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Billet de blog 12 oct. 2021

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La commission Sauvé et l’Église en perdition

Le rapport de la commission Jean-Marc Sauvé sur les abus sexuels au sein de l’Église catholique évalue à au moins 216 000 les victimes en France d’abus sexuels de la part de prêtres sur une période de 70 ans.

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Un rapport sur laquelle la droite en France, déjà occupée par ses manœuvres pour la campagne présidentielle à venir, est restée étrangement muette. Il est vrai qu’une bonne partie de l’électorat de droite traditionnel est catholique, ce qui explique cela. 

Ce que le rapport Sauvé met en lumière, c’est la culture du secret et du silence de l’Église, une culture en milieu clos qui a permis que rien ne sorte des murs de l’institution des décennies durant sur les forfaits dont se sont rendus coupables des centaines de prêtres.

Ce silence sur lequel repose le secret de la confession, dont l’archevêque de Reims, Monseigneur Éric de Moulins-Beaufort, représentant de la conférence des évêques de France, défend la dimension sacrée en déclarant qu’« elle est plus forte que les lois de la République, parce qu’elle ouvre un espace de parole libre qui se fait devant Dieu. » En d’autres termes, cela revient à dire que les lois de l’Église se soustraient aux lois de la République. Une déclaration qui a valu à son auteur d’être convoqué par le ministère de l’Intérieur pour clarification.

Nul doute que si un Imam de France avait proféré ce genre de chose concernant l’islam, toute la classe politique lui serait tombée dessus à bras raccourcis et qu’on aurait  parlé d’atteinte insupportable aux lois de la République. Ce que révèle le propos de l’archevêque de Reims relève d’une forme de séparatisme culturel de l’Église vis-à-vis de la société laïque, ce même phénomène contre laquelle la République française à voulu se prémunir de la part de l’islam en mettant en place des mesures pour lutter contre la dérive d’une partie (minoritaire) de la communauté musulmane faisant passer l’islam avant les lois de la République. Mais de toute évidence, on voit d’autant mieux la paille dans l’œil de l’autre qu’on ne voit pas la poutre qui est dans le sien.

Le silence que sécrète l’Église, qui constitue un système de défense très efficace contre toute intrusion venue de l’extérieur, a partie liée avec le sacré. Durkheim précise que sacré signifie ce qui est « séparé », ce qui est « interdit ». Ainsi, le prêtre, figure sacrée dans l’Église, a bénéficié des décennies durant d’une immunité qui lui a permis de se soustraire à la justice même après d’être rendu coupable d’abus sexuels sur des enfants. On ne peut pas ne pas penser à Matthieu 19 : 14, « Laissez les petits enfants, et ne les empêchez pas de venir à moi » dit le Christ. Un verset qui semble servir d’appât dans la bouche d’un prêtre pédophile.

La loi du silence qui règne dans l’Église semble comparable à celle d’une organisation criminelle. On est loin, bien loin du silence de Dieu dont parle la philosophe Simone Weil qui écrit : « La création est de la part de Dieu un acte non pas d’expansion de soi, mais de retrait, de renoncement. Dieu et toutes les créatures, cela est moins que Dieu seul. Dieu a accepté cette diminution. Il a vidé de soi une partie de l’être. Il s’est vidé déjà dans cet acte de sa divinité. (…) ».

Dans une missive datée de septembre 2001, le cardinal Castrillon Hoyos, ancien préfet de la Congrégation pour le clergé, félicite Monseigneur Pican, évêque de Bayeux-Lisieux à l’époque, de n’avoir pas dénoncé l’abbé Bissey aux autorités civiles pour les abus sexuels dont ce dernier s’était rendu coupable et dont l’évêque avait eu connaissance. L’abbé est  condamné en 2000 par la justice à 18 ans de réclusion pour abus sexuels sur des enfants. L’évêque de Caen, lui, écope d’une peine de trois mois de prison avec sursis en 2001 pour non-dénonciation de pédophilie. Le prélat écrit : « Vous avez bien agi et je me réjouis d’avoir un confrère dans l’épiscopat qui, aux yeux de l’histoire et de tous les autres évêques du monde, aura préféré la prison plutôt que de dénoncer son fils-prêtre ».

Ce courrier rend bien compte de l’état d’esprit des responsables de l’Église, structurée comme une organisation criminelle et dont les dignitaires témoignent de la même solidarité entre eux que des membres de la mafia.

Ce qui est étrange, c’est que malgré les abominations dont s’est rendu coupable l’Église depuis des siècles, à commencer par les Croisades dès la fin du XIe siècle pour culminer au XXe siècle avec sa complicité avec de nombreuses dictatures, des êtres humains s’obstinent à croire en l’Église, en sa mission salvatrice. Comme si croire en Dieu demandait de croire en l’Église.

Les récentes révélations au Canada sur les maltraitances que des institutions religieuses ont fait subir à des milliers d’enfants amérindiens et inuits arrachés à leur famille, leur culture, des mauvais traitements systémiques qui ont abouti à un nombre considérable de morts de ces enfants au cours du XXe siècle, des morts dont les auteurs n’ont jamais eu à répondre, ces révélations glaçantes ne font que pointer du doigt la faillite des institutions religieuses pour ne pas dire leur dimension criminelle. C’est d’ailleurs le caractère criminel systémique de l’Église que le rapport de la commission Sauvé met en exergue. Ce qui avait déjà été révélé par des enquêtes menées en Irlande, aux  États-Unis, en Australie, au Chili, en Belgique ou encore en Allemagne. Il est certain que l’on retrouve les mêmes problèmes partout où est implantée l’Église catholique. Il n’est pas du tout certain en revanche que les révélations sur les forfaits de l’institution aient changé quoi que ce soit au plan du fonctionnement de l’Église pour qu’elle ne répète pas les mêmes abominations. L’institution conserve un fonctionnement hiérarchique patriarcal toujours aussi rétrograde, hermétique à toute démocratisation, c’est un espace clos coupé du monde dirigé par des clercs. 

En réponse aux révélations du rapport Sauvé, l’association La parole libérée, née à Lyon avec l’affaire Preynat (devenue l’affaire Barbarin), lance un appel à la démission collective des évêques de France pour leur faillite. Il n’y a apparemment pas grand-chose à sauver pour François Devaux, le fondateur de l’association.

Il est pour le moins frappant de constater à quel point une institution aussi peu évoluée dans le rapport qu’elle entretient avec la sexualité et la féminité depuis des siècles durant (cf. le mépris dans lequel les Pères de l’Église ont tenu Marie-Madeleine, qualifiée de prostituée des siècles durant) ait pu exercer un tel pouvoir de nuisance à l’égard des plus vulnérables (les enfants) par le biais de la sexualité, la sexualité tant décriée par l’Église et tenue comme un instrument du mal (hormis dans le but de la procréation). Il est effarant, pour ne pas dire effroyable, de constater à quel point les ministres du culte, obsédés par la notion de péché, aient pu enfreindre impunément les lois les plus élémentaires en abusant de leur autorité morale pour violer des enfants pris au piège de la loi du silence. De quoi faire prendre froid à la foi des croyants les plus ardents.

L’enquête minutieuse menée récemment au Vatican par le sociologue Frédéric Martel (enquête qui avait abouti à la publication de l’ouvrage Sodoma paru en 2019) révélait déjà l’étendue de l’hypocrisie qui y régnait en matière de sexualité au vu du nombre de prélats qui y sont homosexuels. Hypocrisie manifeste quand on connaît le rejet de l’homosexualité par l’Église qui considère cette orientation sexuelle comme un péché (cf. l’anéantissement par Yahvé des villes de Sodome et de Gomorrhe dans l’Ancien Testament, anéantissement motivé selon l’interprétation traditionnelle par le péché d’homosexualité supposé des habitants desdites bourgades).

Cf. https://blogs.mediapart.fr/pierre-caumont/blog/130319/l-eglise-catholique-romaine-la-sexualite-la-vie-la-verite

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