En matière de protection de l’environnement, nos parlementaires sont de véritables girouettes qui tournent au gré des vents soufflés par les lobbies : ils votent des lois qu’ils abrogent quelques mois ou années après, comme dans l’affaire de l’acétamipride, de nouveau autorisée sans limitation de temps ni de quantités utilisées. La décision du Conseil Constitutionnel concernant la réintroduction de ce pesticide est une première : c’est la première fois que les «sages » prennent en compte la charte de l’environnement pour maintenir l’interdiction d’un pesticide hautement cancérigène. On ne peut que se réjouir de cette prise de conscience tardive, à laquelle les deux millions de signatures recueillies par la pétition d’opposition à cette réintroduction et les avis venant de l’INSERM, les scientifiques, l’ordre des médecins et le CNRS ne sont probablement pas étrangers.
Aussitôt, des clameurs d’indignation vertueuse montent des rangs de l’Assemblée Nationale, venant des deux partis qui, dans leur quasi-totalité, ont voté pour la réintroduction du pesticide : la droite républicaine (99% de soutiens à la loi), en la personne de Laurent Wauquiez (le niveau d’ingérence des juges constitutionnels devient un vrai problème pour notre démocratie) et le Rassemblement National (96% de votes pour) par la voix de Marine Le Pen (En se comportant comme un législateur alors qu’il n’en détient pas la légitimité démocratique, le Conseil Constitutionnel scie la branche sur laquelle il est assis) contestent la légitimité du Conseil Constitutionnel en la matière et osent même parler même de décision antidémocratique ! Nous ne saurions assez suggérer à ces deux ignorants de relire la constitution : la saisine du Conseil par au moins soixante députés ou sénateurs est conforme à l’article 61 et la légitimité des neuf sages pour invalider tout ou partie d’une loi n’est pas discutable. Ils ont une conception bien à eux de la démocratie, ces élus télécommandés par les lobbies agricoles en violation de la charte de l’environnement, dont l’Assemblée Nationale a voté l’inclusion dans la constitution. Par ce vote, ils ont légitimé le Conseil Constitutionnel à se prononcer sur un sujet concernant la santé des citoyens lorsqu’elle est menacée. Mais ceci, ils l’ont oublié !!!
La réaction des syndicats agricoles ne s’est pas fait attendre : « abandon pur et simple de la filière agricole », dit la FNSEA, qui continue à défendre son droit à empoisonner les populations et la biodiversité. La coordination rurale parle d’une agriculture sacrifiée et d’une souveraineté (laquelle ?) piétinée. La confédération paysanne, qui s’opposait aux dérogations à l’interdiction des néonicotinoïdes, estime, par la voix de son porte-parole, que « ce texte n’aurait jamais dû être porté par le Gouvernement et bénéficier du parcours législatif qu’il a connu […]. Il faudra continuer à ce battre, car l’intention du texte demeure. » La filière pomme-poire estime logiquement que l’interdiction livrerait pieds et poings liés nos agriculteurs à une concurrence déloyale sans la mise en application de l’article 56 du traité de Rome, « qui permet d’interdire l’importation de produits agricoles et alimentaires issus de pays de l’UE qui ont le droit d’utiliser ces matières actives »
Tout comme, selon le mot de Clémenceau, la guerre est quelque chose de trop sérieux pour être confié à des militaires, la politique et la santé publique sont des sujets trop graves pour être confiés à une majorité de marionnettes parlementaires dont l’ignorance n’a d’égal que le mépris envers les citoyens. Donc, n’en déplaise à Marine le Pen et à Laurent Wauquiez, pour lesquels toute décision qui va à leur encontre est antidémocratique, le parlement n’a pas le monopole de la démocratie, mais doit la partager avec des contre-pouvoirs. Le Conseil Constitutionnel en est un, mais aussi les associations qui ont remporté des victoires d’étape ou définitives : contre EuropaCity, contre le Vertiport, contre le BIP. Les projets qui germent dans la tête des pantins législatifs sont souvent tellement nuisibles et absurdes qu’il faut une possibilité d’opposition citoyenne, et il serait bon de définir et de constitutionaliser des modalités de saisine du Conseil Constitutionnel pour les associations. Ce n’est qu’à cette condition que nous pourrons arriver à soigner cette plaie béante de notre démocratie, le contrôle des lobbies sur les instances parlementaires.
Les remerciements de l’auteur de ce billet vont à l’étudiante bordelaise qui a lancé cette pétition et recueilli les deux millions de signatures, sans lesquelles le pouvoir aurait tout simplement enterré le débat, ainsi qu’aux députés de gauche qui ont unanimement voté contre la loi Duplomb. Il est seulement regrettable que la censure du Conseil Constitutionnel se soit limitée à l’usage de pesticides et que les dispositions concernant les bassines aient été validées. Mais sur ce dernier point, cela ne change que peu de choses en référence à la situation actuelle, car la loi n’interdit pas d’aller en justice. Et peut-être la pétition n’aurait-elle pas eu autant de succès si elle s’était étendue aux autres articles inscrits dans la loi.