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Billet de blog 14 déc. 2021

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De haut en bas, la grâce du Tibet

En cette triste époque où les annonces officielles sur le Covid-19 rythment les informations quotidiennes au gré de l’apparition continue de nouveaux variants,

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 où l’incivisme des citoyens réfractaires à la vaccination contre la pandémie met le personnel soignant des hôpitaux à rude épreuve, où la fabrique de désinformation des réseaux sociaux tourne à plein régime relayée par des bonimenteurs sans scrupules, où des polémistes odieux versent dans le révisionnisme pour réhabiliter des personnages condamnés par l’histoire, au milieu de ces effluents nauséeux, de la médiocrité ambiante et des platitudes désolantes en rase campagne pour les présidentielles à venir, on tombe parfois sur des gens qui nous tirent vers le haut, qui nous font prendre de l’altitude pour regarder autrement le monde.

Vincent Munier et Sylvain Tesson sont de cette espèce-là,  eux qui sont partis en 2018 et 2019 à la poursuite de la merveille des neiges sur le toit du monde qu’ils ont arpenté sur les hauts plateaux du Changtang, pour en ramener des images de toute beauté, prises par Vincent Munier et rassemblées dans l’ouvrage Tibet, minéral animal, un texte admirable de Sylvain Tesson, La panthère des neiges, et un film documentaire de Marie Amiguet, la compagne de Munier, un film apparemment d’une grande pureté, témoin de l’affût des deux compères en quête de la « bête » de toute beauté qui hante le Tibet.

Sylvain Tesson, Vincent Munier, accompagnés par Marie Amiguet, ont honoré de leur présence l’émission C à vous, sur France 5, lundi 13 décembre, pour la promotion du film documentaire La panthère des neiges qui va sortir en salles le 15 décembre réalisé par Vincent Munier et Marie Amiguet. Vincent Munier a un regard lumineux, comme si ses yeux gardaient en mémoire la splendeur des paysages immaculés du Tibet. Sylvain Tesson, lui, donne l’impression d’un Prussien impassible avec cette paralysie faciale apparue depuis son grave accident en tombant d’un toit à Chamonix en 2014.  Au moins ne s’est-il pas rompu l’échine en tombant du toit du monde. Et Marie Amiguet, elle, a les yeux chatoyants, des yeux de « lapis-lazzuli », pour reprendre la formule de l’écrivain nomade.

Sylvain Tesson a déclaré que Vincent Munier lui avait appris à lire une seconde fois, à  lire la présence du vivant tapie dans l’environnement, lui qui traversait naguère les paysages à toute allure et en aveugle, alors que les plaines ont des yeux pour voir et les forêts des oreilles pour entendre. Tesson parle d’ailleurs de « bêtes », non pas d’animaux. Le vocable bête est plus compact, plus dense, plus ramassé que le mot animal, comme pour dire l’irrémédiable étrangeté de l’animal sauvage, si  loin de l’être humain. Il dit aussi « la bête » pour parler de la panthère des neiges, dont l’apparition, trois jours avant la fin de leur périple au Tibet, en 2019, fut la suprême récompense de leur affût des jours durant par des températures oscillant autour de - 20 °C.   Une apparition miraculeuse, comme une pure épiphanie du monde sauvage dans le jardin minéral du Tibet.

Lui, Sylvain Tesson, l’écrivain loquace atteint de bougeotte, aux côtés de Vincent Munier a appris l’immobilité, la patience, le silence et l’affût. C’est qu’il en a fallu de la patience, pour observer les locataires de ces lieux retirés, à la beauté intacte, bien loin de notre monde dit civilisé. Qu’il s’agisse du pika de l’Himalaya, du yack, du bharal, du chirou, du loup gris,  du renard du Tibet, du chat de Pallas, et, au sommet de ce panthéon de pureté sauvage, de la panthère des neiges.  

La panthère dont Sylvain Tesson croyait même qu’elle avait disparu avant de partir sur ses traces. La panthère des neiges, comme le symbole absolu de l’altérité, de l’altérité radicale, car la « bête », comme s’emploie à le dire Sylvain Tesson, si on peut  l’aimer, l’admirer et chercher à la protéger, demeure résolument étrangère à l’homme. Elle lui échappe totalement. La présence des bêtes sur Terre, qui remonte à des millions d’années, confronte homo sapiens (dont l’apparition est beaucoup plus récente) au vertige du temps. La quête de la panthère des neiges, une bête de toute beauté sur les hauts plateaux du Tibet, une bête élusive, qui disparaît dans le minéral, s’apparente un peu à une quête spirituelle. La recherche de la panthère, son absence, sa présence en creux, tout cela renvoie à une recherche du sacré.

J’ai souvenir qu’ici, parmi les abonnés de Médiapart, un certain Laurent Thines, en avril 2020, s’était permis dans un billet de son cru de qualifier Sylvain Tesson de « piètre humain » en l’accusant de « mépris de classe », notamment pour avoir critiqué la posture des Gilets Jaunes rivés à leur rond point sur le plancher des vaches. Sylvain Tesson a en effet quelque chose que la plupart des gens ont perdu, il a gardé sa capacité d’émerveillement et la faculté de nous transmettre cet émerveillement par l’opération de son verbe, comme son compère Vincent Munier, par la grâce de ses images. C’est ce que j’appelle, moi, des êtres humains de première classe.

PS :

 https://medias.unifrance.org/medias/57/158/237113/presse/la-panthere-des-neiges-dossier-de-presse-francais.pdf

https://blogs.mediapart.fr/pierre-caumont/blog/251019/le-tibet-et-sa-bete-de-toute-beaute

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