Au printemps 2015, 62% de la population d'une espèce menacée, l'antilope Saïga, disparaît en quelques jours dans les steppes du Kazakhstan. Ce sont 200000 cadavres morts d'une septicémie hémorragique et de problèmes respiratoires qui sont décomptés. L'agent pathogène de cette hécatombe sans précédent est rapidement identifié : il s'agit d'une bactérie hôte de l'espèce normalement sans danger. Les chercheurs se sont donc demandé ce qui avait pu rendre l'espèce vulnérable à cette bactérie. En étudiant des évènements similaires survenus dans les années 80, ils ont pu attribuer la virulence de l'agent pathogène à des conditions de température et d'humidité inhabituelles pendant cette période de l'année.
S'il n'y a pas lieu de suspecter ici une influence directe de l'homme liée à des pratiques de braconnage, de destruction de l'espace naturel de ces animaux ou de diffusion d'agents toxiques, il n'en reste pas moins que le phénomène est lié, selon les chercheurs, au changement soudain des conditions environnementales liées au réchauffement climatique. On découvre ici que des agents pathogènes peuvent muter rapidement, prenant de vitesse les défenses immunitaires des animaux. La bonne nouvelle, c'est que l'espèce, exceptionnellement prolifique, s'est rapidement reconstituée, mais reste à la merci de phénomènes similaires. Et Richard Kock, un chercheur britannique spécialisé dans l'étude de la mortalité de masse, n'exclut pas que le phénomène puisse concerner d'autres agents pathogènes et d'autres espèces : "Si cela commence à se produire à plus grande échelle, c'est potentiellement catastrophique pour le bétail, pour la conservation et finalement pour tous les mammifères".
Un impact direct du réchauffement climatique sur la biodiversité a également été constaté pour les populations aquatiques : ce sont ici les lacs plutôt que les océans qui sont concernés : une étude internationale publiée le 2 juin dans la revue Nature fait état d'une diminution globale de la teneur en oxygène (-5,5% dans les eaux de surface et -18,6% dans les eaux profondes), qui a commencé au début des années 1980. Ici aussi, la cause en revient au réchauffement climatique car l'augmentation globale des températures (+0,38°C par décennie) diminue la solubilité de l'oxygène dans l'eau. Pour les poissons, cette baisse peut mener au déclin de certaines espèces. Mais les méfaits de l'hypoxie constatée dans les lacs ne s'arrêtent pas là : la prolifération de bactéries qui peuvent vivre dans des milieux amoindris en oxygène est émettrice de méthane qui est un autre gaz à effet de serre. Enfin, la modification chimique des milieux aquatiques provoque un déséquilibre des écosystèmes aquatiques (euthropisation) à l'origine de cyanobactéries toxiques dans les lacs et de la prolifération des algues vertes dans les zones côtières.
Si les phénomènes d'hypoxie induits par le réchauffement climatique sont moins marqués sur les étendues océaniques, les eaux marines s'acidifient sous l'effet du réchauffement climatique et les conséquences en termes de biodiversité n'en sont pas moins critiques. Dans un rapport sur les perturbations de la biodiversité, la plateforme intergouvernementale IPBES - encore appelée "le GIEC de la biodiversité" - dresse l'inventaire des dégradations du milieu marin et tente d'en analyser les causes : « La richesse et l’abondance des organismes marins, des producteurs primaires comme les diatomées aux prédateurs supérieurs comme les requins et les épaulards, sont en déclin », observe ce rapport, qui mentionne également la disparition de la moitié des surfaces coralliennes de 1870 à maintenant, ainsi que la réduction des forêts de mangroves "à moins de 25% de leur étendue naturelle" et des prairies marines qui "diminuent de plus de 10% par décennie". Une autre menace sur la biodiversité réside évidemment dans la fonte des glaces qui induit la perte de l'habitat naturel pour les espèces arctiques et antarctiques. Elle a aussi pour effet d'impacter la production de plancton et, avec elle, l'ensemble de la chaîne alimentaire des océans. Selon le pire des scénarios du GIEC (mais hautement probable), la perte de la biomasse des poissons pourrait se monter à 25% sous l'effet d'un réchauffement climatique de 3°C d'ici la fin du siècle.
Plus généralement, c'est un bilan alarmiste que dresse le GIEC de la biodiversité : c'est une espèce sur huit, animale ou végétale - qui risque de disparaître à brève échéance, sous l'effet d'une surexploitation de la nature. Constatant que "la santé des écosystèmes dont nous dépendons [...] se dégrade plus vite que jamais", le président de l'institution ajoute : "Nous sommes en train d'éroder les fondements mêmes de notre économie, nos moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, la santé et la qualité de vie dans le monde entier".Et, ici, la liste est longue : déforestation en Amazonie et en Indonésie, méga-incendies en Australie et en Californie, perte de 80% de la biomasse des insectes ailés sous l'effet des néocotinoïdes, en particulier les insectes pollinisateurs et pourtant réintroduction, soit-disant temporaire, de ces pesticides sous la pression des lobbies car "si la science nuit aux modèles économiques de quelques multinationales, mieux vaut modifier la science elle-même que les business plans". Et le scandale des "Monsanto papers" montre que c'est bien la logique appliquée par le faussaire Monsanto.
La dégradation de la biodiversité a joué un rôle dans la crise sanitaire que nous vivons actuellement : l'émergence de maladies nouvelles transmises de l'animal à l'homme a commencé avec le SIDA, puis la liste s'est allongée en trois décennies : SRAS, Ebola et maintenant COVID. "Nous perturbons les écosystèmes et débarrassons les virus de leurs hôtes naturels. Lorsque cela se produit, ils ont besoin d'un nouvel hôte. Souvent, cet hôte, c'est nous". C'est l'explication qu'en donne le journaliste scientifique David Quammen. Dès 2018, l'OMS avait introduit dans la liste des facteurs de pandémie possible une "maladie X", définie comme résultant "d'un virus d'origine animale, émergeant quelque part sur la planète où le développement économique rapproche les humains et la faune, se propageant rapidement et silencieusement. Exploitant les réseaux de voyage et de commerces humains, elle atteindrait plusieurs pays et serait difficile à contenir". Cette définition en forme de prophétie s'est aujourd'hui réalisée, car elle répond point par point aux caractéristiques du COVID19. Et les chercheurs préviennent : des pandémies, il y en aura d'autres et "il est même possible que la situation soit encore plus préoccupante en termes de mortalité". Et la recherche médicale, malgré l'efficacité dont elle a fait preuve au cours de l'actuelle pandémie, n'est pas la réponse : elle peut découvrir tous les traitements et vaccins que l'on veut, c'est s'attaquer aux conséquences et non aux causes.
La biodiversité a fait l'objet en 2016 d'une "loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages", qui fait l'objet d'articles très critiques du magazine Reporterre : une agence nationale de la Biodiversité est créée mais le lobby des chasseurs pèse sur sa composition. Ce lobby réussit également à faire refuser les articles interdisant la chasse dans les espaces protégés, la chasse de nuit et le dimanche et fait mettre entre parenthèses par le sénat la chasse à la glu. Comme si la nature pouvait être déménagée, la loi prévoit des mécanismes compensatoires pur les pertes de biodiversité, dont les scientifiques soulignent l'inefficacité.
Cela commence avec un constat alarmant, celui du WWF , dont l'indice planète vivante (IPV) révèle une diminution de 68% de la biomasse des vertébrés. A la suite de cette évaluation émerge un scepticisme concernant le déclin de la biodiversité, semblable à celui qui s'exprimait il y a quelques années pour le réchauffement climatique, mais soutenu par certains scientifiques : ainsi en est-il de cet article de la revue Nature, paru en novembre 2019, qui évalue à 3% "seulement" le nombre des espèces vertébrées menacées de disparition. Selon les auteurs, l'exclusion de ces espèces en voie de disparition fait apparaître une légère augmentation pour les espèces restantes. Mais cette relativisation procède d'une erreur de méthodologie : peut-on retirer de l'étude les espèces les plus menacées sans faire de même avec celles qui prolifèrent au contact des humains, comme le sanglier qui vient chercher sa nourriture jusque dans nos villes ? Un commentaire interroge : "Doit-on vraiment relativiser la disparition de la bécassine des marais, du verdier d'Europe et du traquet rieur au motif que les pigeons et les corneilles prolifèrent en prospérant sur nos déchets ?"
Il souffle également un vent de déni émanant de publications scientifiques, concernant également les populations d'insectes :entre 1969 et 2016, la perte de biomasse d'insectes en Allemagne était estimée à plus de 75%. Le papillon Monarque de la côte ouest des Etats-Unis a quasiment disparu du paysage. Les données publiées ultérieurement dans une méta-analyse (compilation de plusieurs évaluations) font état de résultats plus nuancés : si la biomasse des insectes terrestres décline de 9% par décade, la population des insectes aquatiques montrerait une tendance inverse, avec une augmentation de 11% par décade. Mais peu de temps après leur publication, ces résultats plutôt rassurants font l'objet de vives critiques qui mettent en évidence une série de biais et d'erreurs méthodogiques résumées par l'entomologiste Philippe Grandcolas : Au-delà des aspects techniques, avant de conduire une méta-analyse, il faut cadrer précisément la question à laquelle on veut répondre. Ici, on essaie de trouver une estimation globale et chiffrée à partir de situations locales sans aucun rapport. Je ne suis pas certain que cela ait un sens. ». L'un des détracteurs estime même que « n’aurait pas dû passer le peer review [l’expertise préalable à la publication] d’une revue de qualité comme Science ". Quant à la réponse des auteurs, « elle ne montre aucune tentative sérieuse de prendre en considération les défauts de l’étude originelle ».
Une autre méta-analyse, publiée dans la revue Nature, tend à minimiser le déclin des populations d'arthropodes aux États-Unis et conclut même à l'effet bénéfique de l'agriculture intensive. Là aussi, des chercheurs français mettent en évidence les biais statistiques de ces analyses, dont l'énumération conduit à douter de la méthode même des méta-analyses : biais d'échantillonnage, inclusion d'autres espèces, inclusion d'études explorant la recolonisation d'espaces protégés, beaucoup plus rapide que la moyenne, pour ne citer que les plus évidentes.
La publication de telles études dans des revues de prestige fait prendre à celles-ci une lourde responsabilité : celle de minimiser auprès d'une opinion publique toujours prête à donner du crédit aux nouvelles rassurantes l'idée que la perte de biodiversité n'est qu'une vue de l'esprit. On assiste ainsi, comme le dit un journaliste du Monde (dernier article mis en lien) à la naissance d'un "bio-diversité scepticisme" aussi inquiétant que naguère le climato-scepticisme et qui, comme lui, peut amener un retard à la prise de décision, alors que le dernier rapport du GIEC - non encore officiel - fait part d'une accélération rapide des phénomènes climatiques, qui fait peser une menace encore plus lourde sur la biodiversité.