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Billet de blog 2 octobre 2014

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L'arbre et la forêt

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Bastien Millot et Guy Alvès, les deux fondateurs de Bygmalion, ont été mis en examen pour complicité de faux et usage de faux dans l’affaire de fausses factures servant à dissimuler le dépassement des dépenses de la campagne présidentielle deNicolas Sarkozy en 2012. Selon Mediapart, le dépassement de ces dépenses (dont le plafond est fixé à 22,5 millions d’euros) atteindrait 17 millions. Après avoir été mis en examen, Bastien Millot, un proche de François Copé, a alors comparé Bygmalion à un arbre qui cacherait la forêt, une bien sombre forêt. Et le plus formidable, c’est que cet avocat de métier, mis en examen, a déclaré sans vergogne vouloir contribuer à la manifestation de la vérité et reprendre normalement ses activités d’avocat.

Voilà donc un avocat, ami de Jean-François Copé, lui aussi avocat, qui accepte de participer à une falsification des comptes d’une campagne présidentielle et qui se dit blanc comme neige, ou peu s’en faut, faisant porter la responsabilité morale de ses agissements sur des responsables politiques UMP tapis dans l’ombre de la forêt. À l’en croire, Bygmalion, cette société de communication dont le nom reflète autant la volonté de se tailler la part du lion dans le gâteau social que de jouer au Pygmalion, serait l’arbre injustement frappé par la foudre judiciaire (l’arbre de la discorde tombé sous le coup de l’impitoyable juge bûcheron  Renaud Van Ruymbeke). Les dirigeants de Bygmalion se sont défaussés sur Jérôme Lavrilleux, ancien bras droit de l’avocat Copé et directeur adjoint de la campagne de Nicolas Sarkozy, lequel, reconnaissant avoir pleine connaissance de la fraude, a chargé à son tour Eric Cesari, le directeur de campagne et Fabienne Liadze, la directrice financière du parti. Et quand on pense que Jean-François Copé avait lancé en 2013 une souscription nationale auprès des militants de l’UMP, une collecte baptisée plaisamment « Sarkothon », qui avait permis de recueillir 11 millions d’euros pour rembourser les dettes du parti après l’invalidation par le conseil constitutionnel des comptes de la campagne présidentielle Nicolas Sarkozy, quand on pense que ce résultat avait fait la fierté de l’ex-patron de l’UMP, quelle inversion maligne ! 

Visiblement, la notion de responsabilité dans notre société française du XXIe siècle a du plomb dans l’aile (cf. http://blogs.mediapart.fr/blog/pierre-caumont/110813/de-la-liberte-et-de-la-responsabilite ). Quand on est véritablement responsable, que ce soit en politique comme dans n’importe quel autre domaine de l'espace socio-économique, on est en principe comptable des actions  de ceux qui oeuvrent pour soi, en d’autres termes, de ceux dont on est responsable. Si Nicolas Sarkozy était un responsable politique digne de ne nom, ne serait-ce qu’au regard de la simple affaire de Bygmalion, une affaire de fraude, il devrait endosser en toute logique la responsabilité des agissements de Jérôme Lavrilleux, Eric Cesari, Bastien Millot et consorts, au lieu de prétendre, à l’instar de Jean-François Copé, qu’il n’en savait rien. Ne pas avoir connaissance de cela est déjà une preuve d’incompétence. Comment un homme pareil, qui traîne autant de casseroles derrière lui (avec les multiples affaires judiciaires en souffrance dans son sillage) peut-il prétendre redresser la France quand il prétend ignorer la fraude au cœur de sa propre campagne électorale? Car de deux choses l’une, soit c’est de l’incompétence caractérisée, soit de la malhonnêteté, une malhonnêteté foncière. Dans les deux cas, Nicolas Sarkozy est disqualifié. Comment au vu de cette évidence autant de Français peuvent-ils continuer à avoir de la considération pour un tel imposteur et envisager sans sourciller de lui confier une fois encore le destin de leur pays ? Comment un tel aveuglement est-il possible ? Comment notre société en est arrivée là, à ce degré zéro de la conscience (civique et citoyenne) ? À ce degré zéro du sens éthique le plus élémentaire ? Nicolas Sarkozy lui aussi est avocat de métier, tout comme Jean-François Copé, et Bastien Millot. Pour des avocats, le moins qu’on puisse dire, c’est que le rapport qu’ils entretiennent avec la droiture (morale) est un tantinet retors, pour ne pas dire gauchi. Nicolas Sarkozy, Jean-François Copé ou Bastien Millot sont des gens qui n’ont de responsable que le titre et pour qui l’ambition est la seule fin qui justifie les moyens, quitte à tordre le cou à la légalité, ce à quoi leurs concitoyens, qui les tiennent pour des exemples (de par leur réussite sociale apparente), sont soumis. Comme le député Thomas Thévenoud, qui se dérobe sans scrupule au fisc quand les gens qu’ils représentent y sont assujettis. Notre démocratie française est décidément bien malade dans son fonctionnement réel quand on observe les agissements des prétendus responsables qui ne sont responsables de pas grand-chose hormis de leur ambition dévorante, de leur volonté opiniâtre à se tailler la part du lion dans le jeu social. En vérité, l’arbre, ce sont eux, tous ces irresponsables dont le talent consiste à se faire passer pour le contraire de ce qu’ils sont, ces véritables irresponsables dont le mauvais exemple a force d’exemple au sein du corps social (dans la mesure où la réussite sociale est la valeur sociale dominante aux dépens du reste), et la forêt qu’il cache, c’est la société française dans son ensemble, une forêt qui dépérit peu à peu, sans bruit, une forêt minée à force de prendre modèle sur l’arbre à palabres au tronc pourri.

Comment d’ailleurs penser au corps social français autrement qu’à un corps gravement malade quand, comme le dit Claude Halmos, psychanalyste de service sur France-Info, on ne devrait pas parler d’un chômeur mais par exemple d’un boulanger sans emploi, ou encore d’une vendeuse sans emploi. En France, en étant relégué à la caste des chômeurs, la caste des parias (ou peu s’en faut dans notre système social), une personne sans emploi n’est plus seulement une personne qui a perdu son emploi mais une personne qui a aussi perdu ce qui constituait son identité sociale, son appartenance à un groupe humain et parfois jusqu’à sa raison d’être.  Qualifier de chômeur une personne privée d’emploi revient à la priver insidieusement d’autre chose en la faisant  entrer dans une catégorie abstraite, une catégorie sociale (pour ne pas dire asociale) où elle se voit peu à peu dépouillée d’une partie de son humanité jusqu’à être réifiée, ravalée au rang de chose, pour ne pas dire de déchet (cf. le parallèle édifiant que dresse Jean Clair dans son ouvrage La barbarie ordinaire, publié en 2001, entre le traitement des « sous-hommes » par le IIIe Reich et celui des exclus par notre société). Considérer les chômeurs comme les déchets de notre système revient à reconnaître implicitement que notre société s’apparente de plus en plus à une vaste déchetterie. Quand la valeur dominante d’une société est une valeur fondée sur l’apparence, la fameuse réussite sociale (qui se mesure surtout au pouvoir qu’elle permet d’en tirer et d’exercer, dont le sacro-saint « pouvoir d’achat », en espèces sonnantes et trébuchantes), on est en susceptible de penser à juste titre que ladite société n’est pas une réussite.

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