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Billet de blog 5 juillet 2021

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Arles, d'une colonisation l'autre

La tour Gehry de LUMA, la fondation de la milliardaire Maya Hoffmann a été ouverte au public à Arles le 27 juin 2021 quelques jours avant le début des Rencontres internationales de la photographie inaugurées le 4 juillet 2021, sans Président, après la démission de Hubert Védrine suite aux pressions et à la pétition qui circulait sur ses positions sur le génocide des Tutsi au Rwanda.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La tour Gehry de LUMA, la fondation de la milliardaire Maya Hoffmann a été ouverte au public à Arles le 27 juin 2021 quelques jours avant le début des Rencontres internationales de la photographie inaugurées le 4 juillet 2021, sans Président, après la démission de Hubert Védrine suite aux pressions et à la tribune parue dans Libération suivie de la pétition qui circulait sur ses positions sur le génocide des Tutsi au Rwanda avec des signataires comme Fabrice Arfi de Mediapart et Patrick de Saint Exupéry le journaliste enquêteur sur le rôle du gouvernement Mitterrand dans ce génocide.

Illustration 1
Tour Luma Gehry au dessus des arènes romaines © Pierre Grenet

Ce nouveau monument est censé produire un « effet Bilbao » sur la ville la plus étendue de France classée au patrimoine mondial de l'humanité par l'UNESCO. Son taux de chômage est de 16 % et le pourcentage de la population en dessous du seuil de pauvreté est de 23 % contre 14 % à Paris.

Mais le contexte d'Arles est incomparable avec celui de Bilbao, ville de 350.000  habitants, port sur l’Atlantique et capitale de la région Biscaye à l’intérieur de la communauté du pays basque. Elle était encore très industrielle dans les années 80, au moment de la construction de la fondation Guggenheim dans un bâtiment signé par l'architecte canadien Frank Gehry. Un plan public de 750 Millions d’euros du Gouvernement du pays basque, de la région Biscaye et des municipalités concernées avait organisé la réactivation économique et ce sont ces collectivités publiques qui ont proposé à la fondation Guggenheim de venir s’installer dans la ville dans un cadre défini par elles.

Pour Arles, c'est la milliardaire Maja Hoffmann qui a jeté son dévolu sur la ville où elle a vécu enfant et où son père Luc Hoffmann, cofondateur de l'association humanitaire WWF avait créé dans le parc de Camargue la tour du Valat, un site protégé pour la faune et la flore locales.

Arles a été complètement désindustrialisée avec la fermeture des ateliers SNCF en 1984 qui employaient plus de 1 000 salariés, puis celle des papeteries Etienne, de l'usine de pâtes alimentaires Lustucru et de l'usine d'emballage Linpac.

Les anciens maires PS et PC, Michel Vauzelle et Hervé Schiavetti avaient tout misé sur l'industrie culturelle et le tourisme pour maintenir à flot la ville et l'emploi avec les Rencontres internationales de la photo qui ont attiré 145 000 personnes pour sa dernière édition en 2019 sur ses sites et 200 000 dans le off, les éditions Actes Sud et Harmonia mundi.

Maja Hoffmann, héritière des laboratoires pharmaceutiques Hoffmann La Roche et d'une des plus grandes fortunes mondiales avec ses frères et sœurs suit la tradition familiale de collectionner l'art contemporain et de créer des fondations. Son grand-père, Etienne Hoffmann, dont on peut voir un échantillon de sa collection au rez-de-chaussée de la Tour LUMA Gehry avec en particulier une allée de pierres de basalte, une espèce de dépôt d'armes de jet de la taille de boulets de canon aux angles affûtés plus efficace que les galets ronds de la Crau utilisés par le peuple celte des Salyens pour combattre ses ennemis. Sa grand-mère, l'originale Maja Hoffmann a créé des fondations dédiées à l'art contemporain et a initié Maja de LUMA à l'exercice.

Illustration 2
Luma Salle Etienne Hoffmann

La fondation LUMA : contraction du prénom de ses deux enfants, Lucas et Marina et non pas du nom du journal du PC, l'Huma à qui Maja aurait retiré le « h » d'humanité et en particulier la fondation LUMA Arles à l'origine du « campus LUMA dans le parc des ateliers SNCF, incluant la tour Gehry » ne bénéficierait pas d'économies d'impôts en France du groupe Hoffmann qui aurait peu de revenus domiciliés en France.

Maja paye par ailleurs des impôts pour ses activités personnelles dans le tourisme et l'hôtellerie. Maja est propriétaire de l'hôtel Arlatan, l'hôtel du cloître, l'hôtel emblématique Nord-Pinus où séjournaient Picasso et les écrivains en visite à Arles, le restaurant étoilé la Chassagnette. Elle vient d'ouvrir un hôtel dans le parc des ateliers et a acheté deux nouveaux grands bâtiments, l'ancienne clinique Paoli et une annexe de la Mairie rue du cloître pour faire des résidences. Elle ne devrait rendre des comptes sur les 200 millions investis dans LUMA Arles qu'à son conseil d'administration, dont elle est présidente pour cette opération privée.

En 1976, l'usine chimique ICSEMA appartenant au groupe Hoffmann La Roche a laissé s'échapper un nuage d'herbicide contenant de la soude caustique et de la dioxine pendant vingt minutes à Meda, proche de Seveso en Italie. Le groupe n'a averti que dix jours après l'accident les autorités locales et a admis ne pas avoir élaboré de plan d'urgence. Des centaines d'enfants ont contracté des maladies de peau, des milliers d'animaux domestiques sont morts et des dizaines de milliers d'animaux d'élevage ont dû être abattus. 358 hectares ont été gravement contaminés.

Cette catastrophe industrielle a été tellement emblématique qu'elle a donné son nom aux sites considérés à haut risque comme les quinze classés Seveso à Fos-sur-mer située à 40 kilomètres d'Arles.

200 millions d'Euros ne semble pas si excessif pour un « blanchiment de conscience » 

Le groupe Hoffman-La Roche avec la contraction de son nom : Roche, un des plus gros laboratoires pharmaceutiques du monde (sans doute le deuxième) s'est diversifiée à travers le rachat d'une multitude de sociétés dans les vitamines, les médicaments contre le cancer issus de la technologie des anticorps monoclonaux et des anxiolytiques comme le Valium et le Lexomil qui ont fait une partie de sa fortune. La France est championne du monde pour la consommation des antidépresseurs et des anxiolytiques, ce phénomène a parfois été qualifié de « santé volée ».

Le groupe a été condamné en 1999 à payer une amende de 500 millions de dollars pour entente avec BASF et Rhône-Poulenc sur les prix de diverses vitamines. En 2001, il est reconnu coupable par la Commission Européenne d'avoir créé un cartel d'entreprises pharmaceutiques dans le domaine des vitamines et a été condamné à verser une amende de 462 millions d'euros.

Alors 200 millions d'Euros ne semble pas si excessif pour un « blanchiment de conscience » et pour devenir la reine « contemporaine » d'Arles au détriment de la reine traditionnelle d'Arles et de Françoise Nyssen, héritière d'Actes Sud et épouse du propriétaire immobilier Capitani.

La tour Gehry, le campus et le parc ont été implantés sur le site des ateliers SNCF qui a été le lieu emblématique des Rencontres internationales de la photographie dans une ambiance de friches industrielles propice à la créativité des exposés et des spectateurs. Le conseil régional PACA sous la présidence de Michel Vauzelle a fortement aidé financièrement la ville d'Arles pour la rénovation de la grande Halle des ateliers en 2006 et les Rencontres photos sous la direction de François Hebel et la présidence de Jean-Noël Jeanneney avaient construit un projet pour faire vivre les ateliers SNCF toute l'année en complément des deux mois et demi réservés à leur festival.

Faute de financements suffisants, le projet a été vite abandonné au profit d'une mise à disposition du site à la fondation LUMA. François Hebel a démissionné en 2013 et Jean-Noël Jeanneney également après avoir assuré la succession au poste de directeur par la nomination de Sam Stourdzé plus compatible avec Maja Hoffmann, membre du conseil d'administration des Rencontres photos depuis plusieurs années et marraine du prix du livre de photographies remis chaque année lors des soirées au prestigieux théâtre antique.

Jean-Noël Jeanneney à qui Maja Hoffmann avait emprunté les lunettes pour lire le nom du lauréat avait dit qu'il n'avait jamais osé rêver être un jour le porte-vues de Maja Hoffmann. Sam Stourdzé ayant été remercié pour son œuvre à Arles ayant été nommé en mars 2020, les Rencontres photos sous la présidence éphémère d'Hubert Védrine l'ont remplacé par Christian Wiesner, ancien galeriste, promoteur du marché de la photographie « d'art » et ancien directeur de Paris photo.

Déjà dans les années 1980-1990, le parc des ateliers SNCF avait fait rêver de nombreux Arlésiens engagés dans la création et dans l'action collective. Ils avaient imaginé un lieu ouvert avec une restauration minimaliste et sobre où se brassent la culture, la politique et le social. Cela aurait été une sorte de Bauhaus horizontal comme celui que des Parisiens avaient imaginé pour les entrepôts de vin à Bercy avec l'appui de la fondation transculturelle de Felix Guattari et Jean-Pierre Faye ayant accès aux allées du pouvoir mitterrandien et à l'oreille de Jack Lang. Tout cela a été abandonné sur la route dans le cadre de promesses non tenues, d'évolution mitterrandienne et d'opposition chiraquienne.

Par contre Frank Gehry a déjà été mis à contribution pour ériger un bâtiment dans les décombres du site des entrepôts de Bercy devenu le parc de Bercy autour du palais omnisport et des logements construits par les promoteurs avides d'espaces à l'intérieur de Paris.

L'architecte canadien, pape du déconstructivisme a ainsi conçu le nouveau centre américain déplacé par la Fondation Cartier du boulevard Raspail où se tenait le festival Polyphonix de poésie sonore et de musiques variées créé par une association autogérée d'artistes dont Jean-Jacques Lebel, ami de Felix Guattari qui invitait les poètes américains de la beat generation et du monde entier. Le centre américain n'a pas survécu à ce déménagement dans la « déstructure » de Frank Gehry qui accueille maintenant la cinémathèque française à côté du POPB devenu Accor Arena en partie dissimulé sous les talus gazonnés imaginés par les architectes Andrault, Parat et Guyan pour calmer les prétentions écologistes du bauhaus horizontal.

La « déconstruction » mise à la mode par Jacques Derrida à partir du concept Heideggerien « abbau » , « ab », préfixe marquant l'inversion et « bau », construction.

Chez Heidegger, l'abbau a été associé à « l'expérience de l'être » et à la « pensée de la race » dans un contexte de « mobilisation totale » autour du nazisme, des concepts de « retour aux origines », et de « motorisation totale de la Wehrmacht » qui constituait un « acte métaphysique », comme si la seule technologie acceptable pour le monde était l'allemande.

Les Arlésiens se retrouvent donc après des années de discussions et de travaux avec une tour de neuf étages composée d'un bloc rectiligne de béton beige

Maja Hoffman inspirée par la fondation Guggenheim à Bilbao et peut-être par la mise au pas des entrepôts de Bercy a donc hérité du site des ateliers SNCF à Arles. Elle a dit avoir choisi Arles pour son projet parce qu'elle était attachée à cette ville où elle avait passée son enfance et parce que les milliardaires n'aimaient plus les grandes villes ou les capitales. Peut-être aussi parce qu'à Paris, la compétition fait rage entre les milliardaires et leurs fondations Arnault, Pinault, Cartier. Bernard Arnault, deuxième fortune mondiale peut mettre 750 millions sur la table pour transformer la Samaritaine et la Belle Jardinière et les autres bâtiments en boutiques et hôtels de luxe.

Enfin, Arles peut-être un refuge pour milliardaires fuyant l'apocalypse du capitalocène avec le réchauffement climatique, la destruction de la nature et les guerres civiles. Arles avec son territoire s'étendant sur 40 kilomètres jusqu'à ses plages de la Méditerranée avec les 2/3 de la Camargue et une partie de la Crau est autosuffisant en alimentation à 95 % contre 2% pour une ville comme Grenoble.

Mais, la Camargue étant en tête des territoires risquant d'être submergés par la montée des eaux due au réchauffement climatique, il fallait construire en hauteur pour garantir la survie.

Maja a transigé à 56 mètres en concédant cinq mètres pour ne pas « défigurer » le centre ville d'Arles et ne pas trop dépasser ses monuments historiques et elle a éloigné sa tour des Alyscamps peints par Van Gogh pour ne pas se coller à la nécropole et ses sarcophages païens puis devenue chrétiens au IVème siècle.

Les Arlésiens se retrouvent donc après des années de discussions et de travaux avec une tour de neuf étages composée d'un bloc rectiligne de béton beige pour les servitudes et une fantaisie déstructurée en façade avec des caissons protubérants pour les fenêtres revêtue de briquettes métalliques brillantes.

Dans un premier temps, Frank Gehry avait annoncé que ses briquettes en inox martelé pour éviter une partie de l'effet « four solaire » devaient rappeler la pierre calcaire des Alpilles. Après des essais sur un simulateur, le brillant sautait tellement aux yeux que les communicants n'ont plus évoqué la parenté avec le massif des Alpilles que pour son chaos structurel.

Ils ont par contre ajouté l'effet Van Gogh avec les reflets colorés renvoyés par les briquettes au coucher du soleil. La parenté avec Van Gogh est une quête perpétuelle pour retrouver ses couleurs. À terme, il faudra peut-être repeindre les briquettes pour se rapprocher de ses peintures comme l'on fait les restaurateurs du café de la nuit de la place du forum.

Illustration 3
Tour Dubuffet

Par contre, on peut trouver une parenté certaine avec la tour totem de Jean Dubuffet.

L'oeuvre architecturale repose sur des fondations qui ont dû être sérieusement renforcées pour éviter un enfoncement fatal à ce haut bâtiment érigé sur des terres marécageuses et sur une couronne formant un hall d'entrée vitré et surchauffé. Ce cercle « vertueux » est censé rappeler les arènes de l'amphithéâtre romain.

Illustration 4
Tour Luma Gehry Ecole nationale Photo Barani

Pour valoriser encore la tour phare d'Arles, l'Ecole nationale de la photographie a été positionnée en contre-bas dans un bâtiment conçu par l'architecte Marc Barani avec sobriété comme un piédestal supplémentaire peut-être pour inaugurer le nouveau concept de ville en partenariat public-privé.

A l'intérieur de la tour, encore peu de contenus. Maja fait patienter depuis plusieurs années sur son programme. Elle se veut pragmatique et à l'écoute des tendances identifiées par son « core group» comprenant des personnalités diverses et variées. « On apprend en marchant ».

Résultat : pas grand chose pour l'ouverture du 26 juin 2021, mais tout est gratuit. Des terrasses offrent de beaux panoramas pour les photos, de même que les perspectives depuis l'intérieur avec des percées entre les déstructures, les briquettes et les grandes baies vitrées. Au rez-de-chaussée, un double toboggan en hélice pour occuper les petits, la salle Etienne Hoffmann avec son allée de pierres de basalte et quelques œuvres très « contemporaines », un manège pour vieux qui laisse apparaître par intermittence des silhouettes couchées sur la moquette et un bar avec une grande tapisserie anti Van Gogh avec des tournesols fanés et décolorés (il faudra peut-être remettre des couleurs par pragmatisme) réalisée à Aubusson.

Illustration 5
tapisserie

Dans les sous-sols qu'on atteint par un escalier en double hélice assez joliment inspiré de celui de Chambord et de la bourse du commerce de Paris, il y a la réplique en cire d'Urs Ficher de l'enlèvement des Sabines créé par le sculpteur italien Giambologna en 1580.

D'autres répliques ont déjà fait l'objet d'une consumation à Venise en 2011 et à la fondation Pinault de la bourse du commerce en juin 2021.

La différence pour la bougie monumentale de Maja, c'est la durée de sa destruction, l'abbau devrait arriver à son terme en 3 mois au lieu de 6 à Paris.

Signe de quoi ? Il n'est pas possible de connaître le prix de l'oeuvre. Les médiateurs ont eu instruction de ne pas le dévoiler. « Ce n'est pas l'objectif ». L'artiste et la propriétaire des lieux considère que le spectateur doit bénéficier d'une information limitée pour réagir dans le sens voulu par l'artiste. On ne pourra pas comparer « l'installation » avec le billet de 500 francs brûlé par Serge Gainsbourg devant les caméras de télévision ou le tableau Girl with Balloon du britannique Banksy partiellement auto-détruite en quelques minutes après avoir été adjugé aux enchères de Sotheby's pour plus d'un million d'euros. On aurait pu mesurer le rapport de la milliardaire au temps et à l'argent.

Par contre, on peut dire que la bougie remarquablement exécutée par d'excellents mouleurs de cire est beaucoup mieux mis en valeur à la fondation Pinault sous la magnifique verrière du hall de la bourse du commerce et entourée par la belle enceinte en béton ajouré de Tadao Ando qu'à la fondation LUMA sous un faux plafond presque au raz de sa tête.

La collection de photos d'Annie Lebovitz acquise par Maja Hoffmann avait déjà été présentée en partie et en vrac pendant les Rencontres photos. Les Etats Unis des années 1970- 1980 avec ses stars, ses présidents sans trop de contre cultures, de manifestations contre la guerre du Vietnam.

Enfin, la vidéo de 24 heures, The Clock de Christian Marclay, composée de milliers d’extraits de films de cinéma indiquant l’heure devrait faire l'unanimité ou presque par son côté spectaculaire, un peu comme l’installation More Sweetly Play the Dance de William Kentridge présenté à LUMA dans le cadre des rencontres photos en 2016.

L'effet embauche atteint aujourd'hui le chiffre de 300 entre les diverses activités de Maja Hoffmann à Arles avec une priorité chaque fois que c'était possible aux locaux.

Parmi ceux à qui la fondation LUMA a proposé un emploi, certains se plaignent, encore à voix basse des conditions de travail et de l'absence de cantines. Des employés de surface évoquent des amplitudes horaires de 15 heures entre l'embauche à cinq heures du matin et la fin de leur « mission » à 20 heures avec une pause en milieu de journée (contre les 12 heures légales).

Illustration 6
Couverture manger LUMA

L'intérêt manifesté par Maja Hoffmann pour l'écologie, le bio et la nature n'est pas très probant dans la tour. Ni les matériaux, béton et inox, ni surtout le bilan énergétique pour tempérer la déstructure, équivalent à la consommation de 1 000 foyers de 4 personnes.

À l'extérieur dans le parc, une des plus belles pistes au monde de skateboard et surtout un jardin autour d'une pièce d'eau alimentée par une roubine voisine. Les visiteurs peuvent librement profiter de la fraîcheur du campus « valium », ce havre de paix et de verdure dans une ville qui bénéficie déjà d'une climatisation naturelle avec le Rhône et le mistral.

Une centaine d'espèces d'arbres ont été plantés dans un espace paysagé avec des reliefs ondulants agréables. Les origines locales semblent avoir été bien respectées. Elles ne sont pas toutes identifiables faute de panneaux explicites, mais on peut découvrir entre autres des aulnes plus petits que ceux de l'étang des Aulnes privé de concert par le conseil Général de droite, des érables de Montpellier, des chênes verts, des chênes Kermes qui ont fait la fortune d'Arles avec son Rouge, des pistachiers térébinthe et des pins d'Alep.

Des Arlésiens profitent de cet équipement valorisant et digne d'une capitale. Un jeune du quartier HLM de Barriol, extérieur au centre ville, le trouve tout très beau et luxueux. Le peuple est admis au château.

La particularité de Maja Hoffmann et de LUMA, c'est de s'intéresser à tout et en particulier à l'avenir d'Arles, à ses entreprises tournées vers le bio, à l'économie solidaire.

Elle réfléchit avec son « core group » et fait plancher des intellectuels, des experts et quelques habitants dans le cadre de différents programmes et en particulier lors des Luma days une fois par an. Michel Bauwens, fondateur du P2P Foundation, est venu présenter le peer-to-peer, conçu à son origine pour le partage de documents dans les réseaux en exploitant les espaces disponibles sur tous les ordinateurs de ses membres en l'étendant à tous les aspects de la vie. « Le peer-to-peer permet aux gens du monde entier de créer des projets ensemble, une encyclopédie (Wikipédia), tout type d objet (avec les imprimantes 3D) ou bien de financer des projets (avec le crowdfunding) en dehors des lois du marché. »

Le philosophe Bruno Latour, initiateur des cahiers de doléance de l'écologie va proposer des ateliers aux LUMA days de septembre 2021 pour organiser l'atterrissage de cette société perdue par une course sans limites oublieuse de la finitude des sources d'énergie et de l'environnement.

Peut-on confier le sort du monde de nos villes et d'Arles en particulier à des pompiers pyromanes et à des milliardaires en repentance ?

Un collectif rédacteur d'un magnifique ouvrage intitulé Manger LUMA, recueil & menu critique très bien mis en page et à la typographie soignée en doute.

Illustration 7
Revue manger LUMA
Illustration 8
oeuvre exposée Luma

Premier effet concret de l'installation du centre LUMA à Arles, les prix de l'immobilier ont été multipliés par deux pendant laconstruction de la tour et les Arlésiens ont de plus en plus de difficultés à se loger dans leur ville.

On y trouve une citation d'André Hoffmann, frère de Maja et vice-président de la multinationale Hoffmann La Roche aux LUMA days 2019 : « oui l'entreprise a détruit la planète. Elle l'a détruite...Mais elle la réparera ! »

Ce qui inquiète ou révolte les Arlésiens les plus vigilants, c'est la volonté de Maja et de Luma de se placer au centre de la réflexion sur l'avenir du pays d'Arles. Une espèce de planification privée qui aiderait à fixer les priorités urbanistiques, sociales et politiques ?

Une participante à un précédent LUMA days témoigne de son trouble face à cette initiative privée qui prétend dessiner le futur d'une entité territoriale à la place des collectivités locales et des associations. « A qui sont destinées ces idées qu'on nous a demandé de faire émerger ? Aux designers en résidence à l'atelier LUMA ? A la fondation ? A la ville ? Aux citoyens qui voudraient s'en emparer ? Et au fond qui décide ? Quelle est l'idéologie qui sous-tend tout ça ? »

La tour LUMA de Frank Gehry prétend faire référence au moins à travers sa base en forme de couronne au monde romain et la navette électrique qui permet de la rejoindre a été baptisée vi'arelate.

Effectivement, Arles a été colonisée pendant plus de cinq siècles par l'empire romain et la ville bénéficie de l'attrait touristique produit par les vestiges de cette occupation.

Pourtant Arles a été fondé au VIIIème siècle avant JC par les Salyens, un peuple celte avec son nom Arelate qui signifie en celte « are » devant et « late » marais, « devant le marais ». Son emblème du lion pourrait trouver son origine dans le lion de Saint Marc suite à un rapprochement de la ville avec Venise en 1251, mais aussi dans le lion d'Arcoule, une magnifique sculpture en calcaire datant du premier siècle avant JC trouvée dans un oppidum celte à Paradou à quelques kilomètres d'Arles. Cette pièce celte accueille les visiteurs au musée antique d'Arles (le plus visité des musées antiques de France). Le thème du lion venant de Méditerranée orientale était fréquent dans les sites funéraires des celtes du sud est de la Gaule. Il avait été transmis aux peuples celtes de la région par les étrusques comme la culture de la vigne.

Dans la guerre civile qui opposa Jules César à Pompée en 49 avant JC, Cesar assiégea Marseille occupée par les Grecs alliés de Pompée et fut victorieux grâce à la construction éclair en 30 jours de douze galères construites par les charpentiers de marine celtes de Arelate. La ville était déjà un centre important de navigation sur le Rhône vers le nord de la Gaule celte et le talent des charpentiers celtes était reconnu dans l'antiquité. César, après son triomphe décida d'octroyer à Arelate le statut de « colonie romaine » avec tous les avantages attenant.

On considère généralement que Arles a dû à cette romanisation sa fortune ultérieure. Beaucoup de commerçants et de notables de l'époque se sont soumis par intérêt à cette colonisation et les bagaudes, les résistants celtes ont été longtemps tenus en respect.

La tradition de certaines élites provençales conservatrices a renié ce passé celte. Maurras de l'Action française, Leon Daudet et Frédéric Mistral dont les collections sont au cœur du muséon arlaten récemment rouvert après de longs travaux de rénovation ne valorisaient que le passé colonial arlésien à travers les antiquités greco latines. Les travaux archéologiques récents exhument régulièrement des vestiges celtes partout dans le pays d'Arles et autour de l'étang de Berre. Pourtant le festival arelate d'Arles reste centré sur les traditions romaines et sur les peplums valorisant l'occupation romaine.

Hier, 4 juillet, Maja Hoffmann organisa sa conférence inaugurale sur son campus LUMA en présence de tous les officiels de la région. Il semble qu'elle ait imposé son calendrier aux Rencontres Internationales de la photo qui ces dernières années proposait la sienne le premier lundi de juillet.

Il fallait faire converger les deux événements pour simplifier les déplacements de la ministre de la culture et des présidents de région et de département. Le matin pour LUMA, une pluie exceptionnelle pour Arles est tombée du ciel. À 18 heures, pour les Rencontres Internationales de la photographie, le soleil était revenu.

En ce jour de commémoration du génocide rwandais, Hubert Védrine, encore Président des Rencontres, la semaine dernière était absent après sa démission. Pas un mot d'explications n'a été prononcé sur le sujet par la ministre de la Culture Roselyne Bachelot ni par le maire Patrick de Carolis. Une annonce a été faite concernant des subventions permettant à la ville de restaurer les hangars de l'ancienne papeterie Etienne de l'autre côté du Rhône dans le quartier de Trinquetaille. Ainsi, les Rencontres qui avaient essayé en vain de pérenniser leur installation dans les ateliers SNCF, faute de subventions suffisantes des collectivités locales auront droit à un espace à l'écart du centre ville après avoir laissé la place à LUMA.

Une question se pose pour l'avenir arlésien, combien de citoyens adopteront le statut octroyé par la fondation LUMA sur son campus ? Le citoyen funambule de la photo qui essaye de s'intégrer au campus en touchant la tour avec sa main au-dessus de l'amphithéâtre romain ?

Un jour viendra où la reconstruction sera mise en route par d'autres citoyens.

Illustration 9
Tour Luma Parc

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