les syndicats, preuves à l’appui. L’objectif est bien de neutraliser toute opposition à la politique menée en exigeant un strict apolitisme des personnels pour empêcher toute expression publique autonome, y compris dans le cadre syndical, et toute mobilisation collective d’ampleur.

Sur le volet managérial, il s’agit d’utiliser plusieurs leviers pour casser les anciennes solidarités professionnelles. Bien avant qu’on parle de l’emprise du numérique à l’École, l’administration a été soumise à l’obligation de produire des données chiffrées en grand nombre, censées permettre une vision objective du réel pour un pilotage efficace. Les chefs d’établissement et tous les acteurs de l’administration, du bas en haut de l’échelle hiérarchique, ont subi une inflation de demandes de chiffres, dont la compilation produisait une série de « radars » et autres tableaux et graphiques de « suivi ». L’habitude a été prise que le quantitatif domine et pilote l’analyse qualitative des objectifs. La gouvernance managériale par les chiffres empêche de raisonner en fonction des finalités éducatives. Elle favorise une perte de conscience des grands enjeux de l’École.

Pour les enseignants, c’est la même évolution qui s’est produite avec le déploiement d’outils numériques standardisés obligatoires organisant le recueil de leurs données (emploi du temps, notes et appréciations), ce qui permet un contrôle individualisé et une mise en compétition des personnels. Ces outils (les plus connus sont Pronote et Santorin) sont conçus pour reformater au quotidien les pratiques enseignantes sous le beau prétexte de l’efficacité technique (immédiateté de la correction sur écran, centralisation rapide des notes…). Les indicateurs chiffrés permettent ensuite de comparer la « productivité » du travail enseignant et les écarts à corriger à posteriori sans consulter les vrais évaluateurs[8]. Avec Pronote et Parcoursup, les élèves et les parents sont traités à la même enseigne.

Un autre puissant levier qui va dans le même sens est l’individualisation des rémunérations au titre de la reconnaissance des « mérites individuels ». La multiplication des « dispositifs » et des « plans » de tous ordres dont se gargarisent les ministres pour prouver leur aptitude à résoudre les problèmes du moment, souvent créés par les politiques ministérielles précédentes, est le moyen rêvé pour parvenir à cette fin. Chaque dispositif plaqué sur un existant scolaire inamovible appelle en effet son « pilote » ou son « référent » local avec la kyrielle de primes afférentes. Entre les multiples primes qui peuvent s’additionner et les heures supplémentaires à la discrétion des cadres intermédiaires, le traitement de base d’un agent de l’École publique ne reflète plus sa rémunération réelle. Dans un contexte hautement récessif où le niveau de rémunération des personnels a subi une baisse continue depuis plusieurs décennies, chacun peut espérer tirer son épingle du jeu grâce au grand loto des nouveaux « dispositifs » sans cesse relancés ou réaménagés sous forme de missions complémentaires et rassemblés désormais sous le vocable de « Pacte enseignant[9] ». Cette individualisation des rémunérations au nom de l’innovation (superficielle) et de l’agilité (pour que rien ne change sur le fond) est l’un des obstacles les plus efficaces aux mobilisations collectives. Depuis longtemps, le management néolibéral a utilisé ce viatique dans les grandes entreprises. S’ajoute à cette offensive la marginalisation des syndicats de personnels dans la gestion des carrières au sein des commissions administratives paritaires, marginalisation qui a été opérée en catimini et qui renforce le pouvoir discrétionnaire des cadres intermédiaires.

L’imposition des « fondamentaux » au primaire

Le troisième front de la guerre scolaire est celui qui cible l’école primaire, abordé de deux manières. Tout d’abord, par le biais d’un pilotage pédagogique de plus en plus contraignant qui limite l’autonomie professionnelle des équipes de terrain et n’incite pas à leur engagement collectif. Ensuite, par le biais d’une tentative de mise au pas managériale.

Le Conseil scientifique joue un rôle important pour imposer aux professeurs des écoles leurs méthodes et leurs ressources qui devront à l’avenir revêtir un label officiel, délivré au nom de la recherche en (neuro)sciences cognitives. En matière pédagogique, il adopte une posture impériale qui méprise les autres champs de recherche taxés d’« idéologie ». Il présente comme une vérité scientifique le fait de réduire les apprentissages scolaires à la seule activité de cerveaux singuliers, laissant magistralement de côté la question des dynamiques collectives d’apprentissage au sein des classes d’élèves, hors de portée de la neuro-imagerie cérébrale. Son réductionnisme le conduit paradoxalement à affirmer qu’il existerait une science infaillible de l’enseignement à l’image de la science médicale.

Ses préconisations concernent les toutes premières années du primaire dans la maîtrise de la lecture-écriture, des nombres et du calcul. Cette focalisation contribue à entretenir le mythe tenace des « fondamentaux » (« lire-écrire-compter ») attribués de façon erronée à l’École de la IIIe République alors qu’ils sont un héritage direct de François Guizot et de la monarchie de Juillet (1833). Le « lire-écrire-compter » devait permettre de contrôler strictement l’instruction donnée aux enfants du peuple et d’éviter l’influence sur eux des critiques contre les pouvoirs monarchiques et religieux en place[10] ! Sur tous les autres domaines de savoirs à l’école primaire, comme sur l’enseignement des disciplines dans l’enseignement secondaire, le Conseil n’a rien à dire d’autres que des généralités reprenant ce que nombre de spécialistes de sciences humaines, de médecine et autres psychopédagogues affirment depuis bien longtemps (sur la mémoire, l’attention, le raisonnement, la métacognition, les émotions, le sommeil, etc.). Les connaissances issues des sciences humaines et les savoirs d’expérience des équipes enseignantes, leur prérogatives dans leurs choix collectifs des méthodes et ressources qu’elles utilisent sont d’emblée ignorés ou récusés au profit de « bonnes pratiques » officielles (étatistes) censées avoir été expérimentées et validées par des laboratoires de recherche, à l’instar de ce qui se fait en médecine avec les médicaments.

Au plan managérial, pour l’instant, en dépit de multiples essais, les écoles primaires ne sont pas encore mises sous l’autorité des chefs d’établissement des collèges environnants, comme Blanquer aurait voulu pouvoir l’acter dans sa loi de 2019 en instaurant la création d’« établissements publics des savoirs fondamentaux ». L’un des problèmes structurels majeurs que pose aux élèves l’École obligatoire en France est le manque de continuité pédagogique entre les écoles primaires et les collèges. Ces deux univers sont les héritiers de deux traditions divergentes. Le primaire cultive l’unité (une classe, un lieu, un professeur multidisciplinaire) alors que le collège cultive la fragmentation (une classe à géométrie variable, des lieux, une dizaine de professeurs attachés à une seule discipline). Au collège, c’est l’élève soumis à des expériences disparates qui doit faire la synthèse et trouver le sens global de ce qu’il apprend.

Les chercheurs ont depuis longtemps identifié le passage CM2/sixième comme un point critique pour les élèves qui n’existe pas au même niveau dans les pays qui ont su créer une école moyenne unifiée. La création d’une école moyenne en France n’est donc pas une absurdité, bien au contraire. C’est même une nécessité historique qui est évoquée par les milieux réformateurs pro-démocratisation depuis longtemps. Mais elle dépend de la capacité à faire coopérer deux cultures professionnelles différentes. Si elle prend la forme d’un regroupement institutionnel piloté d’en haut par les chefs d’établissement des collèges sans changement de leur fonctionnement, elle fait craindre à juste titre aux enseignants du primaire une emprise hiérarchique sans création d’un nouveau curriculum[11] avec tous les intéressés : personnels de l’Éducation nationale, élèves et parents.

Des lycées socialement fracturés et déstructurés

Le quatrième front est celui des lycées. Un front qui concerne aussi bien le lycée général et technologique que le lycée professionnel. À l’inverse du primaire où le mot d’ordre est à l’alignement uniforme, à la standardisation des pratiques et à la labellisation des méthodes (les « fondamentaux » de la droite), le thème dominant aux lycées est l’individualisation. Il s’agit de faire croire que le décalage entre les formes collectives de scolarisation, les besoins éducatifs des jeunes et les attentes de la société peut être résorbé par l’individualisation de parcours dit « à la carte » où l’intérêt individuel de chaque élève serait mieux préservé que dans les formes et filières de scolarisation antérieures qui enfermaient et condamnaient au bachotage.

L’individualisation pédagogique, à savoir la nécessité d’adapter l’enseignement à la diversité des profils et des rythmes d’apprentissages des élèves, est détournée de ses objectifs émancipateurs (« la réussite de toutes et tous ») au profit d’une individualisation compétitive. L’élève (et ses parents) est sommé de choisir précocement les options de scolarisation les mieux à même de lui assurer sa future carrière dans un enseignement supérieur public de plus en plus contraint à la pénurie et mis en concurrence avec des offres privées florissantes.

Dans le lycée général et technologique, en pratique, c’est Parcoursup[12] qui impose sa loi. Les flux et les tris des lycéens sont réorganisés à partir de la seconde jusqu’à la terminale par l’aval bac+3 qui définit les places disponibles dans les filières universitaires existantes. Dans les anciennes formes d’élitisation du lycée, c’était le jeu des coefficients entre disciplines (où les maths jouaient un rôle déterminant) qui servait à faire le tri et à orienter les élèves, ce qui donnait un grand pouvoir aux professeurs. La refonte voulue par Blanquer délègue à Parcousup ce rôle. Les professeurs perdent leur pouvoir (contestable de par son caractère discrétionnaire dans l’ancien système) et deviennent de purs fournisseurs de notes pour alimenter les dossiers numériques des élèves et la fameuse plateforme qui sert de base de données pour les institutions universitaires. Les élèves sont poussés à développer de nouvelles stratégies opportunistes pour faire les choix les plus rentables aux yeux des algorithmes de Parcousup. Le règne aveugle des chiffres et la perte de sens sur les finalités éducatives se généralisent, chez les enseignants comme chez les élèves, obsédés en permanence par les notes qui s’accumulent dans leur dossier et qui peuvent les « sauver » ou les « faire plonger ».

Dans le lycée professionnel, la guerre scolaire de Blanquer s’est attachée à raccourcir au maximum le temps des études et leurs contenus disciplinaires pour rapprocher les élèves le plus vite possible du marché du travail via le développement sans précédent des contrats d’apprentissage qui permet d’opérer une forme accélérée de privatisation de l’action de formation par les entreprises en lieu et place du service public[13].

Dans ce contexte, l’idée d’un lycée unique[14] (général, technologique et professionnel), qui rassemblerait dans le même établissement les élèves aujourd’hui bien séparés, physiquement et scolairement, sans que les républicains patentés s’en désolent, paraît une utopie encore plus insolite et hors sol que celle du collège unique en son temps ! Et pourtant…

Un collège transformé en gare de triage

Le cinquième front est le plus récent, c’est celui du collège. Laissé en friche par Blanquer faute de temps, ce sont ses successeurs, notamment Attal, qui s’en sont emparés de façon brutale et caricaturale. Les objectifs de la guerre scolaire y sont d’autant plus clairs : bannir toute possibilité de démocratisation plus poussée en réinstaurant les barrières et les tris d’autrefois, au sein même du collège unique.

Puisant son inspiration dans les plans de bataille gardés sous le coude des décideurs du ministère, Attal a proposé une quadruple contre-réforme[15] : importer du primaire la thématique des « fondamentaux » avec l’instauration de groupes de niveau en français et en maths, déstructurant davantage encore le fonctionnement des classes et instaurant une stigmatisation précoce dès la sixième ; remettre en route la pratique du redoublement dont toutes les études montrent l’inefficacité au plan individuel et qu’elle favorise le décrochage ; transformer le brevet en examen d’entrée aux lycées pour éliminer les élèves jugés inaptes à la poursuite d’études secondaires et supérieures ; imposer le port de l’uniforme aux élèves pour favoriser l’esprit de soumission passive et le formalisme d’une égalité factice au moment où les discriminations scolaires entre élèves sont institutionnalisées. En France, le port de l’uniforme à l’École, typique des établissements privés confessionnels ou du lycée impérial, n’a jamais fait partie des fondamentaux de l’école républicaine !

Le sens de la guerre scolaire macroniste

Le survol des fronts et des assauts qui caractérisent la guerre scolaire menée par la droite française, de plus en plus sous l’influence directe de l’extrême-droite par adhésion à ses conceptions, montre la gravité de la situation. Jusqu’à présent les partisans de la démocratisation sont ou neutralisés, ou repoussés, parfois en recherche de riposte, mais plutôt (a)battus. Pourtant victimes directes des assauts, nombreux sont celleux qui n’ont pas conscience de l’origine politique de la situation actuelle. Elles ne parviennent pas à visualiser la big picture dont ils ont pourtant nombre de détails sous les yeux. Ils ont peur de céder à la « théorie du complot » en accusant l’Etat, leur employeur, de faire œuvre contre-nature en réduisant les services publics qu’il devrait défendre et en laissant se déployer sur les décombres du repli étatique de puissants intérêts privés portés par les milieux néolibéraux, voire libertariens à la Trump et Musk. L’accusation de céder au fantasme du complot est un des éléments de langage préféré des dirigeants qui mènent le jeu pour clouer le bec aux opposants à leur politique. « Voyons, nous sommes des républicains ! »

C’est pourquoi la mobilisation autour des moyens, dont la nécessité s’impose bien sûr, est un leurre. Mais en se limitant à un aspect financier qu’on peut toujours rattacher aux impératifs d’une conjoncture défaillante, elle ne permet pas de prendre conscience des assauts en cours contre la démocratisation. Or, c’est à la relance du processus de démocratisation qu’il faut travailler. C’est elle qui paraît indispensable pour créer un nouveau consensus[16], pour bloquer le travail de sape des néolibéraux et pour ouvrir des perspectives positives face aux dangers de régression politique et aux catastrophes globales qui menacent la planète.

On l’a vu, l’objectif de la guerre scolaire de Macron est à proprement réactionnaire. Mais il ne s’agit pas pour lui d’appliquer les rêves rétro des ultra conservateurs les plus obtus qui aimeraient revenir au bon vieux temps de leur jeunesse, au milieu du siècle dernier, pour recréer une École vintage. Sa cible est plus subtile : il s’agit pour lui de réinscrire et relégitimer la discrimination et la ségrégation socio-culturelles au cœur du système scolaire mais en inventant des formes nouvelles faites de mystification individualiste et d’emprise numérique et algorithmique up to date.

La réaction se cache derrière un écran de modernité et de républicanisme. Cet écran est difficile à percer. Prendre conscience de la guerre scolaire macroniste, affiner l’analyse de ses fronts, imaginer les ripostes, mobiliser, tels sont les défis des défenseurs de la démocratie et de la justice sociale, convaincus que la démocratisation de l’École en constitue une clé de voûte.

Première partie de ce texte  : Les fronts de la nouvelle guerre scolaire : 1/ le déclenchement | Le Club

[1] Roger-François Gauthier, Le Monde, 12 septembre 2023, « L’éducation, plutôt qu’un domaine réservé, ne doit-elle pas être un domaine à préserver des interventions de l’exécutif ? »

[2] « Ensemble, nous partagions des convictions et une volonté farouche de changer la donne à l’Éducation nationale. Nous avions réuni un groupe depuis plus de trois ans pour élaborer un plan d’ensemble, cohérent et complet »,  explique Jean-Michel Blanquer dans son livre-CV, La Citadelle, Albin Michel, 2024, p. 28. En continuité avec la vision de la droite d’avant Macron, le plan d’action de Blanquer a été longuement préparé lorsqu’il était aux affaires scolaires durant le quinquennat de Sarkozy de 2007 à 2012, puis rendu public dans plusieurs livres juste avant l’arrivée de Macron au pouvoir : Jean-Michel Blanquer, L’École de la vie, Odile Jacob, 2014 et L’École de demain, Odile Jacob, 2016. Durant son ministériat, il a poursuivi ses analyses et préconisations dans deux autres ouvrages : Construisons ensemble l’École de la confiance, Odile Jacob, 2018 et École ouverte, Galimard, 2021. Ces publications hautement politiques contredisent la fable selon laquelle Blanquer serait un membre de la société civile, arrivé soudainement en politique. Dans sa récente Citadelle, c’est d’ailleurs cette dimension de « personnage politique » d’avenir qu’il veut asseoir.

[3] Philippe Champy, Vers une nouvelle guerre scolaire : quand les technocrates et les neuroscientifiques mettent la main sur l’Éducation nationale, La Découverte, 2019.

[4] Philippe Champy, « Jean-Michel Blanquer et l’instrumentalisation politique des neurosciences cognitives », Raison présente, n° 217, mars 2021, pp. 37-46.

[5] N’oublions pas que Jean-Michel Blanquer fut élève au célèbre Collège Stanislas à Paris, institution élitiste catholique controversée. Entre autres occasions, « Stan » a fait l’actualité lors de la nomination de la ministre Amélie Oudéa-Castera. On se souvient qu’elle avait justifié d’y avoir mis ses enfants non par choix mais à cause des défaillances de l’école publique de la rue Littré. Elle a dû avouer avoir menti et démissionner. Nommé par Pap Ndiaye à ce Conseil dans un souci de pluralisme, Alain Policar en a été exclu par Nicole Belloubet en avril 2024 car jugé déviant par rapport à la ligne ministérielle. Parmi les nombreux articles d’Alain Policar dans AOC : Le « wokisme » n’existe pas - AOC media.

[6] Selon l’heureuse expression du chercheur Xavier Pons, « La fabrique actuelle des politiques éducatives a tendance à saper l’engagement des enseignants », Le Monde, 13 février 2024, « La fabrique actuelle des politiques éducatives a tendance à saper l’engagement des enseignants ». Voir aussi son article, Le débat public sur l’école ne permet pas de refonder la politique d’éducation - AOC media

[7] Lucien Marboeuf, Un prof a-t-il le droit de dire ce qu’il pense ? | L’instit’humeurs | Francetv info.

[8] Renaud Garcia, professeur de philosophie en lycée, décrit bien la mainmise de ces outils dans son quotidien : La destruction de l’école, La Lenteur, 2024.

[9] https://www.education.gouv.fr/les-missions-complementaires-du-pacte-enseignant-378856).

[10] Claude Lelièvre, L’École républicaine ou l’histoire manipulée : une dérive réactionnaire, Le Bord de l’eau, 2022. Claude Lelièvre, Blanquer, « lire, écrire, compter » et les « savoirs fondamentaux ».

[11] Luisa Lombardi, Pourquoi la notion de curriculum et l’approche curriculaire permettent de bâtir et de partager une politique éducative | Interpellation curriculum.

[12] Voir les témoignages recueillis par Le Monde : Parcoursup, un système qui pousse les élèves plus aguerris à élaborer des stratégies précoces et en laisse d’autres « paumés ». Voir aussi l’analyse d’un professeur de lettres : Johan Faerber, Parles-vous le Parcoursup ?, Seuil, 2023.

[13] « Il y a urgence à conduire une refonte complète de l’enseignement professionnel ». Voir aussi : « La réforme du lycée professionnel est imposée brutalement » | Mediapart

[14] Par exemple, Rodrigo Arenas : Vers un "lycée unique"…

[15] Voir les analyses, dont nous nous inspirons ici, de Roger-François Gauthier et Jean-Pierre Véran, Manifeste pour le collège : (p)oser les vrais termes du débat !, CUIP-Librinova, 2024. Manifeste pour le collège - Roger-François Gauthier Jean-Pierre Véran.

[16] Philippe Champy, Enseignants : ne leur manque-t-il que des tracteurs ? - AOC media. Roger-François Gauthier, L'École après l'été : trois axes pour un vrai changement - AOC media

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.