1 - SUR LA RUSSIE, L’UKRAINE ET LA SYRIE : Mélenchon, meilleur porte-parole de Poutine
Depuis le 24 février et le lancement de l'invasion de l'Ukraine, le chef de la France insoumise se présente comme un adversaire historique de Vladimir Poutine. Certes, il désapprouve la politique ultraconservatrice du maître du Kremlin, mais il suffit de passer en revue ses nombreuses interventions écrites ou orales sur la Russie pour avoir une idée de son étrange définition du « non-alignement ».
Commençons par ce long et édifiant billet intitulé « Avant l’orage », datant du 4 mars 2015, rédigé sur son blog un an après l’annexion de la Crimée.
Ce texte, dans lequel Jean-Luc Mélenchon se moque de Boris Nemtsov [l’opposant pro-démocratie et anti-corruption vient d’être assassiné], dans lequel il vante la puissance de l’armée russe, se gausse de la « pitoyable » armée ukrainienne et souhaite « la désagrégation » de cette nation, aurait pu être écrit directement depuis le Kremlin.
Tous les arguments de la Poutinie figurent dans ce billet :
– mépris envers de la jeune nation ukrainienne ;
– mépris envers l’armée ukrainienne, laquelle n’agirait que par « sauvagerie » ;
– défense d’une Crimée « russe depuis toujours » ;
– dénonciation de « la présence de nazis au gouvernement de Kiev » ;
– tombereaux d’insultes envers l’opposant Boris Nemtsov, tout juste assassiné ;
– insinuation que les oligarques russes sont des créatures des États-Unis, dans le but de piller la Russie, oligarques dont Poutine aurait, depuis, toutes les peines du monde à se défaire ;
– suggestion que les États-Unis, via les Ukrainiens, ont poussé les nationalistes russes à assassiner Boris Nemtsov dans le but de provoquer la Russie et de déclencher « une confrontation directe ».
Volonté émancipatrice et désir de démocratie des Ukrainiens, opposants assassinés/empoisonnés/emprisonnés : Mélenchon n’en a que faire. Il cache mal le dégoût que lui inspirent ces oppositions au régime russe. Dans ce texte, il ne fait que défendre les intérêts du Kremlin. Une lecture campiste de la géopolitique, où les peuples périphériques et les adversaires politiques ne comptent pas.
Lisons-le:
Mélenchon s’en prend d’abord au « déchaînement de la propagande anti-russe à partir du meurtre de monsieur Boris Nemtsov ». Règle n° 1 de tout bon avocat du Kremlin : entretenir la confusion entre anti-poutinisme et russophobie. S’en prendre au dictateur, ce serait attaquer le peuple russe. L’extrême droite manie cela très bien, Mélenchon en abuse.
Le leader du Front de gauche affuble ensuite de toutes les tares celui qui vient d’être assassiné devant le Kremlin : « illustrissime inconnu, […] cacique eltsinien, […] libéral fanatique, […] voyou politique ordinaire, […] à la personnalité plus que trouble », […] multi pensionné des officines et succursales de la bien-pensance européenne et nord-américaine ». Un malfaisant que les médias occidentaux, aveuglés de propagande atlantiste, n’hésitent pas à repeindre « aux couleurs du martyr de la démocratie […] pour créer une ambiance de Sadamisation contre Poutine ». Nemtsov était tellement « inconnu » que des dizaines de milliers de Moscovites ont défilé devant le Kremlin pour lui rendre hommage, au lendemain de son assassinat, un événement rare, même à l’époque.
L’avocat du Kremlin continue sa plaidoirie : « On devine le sous-entendu. Ce Nemtsov aurait été assassiné par Poutine. Sans le début d’une preuve, l’accusation est instillée. Ces gens-là [les médias occidentaux ?] n’ont aucune subtilité. » Contrairement à Mélenchon (on le verra plus loin).
Puis, il ose : « Après ce mort et sa malheureuse famille, la première victime politique de cet assassinat est Vladimir Poutine. Car il a été aussitôt traîné dans la boue par toute la presse “libre, éthique et indépendante” du monde entier […] sur ordre […] de tous les autres articles de propagande pré-mâchée des USA. » Un zélote de la télévision russe n’aurait pas dit mieux. Aucune raison, en effet, de traîner Poutine « dans la boue ». Et chacun sait que la presse occidentale n’est pas plus « libre, éthique et indépendance » que les gazettes de Moscou, peut-être même moins…
Mélenchon poursuit sa charge à boulets rouges contre l’opposant assassiné. Il accuse Nemtsov [qui avait organisé les premières privatisations de l’économie post-soviétique] d’être à l’origine de « l’oligarchie kleptocratique russe, fléau dont ce pays met un temps fou à se débarrasser ». Comprenez : Poutine essaye depuis vingt ans de lutter contre le pillage du pays par les oligarques russes, créatures de Nemtsov « défendues bec et ongles par la propagande des agences de l’OTAN ». En gros, si Boris Nemtsov n’avait pas existé, la Russie de Poutine serait probablement un modèle d’égalité sociale. Et Mélenchon d’ajouter, prudent : « cela ne justifie pas qu’on l’assassine. Mais… »
« À qui profite le crime », se demande-t-il alors. « Certainement pas à Vladimir Poutine. Boris Nemtsov n’était pas une menace pour lui » [notez que les pro-Kremlin d’extrême droite ne cessent de dire la même chose d’Alexeï Navalny, autre inconnu notoire, empoisonné et emprisonné par on ne sait qui]. C’était même « un opposant extrêmement confortable pour Poutine car il était caricaturalement acquis aux ennemis de la Russie ». Car, sachez-le, les tyrans n’assassinent que des opposants subtils. [L’idée que Poutine ait cherché à terroriser les oppositions en montrant que nul n’est intouchable n’a pas effleuré l’esprit de Mélenchon].
Heureusement, le criminologue du Front de gauche tient une piste. Boris Nemtsov avait d’autres vices qui pourraient expliquer son assassinat. C’était un « ami de l’Ukraine actuelle », celle qui tolère « la présence de nazis au gouvernement de Kiev ». Circonstance aggravante : Boris Nemtsov avait dénoncé l’annexion de la Crimée, cette péninsule malheureusement « enchaînée à l’Ukraine ». Car l’historien insoumis est catégorique : « la Crimée est russe depuis toujours » !
Conclusion du détective Mélenchon : Nemtsov, « tireur dans le dos de son pays », a été assassiné par des ultranationalistes russes qui n’appréciaient pas son soutien au « gouvernement ultra anti-russe de Kiev ». Des sicaires patriotes, en somme, qui, tête en l’air, ont omis de revendiquer ce crime politique.
Mélenchon semble toutefois vouloir atténuer la responsabilité de ceux qu’il considère comme les assassins de Boris Nemtsov, car ils sont probablement les victimes, selon lui, d’une conspiration machiavélique fomentée par les Américains. Il nous explique, en effet, que ces ultranationalistes russes étaient en réalité manipulés par Washington, via « le parti américain d’Ukraine » [les « nazis »], afin de provoquer une confrontation USA/Russie. Kiev, en « poussant à bout » les ultranationalistes russes, les a donc forcés, quasiment malgré eux, à assassiner Nemtsov. CQFD. En effet, pour Mélenchon, « les USA savent organiser des complots, des assassinats politiques, acheter des journalistes et des agents d’influence dans tous les pays »… ce qui n’est pas le cas des Russes.
L’ennui, c’est que les enquêteurs russes ne lisent pas le blog de Jean-Luc Mélenchon. Quatre jours après son billet, Moscou a trouvé d’autres tueurs, des Tchétchènes – dont un officier proche de Ramzan Kadyrov, l’homme de main de Poutine, souvent utilisé pour les basses œuvres – sans chercher plus avant les commanditaires. En tout cas, aucun ultranationaliste à l’horizon.
Doté d’une vision stratégique hors pair, Mélenchon se fait ensuite oracle militaire : « Si l’armée russe entrait en Ukraine à la suite des provocateurs nord-américains [forcément], les forces qui tenteraient de s’y opposer seraient balayées en moins d’une semaine. » Cette fois, on se demande si les généraux russes n’ont pas lu les divinations de Mélenchon, puisqu’ils pensaient, eux aussi, envahir l’Ukraine en trois jours…
Car, selon notre stratège, « il est important de se souvenir que la Russie est une très grande puissance militaire »… contrairement aux États-Unis, dont l’armée n’est composée que de « bandes de pauvres diables chicanos » et contrairement au « caractère pitoyable des bandes armées ukrainiennes » qui n’agissent que par « sauvagerie ».
Mais Mélenchon nous rassure : Poutine est un homme de « sang-froid » et la paix dans la région repose sur ses épaules. Il sait qu’il est inutile de faire la guerre. Il suffit d’un peu de « patience » et cette Ukraine rebelle, qui fait les yeux doux aux Occidentaux et qui se rêve comme nation souveraine, s’effondrera d’elle-même : « l’écroulement de l’économie ukrainienne, la désagrégation de ce pays qui a tant de mal à en être un, tout vient à point à qui sait attendre », espère-t-il.
Sa conclusion : il faut « laisser les habitants de ce continent régler leurs problèmes », c’est-à-dire laisser l’Ukraine se faire manger toute crue par l’ours russe et ainsi revenir à l’ordre naturel de l’ex-empire soviétique.
Voilà le « non-alignement », selon Mélenchon.

Agrandissement : Illustration 1

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Dans la chronologie qui suit, on a constamment l’impression que Jean-Luc Mélenchon cherche à protéger le régime russe et à faire porter la responsabilité des hypothétiques conflits à venir sur les seuls Américains et leurs alliés. Il est, « à la gauche de l'échiquier politique, certainement l’avocat le plus outrancier du maître du Kremlin », confirme le journaliste Nicolas Hénin dans son livre, “La France russe, enquête sur les réseaux Poutine” (2016).
1er mars 2014
Mélenchon approuve l’annexion de la Crimée par la force (qui a commencé le 20 février), en violation du droit international, et la justifie.
« Les ports de Crimée sont vitaux pour la sécurité de la Russie, il est absolument prévisible que les Russes ne se laisseront pas faire, ils sont en train de prendre des mesures de protection contre un pouvoir putschiste aventurier, dans lequel les néonazis ont une influence tout à fait détestable. »
Le mouvement pro-démocratie Euromaïdan, qui dénonçait la corruption et le clientélisme du président pro-russe Viktor Ianoukovytch, était donc un « putsch » sous influence « néonazie » ? C’est exactement ce que dit le Kremlin, hier… et aujourd’hui.
Puis il répète une de ses formules isolationnistes préférées : « Nous Français n’avons rien à faire dans une histoire pareille. »
Mars 2014
Sur i-Télé, il enfonce le clou : « Gardons-nous d'aller en rajouter sur le Disneyland habituel, le méchant monsieur Poutine d'un côté et les très gentils gouvernements de Kiev, qui sont tout de même des gens aussi féroces qu'on peut l'imaginer, après tout ce sont quand même des néonazis pour une partie d'entre eux. »
Le relativisme est l’arme rhétorique préférée des défenseurs des dictatures.
9 mars 2015
Rapporté par l’Humanité
« Je suis en campagne contre la diabolisation de Vladimir Poutine. »
Il n’est pas pro-Poutine… mais il est contre les anti-Poutine. Vous saisissez la nuance ?
Avril 2015
Il doute des informations selon lesquelles Bachar al-Assad a, comme son père, utilisé des armes chimiques pour mater la rébellion syrienne. « Nous savons que les Nord-Américains ont l'habitude d'utiliser n'importe quel argument pour justifier une intervention militaire, cette fois-ci, c'est le gaz. »
6 septembre 2015
Dans Le Figaro.
Il faut « discuter » avec Bachar Al-Assad, dit-il, alors que ce dernier bombarde son peuple en demande de démocratie. Mélenchon s’oppose à d'éventuelles frappes occidentales en Syrie contre l’État islamique. Il dénonce « l’attitude ridicule » de François Hollande qui veut frapper Daech sur le territoire syrien. Une « erreur », selon lui. « Ce n'est plus Bachar Al-Assad qu'il veut bombarder, c'est Daech. Comment ? Daech étant par définition une organisation infiltrée dans les populations civiles ».
Il loue, en revanche, l’attitude des Russes (soutiens du dictateur syrien), « beaucoup plus sensée que celle de n’importe qui » , car les Russes ont reçu, « sans les Occidentaux, la totalité des protagonistes de cette zone ».
Moins d’un mois plus tard, Poutine intervient militairement en Syrie. Mélenchon va retourner sa veste et applaudir cette fois l’usage de la force par la Russie. Poutine a toujours raison.
20 février 2016
Comme Marine Le Pen et François Fillon, Mélenchon « félicite » la Russie pour son intervention armée en Syrie, commencée depuis cinq mois : « Je pense que Vladimir Poutine va régler le problème » Lequel ? « Éliminer Daech ! »
Ce qui était « ridicule » il y a six mois devient la solution lorsque c’est la Russie qui s’y colle.
Mélenchon ne peut pourtant pas ignorer les méthodes criminelles de Poutine, puisqu’elles ont été appliquées en Tchétchénie : raser des villes, bombarder de façon indiscriminées des civils, des hôpitaux, des marchés, en utilisant des armes non conventionnelles, bref commettre des crimes de guerre massifs. Au moment de l’interview, les crimes de guerre commis par la Russie en Syrie étaient déjà documentés.
Puis il nie que la Russie cible davantage l’opposition de Bachar Al-Assad que Daech. « Ce n’est pas vrai », dit-il, sans argumenter. Il faut le croire sur parole. Des rapports circonstanciés ont pourtant conclu que seulement 14 % des frappes russes en Syrie ont visé l’État islamique. Mais, pour Mélenchon, ces chiffres sont forcément faux. Les données de l’ONU, des ONG, des services de renseignements occidentaux ou de l’Observatoire syrien des droits de l’homme… sont toutes mises dans le même sac : « C’est de la propagande nord-américaine. »
Ce soir-là, un ambassadeur de Russie en mode robot n’aurait pas mieux défendu son pays que Mélenchon.
Notons que six ans après le début de l’intervention russe, Bachar al-Assad est toujours au pouvoir, lui qui était si près de la sortie avant que n’arrive la cavalerie de Poutine. Un argument de plus pour ceux qui estiment que les Russes ne sont pas intervenus en Syrie pour « éliminer Daech » mais d’abord pour sauver la peau du dictateur syrien.
Six mois plus tard, en octobre 2016 :
Mélenchon avoue être « bouleversé » devant les images d’Alep détruite par l’aviation russe (il est alors sans doute le seul à être surpris par cette boucherie), mais l’avocat des dictateurs reprend vite le dessus quand il s’indigne que la France accuse la Russie de commettre des crimes de guerre et qu’elle évoque la possibilité d'un recours devant la Cour pénale internationale. « L'attitude de François Hollande est absolument insupportable. (…) Tout ça, ce sont des bavardages. Il y a une guerre. La guerre est toujours sale. » Pas touche à Poutine !
En déclarant qu’une guerre est « toujours sale », Mélenchon nie l’existence de guerres plus sales que d’autres, celles qui ciblent délibérément les civils et qui utilisent des armes prohibées… ce qui est justement la spécialité de Poutine et de bien d'autres dictateurs. Il relativise ainsi les niveaux d’infamie. Il nie, de fait, l’existence d’un droit international contre les crimes de guerre. Ce faisant, il permet à ces crimes de guerre de rester impunis et donc de se perpétuer. Tout cela pour ne pas donner tort aux adversaires des États-Unis.
Pour Jean-Pierre Filiu, « les thèses de M. Mélenchon sur la Syrie demeurent en phase avec la propagande martelée par le Kremlin, lui-même en écho de la dictature Assad. D’abord, la négation de la dimension initialement pacifique du soulèvement populaire pour le réduire à une « guerre civile » désormais instrumentalisée depuis l’étranger. Ensuite, la qualification de « bandes armées » pour désigner l’ensemble de l’opposition militaire à Assad, en assimilant les jihadistes aux non-jihadistes pour mieux discréditer ces derniers ».
On notera au passage que les mots de Mélenchon sur la révolte syrienne ressemblent beaucoup à son argumentation sur l’Ukraine, dont il conspuait en 2015 les « pitoyables bandes armées » et où il n’hésitait pas, déjà, à faire l’amalgame entre les manifestants pro-démocratie et les nazis.
20 janvier 2017
Dans Marianne :
« La Russie ne représente en réalité aucun danger contre l’Europe ».
2017 :
« Il n'est pas vrai que la Russie soit une menace pour la paix du monde. C’est un mensonge. C'est un acte de propagande destiné à justifier un projet politique en Europe. C'est la construction comme idéal Européen, après le Brexit et après l'échec de tout le reste, d'un bavardage qui est appelé ‘Europe de la défense’ qui est entièrement construit sur l'idée qu'il faut se regrouper face à une menace qui à mes yeux n'existe pas ».
Le paradoxe, c’est que cette Europe de la défense, à l’époque où Jean-Luc Mélenchon tenait ces propos, n’avait aucune volonté commune de se créer, et que c’est l’agression russe contre l’Ukraine qui va peut-être lui donner corps.
26 mars 2018
Après l’empoisonnement, en Angleterre, de Sergueï et Ioulia Skripal, Mélenchon s’indigne sur Twitter que la France expulse des agents russes présents sur son territoire : « Expulsion de diplomates russes : une comédie provocatrice sans objet réel. Une escalade absurde et dangereuse. »
18 octobre 2021 :
Sur BFM/RMC :
« Moi, je ne m'intéresse qu'aux intérêts de la France. Et les intérêts de la France, c'est de s'entendre avec la Russie. ».
L'Ukraine, la Moldavie, la Géorgie, et demain les pays baltes, la Pologne... ce n'est pas notre affaire.
11 novembre 2021
Interview dans le Figaro
« Je ne crois pas à une attitude agressive de la Russie ni de la Chine. Je connais ces pays, je connais leur stratégie internationale et leur manière de se poser les problèmes. Seul le monde anglo-saxon a une vision des relations internationales fondée sur l’agression. Les autres peuples ne raisonnent pas tous comme ça. »
Où l’on apprend que la Guerre d’hiver contre la Finlande (1939), l’invasion et le partage de la Pologne avec l’Allemagne nazie (1939), l'insurrection de Budapest (1956), l’invasion de la Tchécoslovaquie (1968), la guerre d’Afghanistan (1979-1989), les deux guerres de Tchétchénie (1994-1996, 1999-2009), la guerre russo-géorgienne et la deuxième guerre d'Ossétie du Sud (2008), la guerre en Ciscaucasie (2009-2017), l’annexion de la Crimée + la guerre du Donbass (2014-aujourd’hui), et la guerre en Syrie (2015-aujourd’hui)… n’ont pas existé.
12 décembre 2021 :
Sur France Inter, Mélenchon fait d’abord semblant d’ignorer que la Russie amasse des troupes à la frontière ukrainienne (mouvements pourtant captés par les satellites et diffusés dans tous les médias). « Ah bon, la Russie amasse des troupes ? (Moue de celui à qui on ne la fait pas). » Puis il admet très vite ce déploiement militaire, mais précise : « Tout ça, c’est du pipeau pour une bonne part. À intervalles réguliers, les Russes font les gros bras et les Ukrainiens en font autant. » Un simple concours de gros bras entre la petite Ukraine et la grande Russie, donc.
Il répète que « la Russie n’est pas un ennemi mais un partenaire (…). Les Russes ne sont pas nos adversaires. »
Pourtant, la Russie fait tout, depuis au moins dix ans, pour que l’Europe se désintègre, en favorisant les extrêmes droites, en finançant la désinformation, y compris sur les vaccins, en diffusant des infox à une échelle industrielle grâce à ses usines à trolls, en lançant régulièrement des cyberattaques massives, en fermant les yeux sur les hackers russes qui rançonnent les entreprises françaises, y compris des hôpitaux, en s’ingérant dans les élections (Trump, Brexit, Macron leaks…). Qu’est-ce que ce serait si Poutine était un adversaire !
Puis il trouve choquant que Macron ait déclaré que la France allait garantir l’intégrité territoriale de l’Ukraine, estimant que cela signifie : « un type tout seul va décider qu’on fait la guerre à la Russie ? »
C’est un classique de la rhétorique de Mélenchon, dont il use systématiquement pour refuser toute manifestation de mécontentement à l’égard de ces empires : s’opposer à la Russie ou à la Chine, c’est forcément vouloir leur faire la guerre. Comme s’il n’y avait pas d’alternative. Ce sophisme à un nom : la fausse dichotomie ou le faux dilemme. « Une erreur de logique qui consiste à présenter deux choix comme s’ils étaient les seuls possibles alors que la situation n’est pas aussi tranchée. Cette présentation réductrice permet de prétendre qu’il n’y a qu’un seul choix acceptable ».
Puis Jean-Luc Mélenchon ressort l’éternel narratif de la Russie qui serait sous la menace de l’OTAN. Argument martelé par Poutine à sa population depuis 20 ans pour la maintenir dans une mentalité d’assiégée, justifiant ainsi sa gestion autoritaire du pays. Argument vendu avec succès au-delà de ses frontières, notamment en France. Un narratif pourtant démenti par de nombreux analystes. D'abord, la Russie n’a pas eu besoin de l’OTAN pour être dictatoriale et impérialiste tout au long de son histoire, comme le rappelle l'historien Stephen Kotkin. Quant aux États-Unis, après avoir soutenu le développement de la Russie après la chute de l'URSS, on sait qu'ils voulaient surtout se désengager de l’Europe pour mieux surveiller la Chine. L’intégration de l’Ukraine dans l'OTAN n’était plus au programme, ayant bien conscience que c’était une ligne rouge pour Poutine. Et puis, comment croire sérieusement que l’OTAN ait eu la moindre envie de se lancer dans une « guerre » avec la 2eme puissance nucléaire ?
Enfin, rappeler que le rapprochement de l'OTAN des frontières russes fait suite à une demande des ex-pays du bloc de l’Est, lesquels ont quelques bonnes raisons historiques de craindre leur puissant voisin. Quoi que l'on pense de l'OTAN, c'est actuellement l'assurance-vie des pays baltes. Leur refuser cette protection, ainsi que celle d'une hypothétique future Europe de la défense (« qui ne peut pas exister »), c'est se résigner à leur inéluctable annexion par la Russie. Quant à l'Ukraine, elle sait que si Poutine gagne sa guerre, le sort qui lui sera réservé sera celui de la Biélorussie : un paillasson.
3 janvier 2022
Toujours sur France Inter, il répète son mantra.
« La Russie est un partenaire. Je ne suis pas d'accord pour qu'on en fasse un ennemi ».
Il semble pourtant que la rhétorique guerrière, le culte de la bombe atomique, la revanche à prendre, la dérive paranoïaque sont, depuis une grosse dizaine d'années, entièrement du côté du Kremlin. L’invasion de l’Ukraine, son appareillage idéologique obsessionnellement anti occidental et la rhétorique menaçante à l’égard de l’Europe démontrent aujourd'hui que c’est Poutine, et lui seul, qui est entré dans une guerre mentale contre l’Occident. Quel serait l'intérêt de l'Occident d'agresser la Russie ?
18 janvier 2022
Interview au Monde :
« Les Russes mobilisent à leurs frontières ? Qui ne ferait pas la même chose avec un voisin pareil, un pays lié à une puissance qui les menace continuellement ? »
Encore une fois, Mélenchon reprend telle quelle la fable de Poutine, sans aucun recul : la petite Ukraine représentait une menace imminente pour la Russie, via l'OTAN qui aurait en permanence le couteau entre les dents.
Mélenchon ajoute qu’il est contre la présence de la France dans l’OTAN mais aussi contre une Europe de la défense. Avec cet étrange argument : « Pour quelle raison devrions-nous assumer les querelles des Lettons ou des Estoniens avec la Russie, qui durent depuis mille ans ? Pourquoi devrions-nous garantir les frontières physiques de l’Ukraine ? » Il expose ainsi de plus en plus nettement sa vision d’une France désengagée, désinvestie, sans alliance militaire, indifférente aux extensions des empires, indifférente à l’usage de la force contre les petites nations, indifférente aux sorts des peuples, indifférente aux violences commises hors de ses frontières. Une France repliée sur elle-même et ses seuls intérêts, une France égoïste.
30 janvier 2022
Sur France 5
Même rengaine basée sur les vérités alternatives produites par le Kremlin, mais l’aveuglement de Mélenchon atteint désormais des sommets, alors que Poutine amasse ses chars à la frontière ukrainienne : « Je considère que ce sont les États-Unis qui sont dans la position agressive et non pas la Russie. La menace [russe] n’existe pas. »
Puis il n'hésite pas à déformer les propos de Zelensky : « la menace n'existe pas selon les Ukrainiens eux-mêmes ». En réalité, Zelensky a dit : « nous ne voyons pas d'escalade supérieure à celle qui existait (...) la probabilité de l'attaque existe, elle n'a pas disparu et elle n'a pas été moins grave en 2021 ».
Mélenchon conclut enfin sur son mantra isolationniste : « La souveraineté des peuples, oui, c’est très important, mais je commence à m’intéresser à la mienne. Je n’embarquerai pas la souveraineté de la France. Quand le président de la République commence par dire "nous garantirons l’intégrité territoriale de l’Ukraine", alors que la menace n’existe pas, je dis qu’il fait une bravade qui ne nous mène nulle part ».
10 février 2022
Sur France 2, quinze jours avant l’invasion de l’Ukraine.
Question : dans la crise en Ukraine, l'agresseur est-il la Russie ou l'Otan ? Réponse de Mélenchon : « L'OTAN, sans aucun doute. Les États-Unis d'Amérique ont décidé d'annexer dans l'OTAN l'Ukraine, et la Russie se sent humiliée, menacée, agressée ».
J’ai déjà expliqué précédemment que cette histoire des États-Unis qui ont « décidé d’annexer l’Ukraine dans l’OTAN » est une mystification poutinienne. L'idée était abandonnée depuis longtemps, sachant qu’il s’agirait d’un casus belli. C’était uniquement une demande de l’Ukraine, qui craignait, à juste titre, pour sa souveraineté face à un voisin comme la Russie, qui rêve de reconstituer son empire.
« Nous, Français, n'avons aucun intérêt à [une intégration de l'Ukraine dans l'Otan], ça nous est complètement égal ». Encore une fois, Mélenchon ramène le débat aux seuls intérêts des Français. Hors de nos frontières, plus rien n’existe.
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Enfin, comme le rappelle ce blog sur Médiapart , Mélenchon, eurodéputé, a systématiquement voté contre toutes les résolutions condamnant la Russie ou la Chine, résolutions qui concernaient les droits de l'Homme (assassinats politiques, prisonniers d’opinion, disparitions, dissolution de l’association Memorial qui enquêtait sur les crimes du stalinisme, mauvais traitement de minorités en Crimée…). Il a également voté contre le renouvellement de partenariats scientifiques entre l'UE et l'Ukraine, portant sur l'agriculture, l'environnement, la santé…
Jean-Luc Mélenchon justifie ainsi son refus de voter la résolution européenne condamnant l'assassinat de Boris Nemtsov : « Ce texte mensonger prouve tout l'aveuglement de ce Parlement sur la situation en Russie. (...) Boris Nemtsov est décrit comme la « figure de proue de l'opposition libérale en Russie» alors que son parti a fait moins de 1% aux dernières élections. Quelques lignes plus loin l'antisémite et raciste Alexey Navalny est présenté comme le « frère » de Nemtsov… A ce point d'aveuglement face à de pareils ennemis de la liberté, on pourrait tout aussi bien écrire que la terre est plate. Je déplore que le Parlement européen puisse voter en cadence une aussi grossière propagande. Plus que de l'ignorance c'est le signe de la volonté manipulatrice des initiateurs de ce texte d'entrer dans une logique de guerre face à la Russie. Les auteurs de ce texte et ceux qui le votent sont des fauteurs de guerre irresponsables ! »
Encore une fois, pour Mélenchon, demander à la Russie de respecter les droits humains correspond à un acte belliqueux. Il faudrait donc simplement fermer les yeux.
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2 - SUR LA CHINE
En 2017, un article de la journaliste sinologue Ursula Gauthier révèle le penchant de Jean-Luc Mélenchon pour le régime chinois. Elle rappelle d'abord son mépris pour la révolte des Tibétains et son aversion envers le dalaï-lama (« chef religieux obscurantiste », « indépendantiste ethniciste qui veut expulser 100 millions de Chinois du Tibet »), « diatribes inspirées des fascicules de propagande » signale la journaliste.
Mélenchon, en effet, se « sent connaisseur » de la Chine depuis qu'il « travaillé en tant que ministre avec [ses] homologues chinois. »
Ursula Gauthier déniche ensuite une pépite : une interview accordée en septembre 2016 par le candidat de la France insoumise à Nouvelles d’Europe, un média basé à Paris et contrôlé par Pékin. Interview publiée en chinois. Jean-Luc Mélenchon, après avoir dit pis que pendre du dalaï-lama, accusé de vouloir « amputer la Chine du quart de son territoire » et de « déclencher une gigantesque guerre absurde », flatte ensuite le régime de Xi Jinping dans des proportions inquiétantes:
« Les choix de la civilisation chinoise valent pour la planète entière. (…) Nous attendons énormément de la Chine, de son leadership sur la scène internationale. Je sais bien que les Chinois n’aiment pas dominer, ce n’est pas dans leur culture, mais ils ont désormais les moyens de changer le cours des choses. »
Changer le cours des choses ? Par exemple avec son modèle orwellien ?
« L’interview, qui passe sous silence tout aspect déplaisant, a enchanté Pékin et continue à tourner sur des milliers de sites chinois », signale alors la journaliste.
Depuis, avec constance, Mélenchon est régulièrement monté au créneau pour défendre la Chine.
a) Sur les Ouïghours :
Dans un live TF1 et 20 Minutes sur Instagram, le 12 janvier 2022 (à partir de 49’15), il reprend à son compte le narratif chinois :
– Il minimise la gravité du drame ouïghour, qu’il qualifie de simple « répression que fait le gouvernement chinois contre des organisations islamistes ».
– Il refuse t’entendre parler de génocide culturel. Pour expliquer (justifier ?) l’acculturation forcée du Xinjiang, il a cet argument étonnant : « Il y aurait une norme et plus aucune société ne pourrait évoluer ? »
– Il reconnaît quelques dégâts collatéraux – les millions de Ouïghours « maltraités » (quel euphémisme !) –, mais il ajoute aussitôt, sans rire, que « notre gouvernement n’est pas à la traîne » car, en France, nous stigmatisons les défenseurs des musulmans avec des accusations d’« islamogauchisme ». Les femmes ouïghoures stérilisées de force, les enfants arrachés à leurs parents, les familles obligées d'accueillir un espion chinois (rebaptisé « cousin ») dans leur foyer, le million d'internés contraints au travail forcé et au lavage de cerveau, et tout ce peuple soumis à une acculturation orwellienne… tous le remercient pour la comparaison.
– Plus généralement, il explique qu’il faut admettre la domination chinoise et ne pas s’ingérer dans ses affaires intérieures, puisque, répète-t-il sans cesse sur chaque sujet international, seuls « les intérêts de la France » sont à prendre en compte, le reste ne nous regarde pas. Le « non-alignement » ressemble ici beaucoup à laisser agir les dictatures à leur guise.
– Et, comme à chaque fois, dès que l’on critique les atteintes aux droits de l'homme en Chine ou en Russie, il répond avec ce faux dilemme : « on ne va quand même pas leur faire la guerre ! ». Comme si, entre ne rien faire et faire la guerre, il n’y avait pas d’alternative, aucun moyen de pression. Argument biaisé, volontairement simplificateur, qu'il utilise systématiquement.
(A voir : Un doc d’Arte sur les Ouïghours, pour comprendre pourquoi la complaisance de Mélenchon vis-à-vis du régime chinois est insupportable.)
2) Sur Taïwan :
Ici encore, Mélenchon reproduit telle quelle la propagande chinoise.
En juin 2020, dans cette vidéo, il ne s’embarrasse pas de circonvolutions : Taïwan est « un petit bout de la Chine qui prétend être un État indépendant »… Une île dont il prend soin de rappeler qu'elle fut une dictature, avant de verser dans le libéralisme, avec un penchant coupable pour la protection américaine. «... Mais c'est un bout de la Chine », répète-t-il trois fois en 30 secondes.
Dans cet extrait vidéo, chicanerie ridicule, il dénonce même les méthodes de surveillance anti-Covid de Taïwan, « là-bas, c’est pire que tout ! », (mais pas un mot sur la méthode chinoise, qui est infiniment plus liberticide et violente, avec des contraintes extrêmes). Et de conclure sa (minuscule) démonstration par : « C'est ça leur monde ! » Comprenez : les Taïwanais seraient tellement plus heureux sous le joug chinois.
Le 13 janvier 2017, Jean-Luc Mélenchon s'était déjà distingué en niant la légitimité de la présidente taïwanaise élue démocratiquement. « Quand Trump passe un coup de fil à la présidente de Taïwan, il sait qu’il fait une provocation énorme, hein, heu j’sais pas moi, c’est comme si Trump avait téléphoné directement à Madame Le Pen pour lui demander ce qu’elle pense de la situation en France. »
Ainsi, pour Mélenchon, seul Pékin est l’interlocuteur légitime si on veut s’adresser à Taïwan. Ce qui lui vaut cette mise au point de Taïwan Mag, portail d'information francophone de Taïwan .« Les valeurs universelles à géométries variables de Mélenchon : vous défendez les petits pays progressistes aux marches de l’empire américain. Par contre, quand il s’agit des petits pays démocratiques aux marches des empires russe (pays baltes, Pologne, Ukraine) et chinois (Taïwan), vous considérez que ce sont les États-Unis qui viennent intervenir dans une zone d’influence qui n’est pas la leur. Vous semblez donc admettre que les pays à l’hégémonie régionale que sont la Russie et la Chine ont droit à leur zone d’influence et tant pis pour les expériences démocratiques et sociales à leurs portes. Où passe l’universalisme de votre démarche? »
Comme pour la Russie avant l'invasion de l'Ukraine, il assure, en octobre 2021, que les Chinois n’ont que des intentions pacifiques (les incursions d'avions de chasse dans l'espace aérien taïwanais, c'est juste pour dire bonjour), et qu'ils n'ont pas le projet d'envahir l'ancienne Formose... tout en justifiant une éventuelle invasion : « Les Chinois n’ont pas l’intention d’envahir Taïwan. Mais si Taïwan se déclare indépendant, alors il est possible que la Chine, à juste titre, trouve qu’une ligne rouge a été franchie ». Et bien sûr, il accuse les Occidentaux de vouloir la guerre avec cette puissance nucléaire
Rappelons que Jean-Luc Mélenchon est un proche ami de Maxime Vivas, rédacteur au « Grand soir » et négationniste caricatural de l'oppression sur les Ouïghours. Maxime Vivas qui reconnaît d'ailleurs « le courage » de Mélenchon car, dit-il « il n’a jamais accepté de critiquer le Venezuela, Cuba, la Chine… » Drôle de définition du courage.
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Pour conclure, on constate, au fil de ses déclarations sur huit ans, que Jean-Luc Mélenchon n'a jamais varié. Son système de pensée obéit à une lecture campiste, rigidement binaire, de la géopolitique.
Il se défend d’être complaisants envers la Russie, la Chine ou la Syrie. Il s’agirait simplement, dit-on autour de lui, de « rééquilibrer » les discours trop en faveur des États-Unis et de son bras armé l’OTAN. Soit. Mais dans ses écrits et dans les paroles, ce ne sont pas des propos nuancés que l’on entend. Le parti pris parait clair : il faut défendre les adversaires réels ou supposés de la puissance américaine et donc « faire des Russes des partenaires quelle que soit la situation » (Rennes, 26 mars 2017)
Mélenchon assimile systématiquement les pressions diplomatiques ou les sanctions économiques à des postures guerrières. Chaque reproche formulé officiellement contre ces pays est, selon lui, une provocation. Deux reproches, c’est une agression. Trois reproches, presque une déclaration de guerre. En somme, il ne faudrait jamais élever la voix contre ces régimes dictatoriaux, ne jamais les brusquer. Il faudrait les prendre comme ils sont, avec leur tyrannie, leurs violences, leurs crimes, et éventuellement « discuter » avec eux s'ils se comportent vraiment mal, en leur demandant poliment « mais qu'est-ce que vous voulez, à la fin ? ». Mais attention, sans aucune pression, sans rapport de force. Les dictateurs sont si fragiles.
S’interdire toute forme de pressions contre les dictatures, notamment celles qui rêvent de s'étendre, c’est non seulement accepter leur inhumanité, mais c’est aussi valider leurs fantasmes hégémoniques... jusqu'au moment où l'on découvre qu'il est trop tard (voir l'Ukraine). A l'inverse, monsieur Mélenchon, dénoncer les crimes d’État commis en Chine ou en Russie ne veut pas dire accepter tout des États-Unis.