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Billet de blog 12 janvier 2024

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AOC : Application Obéissante des Consignes ?

C’est donc Amélie Oudéa-Castera (AOC) qui devient Ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse tout en conservant le ministère des Sports et des jeux olympiques et paralympiques. Après le passage éclair de Gabriel Attal à ce ministère (5 mois !) que peut on espérer de cette nouvelle ministre ? Au vu des premières déclarations : pas grand chose…

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Quel message pour les enseignants ?

Sur les réseaux sociaux, on s’indigne (ce début de phrase est un pléonasme) du cumul de fonctions de cette ministre de l’éducation, de la Jeunesse, des sports et des jeux olympiques et paralympiques.

Même si elle n’est pas la règle, la double responsabilité sur l’éducation et sur les sports n’est pas une nouveauté. Lionel Jospin cumulait déjà les deux responsabilités, Jean-Michel Blanquer également. Mais ce qui change la donne, c’est évidemment la préparation des Jeux Olympiques qui, comme le soulignent plusieurs commentaires, risquent d’être un dossier très lourd au détriment de l’École elle-même.
Mais cela signifie surtout que la nouvelle ministre très occupée s’appuiera sur une triple tutelle :

- celle de Matignon où le Premier Ministre a dit « emporter avec lui la cause de l’École ». Il l’a aussi rappelé dans son discours de la passation de pouvoir : « tout ce qu’on a entamé [à L’Éducation Nationale], ira jusqu’au bout, je m’y engage ».

- celle de l’Élysée puisque le Président de la République a dit vouloir faire de l’École une grande cause de son deuxième mandat et le lieu du « réarmement civique ». Mais la tutelle vient aussi de l’aile Est de l’Élysée (surnommée l’ « Aile Madame »)…

- celle des hauts fonctionnaires de son administration et notamment de la Dgesco qui n’a guère bougé depuis Blanquer.

Si on peut s’agacer qu’un ministre ne reste que cinq mois et du rôle de marchepied que l’Éducation Nationale a joué pour Gabriel Attal, il faut surtout retenir de cet épisode qu’il ne faut pas attendre de cette nouvelle ministre un changement de politique. Les choses se décident ailleurs…

 L’autre message à destination des enseignants réside dans la personne même qui prend le poste et dans ses choix personnels. Amélie Oudéa-Castera, si elle est une ancienne sportive, est surtout énarque (de la même promotion qu’Emmanuel Macron) et fait partie de ces hauts fonctionnaires interchangeables qui ne connaissent pas vraiment le monde enseignant sinon en tant que parent d’élève.
Mais elle l’est dans un cadre particulier puisque ses trois enfants sont scolarisés au lycée catholique Stanislas à Paris, le plus élitiste de France et aux positions extrêmement conservatrices (un rapport sur ses dérives devrait arriver sur son bureau). Elle même a fait cependant sa scolarité dans le public, à deux pas de là (au lycée Victor Duruy dans le 7èmearrondissement). Comme ce fut le cas pour les ministres avant elle, le rapport avec l’enseignement public est donc assez distant et même négatif.
Elle a d’ailleurs expliqué lors de sa première sortie dans un collège qu’elle avait fait le choix du privé pour ses enfants car il y avait trop d’absences non remplacées dans l’école publique ou était son fils aîné. Une belle entrée en matière !

« Lire, écrire, compter, bouger »

Quand on écoute, comme je l’ai fait, les discours durant la passation de pouvoirs, on a en résumé les principaux axes et les éléments de langage qui vont servir la communication de la nouvelle ministre.
Comme Gabriel Attal avait déroulé dans un discours (assez long) ses réalisations et décisions, la nouvelle ministre commence par qualifier sa nomination de « continuum de responsabilités ».

Sa feuille de route  est donc tracée   Elle rend hommage (on n’en attendait pas moins de sa part !) à la “vision” de son prédécesseur qui a, dit-elle, « profondément marqué la trajectoire de cette institution »  avec « une exceptionnelle vigueur », par son « refus des statu quo » et un « discours de vérité ». Quelle audace...
Seule petite nuance de sa part : « Nous devons agir vite » mais nous savons que l’éducation s’ancre dans le temps long ».

Elle définit ensuite trois piliers pour le « réarmement civique »

  • restaurer l’exigence fondée sur le « choc des savoirs »
  • régénérer le métier enseignant avec notamment la réforme de la formation initiale
  • construire une école de l’épanouissement républicain par la laïcité et l’engagement ( à traduire par « SNU »).

Comme elle n’oublie pas la dimension sportive, on a ensuite un hommage appuyé aux professeurs d’EPS, aux associations sportives et aux clubs. Elle propose de rajouter un verbe au triptyque habituel : « Lire, écrire, compter, bouger » !

Une école libérale et conservatrice

On qualifie souvent le discours macronien pour l’école de « conservateur » mais il faudrait aussi  parler d’un projet individualiste et fondé sur la sélection.

J’ai été frappé dans les discours de ce vendredi par la récurrence du mot « talents » qui semble être une nouvelle antienne de la communication dans ce domaine . Attal dit que chacun a un « talent » que l’école doit pouvoir révéler (On se croirait à la Star Academy…) et Amélie Oudéa-Castera reprend la même idée en parlant de la « capacité à identifier les talents »
Derrière ce mot, on se situe ainsi dans une approche individualiste  (libérale…) qui nie ou gomme les inégalités sociales. Dans cette logique là, si certains lycéens s’ « orientent » vers l’enseignement professionnel c’est évidemment (!) parce que c’est là que leurs “talents” pourront s’y épanouir…

La mise en avant de l’ « École de l’exigence » correspond à des procédés rhétoriques bien connus. Il s’agit d’abord de dramatiser la situation pour justifier le changement et se présenter comme un sauveur. Ce moyen est au cœur même du discours décliniste et a été particulièrement utilisé pour le rapport PISA. On peut aussi mettre en avant une qualité qu’on dénie alors aux autres et particulièrement à ceux qui vous précèdent. C’est ainsi qu’on parle de « rétablir  l’autorité » ou qu’on met donc en avant l’école de l’exigence, ce qui laisse entendre que celle d’aujourd’hui ne l’est pas. (J’ai longuement développé ces artifices dans mon livre « je suis un pédagogiste » ).

Ce discours est aussi un discours populiste et démagogique puisqu’il s’appuie sur un supposé « bon sens » et une vision idéalisée de l’École. C’est ainsi qu’on justifie le redoublement où les groupes de niveau même si les recherches scientifiques montrent que les résultats sont contre-intuitifs. C’est aussi au nom de cette vision passéiste qu’on défend l’uniforme...
Or, toutes ces mesures, que la nouvelle ministre va défendre et appliquer, vont surtout se traduire par une accentuation du tri social et des inégalités.

*** 

Dans ce gouvernement de l’entre-soi et ce passage de témoins entre des purs produits du 7ème arrondissement, à aucun moment il n’a été évoqué la nécessaire mixité sociale. Ce qu’il aurait fallu retenir de Pisa, c’est qu’il n’y a pas que les « talents » qui jouent mais il y a aussi et surtout l’origine sociale. C’est cela qu’il faut réparer et c’est là dessus qu’il faudrait se « bouger »

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