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C’est dans le Parisien qu’on peut lire les déclarations du Président de la République. « Il me paraît nécessaire que l’on travaille à faire en sorte que l’organisation des journées de nos élèves soit plus favorable à leur développement et aux apprentissages, qu’un équilibre soit trouvé aussi pour faciliter la vie des familles » annonce t-il
« La convention citoyenne m’a semblé être l’outil de consultation des Français le plus adapté, car c’est une question très complexe qui nécessitera de dégager de nombreux consensus entre tous ceux qui sont touchés par ce vaste sujet, comme les parents, la communauté éducative y compris périscolaire, les collectivités locales et même les professionnels du tourisme», a ajouté le chef de l’Etat qui précise aussi que ce sera le Conseil Économique Social et Environnemental (CESSE) qui organisera cette consultation
La mémoire courte
Les hommes politiques, impatients et obsédés par les calculs politiciens, ont la mémoire courte.
Le vieux militant pédagogique que je suis a encore en mémoire le travail réalisé en 2010-2012 autour de ce même sujet. Installé par Luc Chatel en juin 2010, un groupe de travail conduit par Christian Forestier avait travaillé à des propositions non seulement sur les rythmes scolaires mais sur une approche du temps de l’enfant dans sa globalité. Cette même année, les principaux acteurs de l’éducation (associations d’éducation populaire, élus locaux, parents d’élèves, mouvements pédagogiques, syndicats) présentent les grands axes d’un projet national pour l’enfance et la jeunesse. C’est l’Appel de Bobigny que j’invite tout le monde à relire.
L’alternance et la refondation de l’École mise en œuvre par Vincent Peillon en 2012, vont poursuivre ce travail et aboutir à une réforme des rythmes scolaires avec les fameux PEDT (projets éducatifs de territoire). Mais son aspect le plus emblématique,qui est la semaine de 4,5 jours, va se fracasser assez vite contre l’absence de courage politique et les manœuvres politiques et syndicales.
On ne va pas refaire toute l’histoire mais on peut retenir de ce bref rappel que ce sujet, que Macron sort de son chapeau, a une histoire. On ne part pas de zéro et on serait bien inspiré de se souvenir de toute la masse de travail réalisé à cette occasion.
Faire diversion (et un hors sujet)
La question du temps de l’enfant est un vrai sujet ! C’est ce qu’il faut dire avant toute chose, le rappel de la séquence précédente est aussi là pour cela. Cette question mérite d’être débattue et étudiée. On gagnerait d’ailleurs à analyser les raisons qui ont amené à l’échec des précédentes réformes. Rappelons aussi que les élèves français cumulent les journées de travail les plus longues (dans des classes les + chargées) et avec un nombre de jours par an assez court. Mais ils n'ont pas les vacances d'été les plus longues, loin de là.
Cela dit, on peut quand même s’interroger sur l’urgence de mettre ce sujet sur le tapis en ce moment. Nous sommes dans une situation où : les conditions d’enseignement et d’apprentissage se dégradent, où se pose un gros problème d’attractivité de l’enseignement, où les inégalités entre élèves et entre systèmes d’enseignement public/privé n’ont jamais été aussi fortes, où la question de la violence éducative devrait nous obliger à nous interroger sur les finalités de l’éducation… et on va débattre des heures de classe et des vacances scolaires ?
Beaucoup d’acteurs de l’école (enseignants, parents d’élèves, experts,…) verront dans cet empressement à traiter ce sujet une forme de diversion. Pendant ce temps-là, on ne parle pas de sujets plus clivants (et coûteux). On peut aussi se demander si, dans un contexte international et national tendu, ce thème a bien sa place. Il faut dire qu’il offre un avantage puisqu’il ne nécessitera pas forcément de passage par la loi et le Parlement. Et il permet au Président de se convaincre d’exister.
Sur les questions d’éducation, ce serait vraiment dommage de faire un hors-sujet. En fait, comme souvent, les questions y sont systémiques : il suffit de tirer le fil de la réflexion à partir d’une entrée pour que toutes les autres questions soient sollicitées. Aborder la question du temps de l’enfant (ou de l’enfance) ne se limite pas qu’à la question, déjà importante, de la journée de travail et de l’année scolaire. Elle convoque aussi la question du temps de travail des enseignants (mais je suis sûr que le Président l’a dans un coin de la tête et pas dans un sens qui leur soit favorable…) et donc aussi de leur rémunération. Mais c’est aussi le temps de travail et de vie des familles qui est concerné tout comme la question des offres péri-éducatives et complémentaires de l’École. Cela ne peut se réfléchir qu’avec les collectivités territoriales et les associations et mouvements d’éducation populaire ainsi que le secteur de l'animation.. Est-il besoin de rappeler que la question des vacances a aussi à voir avec l’industrie du tourisme et qu’elle doit aussi tenir compte de l’évolution de la composition des familles aujourd’hui ? Enfin, on ne peut se poser la question du rythme scolaire sans s'interroger sur les programmes et les contenus enseignés et la manière de les faire apprendre.
Tirons le fil et tout vient en cascade !
Il serait dommage que l’on se limite à une réflexion étriquée et, au final, hors sujet !
Est-ce vraiment un sujet de convention citoyenne ?
Après le climat, la fin de vie, … les vacances scolaires ! On pouvait espérer un peu plus d’ambition et de hauteur.
Je me suis prononcé depuis longtemps, et avec d’autres, pour une convention citoyenne sur l’éducation. Et je continue de penser que c’est un outil qui peut permettre de faire évoluer la réflexion et les mentalités et de redéfinir les finalités de l’éducation.
La proposition du chef de l’État est très décevante et n’est pas à la hauteur des ambitions que l’on pouvait avoir. On peut même dire qu’il s’agit d’un dévoiement et d’un appauvrissement de cette belle idée.
On peut craindre aussi, au regard des expériences passées et récentes, que ce ne soit qu’un moyen de « calmer le jobard ». Quelles ont été les suites concrètes de la convention sur le climat ? à quoi va aboutir le parcours législatif de la convention sur la fin de vie ? A quoi ont servi les cahiers de doléances et le « grand débat » ? Quel est l’impact des « Grenelle » et autres conclaves ? Au lieu de renouveler le débat, cette proposition imparfaite et peu ambitieuse, peut, au contraire, alimenter une méfiance à l’égard de la démocratie
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Le risque est grand que cette annonce n’aboutisse qu’à une séquence anecdotique sans effets réels et sans moyens. Elle peut être aussi, par ricochet, un moyen d’alimenter le prof bashing. C'est aussi, une nouvelle fois, une instrumentalisation de l'École à des fins politiques.
Pourtant, réfléchir sur l’école et sur les moyens de la rendre plus juste et plus efficace est essentiel. Notre société le mérite. Nous avons besoin de débats à la hauteur des enjeux !