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Billet de blog 14 juillet 2016

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Une loi désastreuse dans son contenu, ses modalités de vote, ses conséquences

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Ca y est ! La loi travail, contre vents et marées, a été votée. Elle a été votée sans une majorité claire de l'assemblée nationale, et malgré une opposition majoritaire de l'opinion et des syndicats représentatifs.  Les conditions de son adoption traduisent le triomphe d'une pensée unique, assénée à coups de l'article 49-3, qui n'avait jamais été aussi salement employé. C'est un vote qui fera date dans l'histoire de cette cinquième République, dont les institutions auront été perverties comme jamais elles ne l'avaient été avant.

Deux lois de la République ouvertement violées
Cela commence par une violation des lois de la République : la loi Larcher de 2007, dite de "modernisation du dialogue social", prévoit que "tout projet gouvernemental impliquant des réformes dans les domaines des relations de travail de l'emploi et de la formation professionnelle, doit d'abord comporter une phase de concertation avec les partenaires sociaux reconnues représentatives au niveau national"Or il aura fallu attendre plusieurs mois pour que la ministre du travail daigne recevoir Philippe Martinez et cette entrevue a tourné au dialogue de sourds. C'est exactement le contraire de ce que prévoit la loi :  A l'initiative du Gouvernement, un document d'orientation doit être établi et diffusé à tous les partenaires sociaux. Rien de tout cela n'a été fait, le Gouvernement se contentant d'écouter le MEDEF  et, à la marge, le syndicat qui lui dit toujours ce qu"il a envie d'entendre, la CFDT.

La CGC-CFE, d'abord indécise, s'est finalement rangée dans le camp des opposants, faisant ainsi défection à un gouvernement qui l'avait compté parmi ses "alliés". C'est, de ce fait, près de 60% de la représentativité syndicale qui se déclare aujourd'hui opposée à la loi Travail. Mais le Gouvernement n'a tenu aucun compte de cette opposition majoritaire, violant ainsi une deuxième loi de la République, celle d'Aout 2008 sur la représentativité syndicale. 

Absence de débat et pensée unique
On attend toujours le débat sur les nombreuses critiques qu'ont suscitées la loi travail :
d'abord celles exprimées dans la presse : le magazine alternatives économiques, entre autres, a fait un numéro spécial sur le piège de la flexibilité qui est un véritable argumentaire contre la loi El Khomri. Thomas Piketty, sur son blog, qualifie la loi travail "d'effroyable gachis" , perpétré avec le même mélange d'impréparation et de cynisme. Un collectif d'économistes, dont le même Thomas Piketty, affirme dans un article du Monde que la loi travail ne réduira pas le chômage.
Puis il y a les réserves exprimées par un syndicat peu suspect de tendances révolutionnaires : dans une interview accordée à l'Humanité, François Hommeril, nouveau secrétaire de la CFE-CGC, qualifie cette loi de "magasin des antiquités du néolibéralisme". Il ne croit pas, lui non plus, que cette loi contribuera à créer des emplois. Il qualifie cette loi "d'exemple assez extraordinaire de ce qu'il ne faut pas faire" : la détaxation des heures supplémentaires est une action anti-économique, qui crée des distorsions de concurrence et favorise le dumping social. Pour le journal Marianne, le secrétaire de la CGC est plus précis dans sa dénonciation des effets pervers de la loi : "Jusqu'ici, les débats se focalisent sur la frontière sociale - patrons versus salariés. Dans la réalité, la frontière économique la plus importante oppose les entreprises donneuses d'ordre aux sous-traitants. Or, si cette loi est votée, les premiers vont immédiatement exiger de leurs obligés des baisses de prix en arguant du fait qu'ils peuvent rogner sur le coût de leurs heures supplémentaires [...]. Dans les services, notamment, les pressions seront instantanées". Madame El Khomri est restée sourde à ces critiques, pourtant sérieuses et bien argumentées.
 Enfin, la CFE-CGC se prononce contre ce qui est la "colonne vertébrale" de la loi : l'article 2, qui consacre l'inversion de la hiérarchie des normes.

On aurait pu attendre un débat portant sur ces réserves, d'autant plus que l'opposition à la loi travail est majoritaire, en termes de représentativité syndicale. Mais non, les hommes politiques, dont la prétention n'a d'égal que la bêtise, agissent en vertu d'une pensée unique qui n'est même pas la leur, mais celle du néolibéralisme européen de Barroso et maintenant de Junker, qui ne rêvent que détruire ce qui reste de protection sociale dans les pays de l'Union. Et la droite n'est pas en reste, avec un certain petit roquet hargneux qui estime, avec l'autorité du cuistre qui a fait perdre 500 milliards d'euro à la France, que les nuits debout n'ont rien dans le cerveau et qu'il faut faire payer - sait-il seulement sur quelles bases juridiques, ce jean-foutre ? - le prix des dégradations à la CGT.

L'outrance d'une désinformation relayée par les média et essentiellement dirigée contre la CGT 
En effet, tout est fait pour dresser l'opinion contre la CGT, sans grand succès d'ailleurs ! Un bref aperçu montre que cette propagande n'est même pas intelligente.
- "La CGT est isolée" : prétendre cela est un déni de réalité : les politiques et les journalistes qui affirment cela ne sont pas descendus dans la rue au moment des manifestations. Ils auraient vu également, imbriqués avec les drapeaux de la CGT, ceux De Force Ouvrière, de la FSU et d e Solidaires, qui réclament tous le rejet de la loi travail. La conception de l'isolement véhiculée par les média ressemble à celle des britanniques, dont les journaux titrent "continent isolé" lorsque les communications sont coupées avec Calais.
"la CGT est minoritaire". Ce mensonge passe sous silence les sondages, qui indiquent que 70% des français rejètent la loi travail ; lorsque la CFE-CGC passe du côté des syndicats opposés à la loi travail, le gouvernement et la presse se gardent bien de mentionner que la loi travail, en termes de représentativité, est désormais minoritaire. Lorsque François Hommeril, secrétaire de ce même syndicat, appelle à suspendre le processus parlementaire et à revenir à la discussion prévue par la loi Larcher, ils font la sourde oreille. Tout est fait pour faire croire que ce sont les "syndicalistes voyous" de la CGT qui cherchent à tout prix à imposer leurs idées, alors qu'en réalité, c'est le pouvoir qui veut passer en force.
- "La CGT est responsable des dégradations" : Empêcher les manifestations de déborder, ce n'est pas le rôle d'un syndicat dont le Service d'Ordre n'est pas armé, mais celui de la police, qui, elle, dispose de tous les moyens. Nous avons d'ailleurs vu, au cours des deux dernières manifestations, des contrôles de police renforcés. Le fait qu'il n'y ait pas eu de casse à déplorer discrédite complètement Valls et Sarkozy lorsqu'il prétend imputer les débordements des manifestations précédentes à la CGT ; Sciemment ou non, les forces de l'ordre n'avaient pas pris les précautions élémentaires pour empêcher les casseurs de casser. Il est donc vain de vouloir en reporter la responsabilité sur un syndicat, fut-ce la CGT et encore plus de vouloir la rendre financièrement responsable des dégats causés.

Une dérive autoritaire qui ne s'assume pas
- La tentative d'interdiction des manifestationssous le prétexte fallacieux que la CGT n'est pas capable d'assumer le rôle de sécurisation qui est celui de la police. Cela n'avait d'autre finalité que de museler l'opposition de  la rue comme  a été muselée celle du parlement par l'usage du 49-3; Car pourquoi n'a-t-on pas interdit, pour les mêmes raisons, l'euro de football ? :
La manifestation du 14 juin a fait l'objet d'une interdiction de manifester par la préfecture de police, sur les ordres de Manuel Valls. Cette tentative d'atteinte à la libre expression a heureusement été levée à la suite d'une entrevue de Martinez et de Mailly avec Bernard Cazeneuve. C'est probablement lui qui a fait entendre au guignol de l'Elysée qu'il ne pouvait pas faire ça. Nous savions déjà qu'Hollande n'est qu'une baudruche pleine de vent, toujours de l'avis du dernier qui a parlé.
- Les menaces contre les prétendus "frondeurs" : Valls sait très bien que les "frondeurs" ne sont en réalité que des carriéristes, motivés par la menace d'une non-réelection s'ils ne font pas semblant de s'opposer à la loi travail. Des menaces d'exclusion clairement exprimées ont empêché ces dissidents d'aller jusqu'au bout de leur démarche. Sont-ils seulement convaincus de la nocivité de la loi travail ou s'agit-il d'un jeu de rôles entre le pouvoir et ces députés contestataires ?
- L'usage du 49-3 :  Valls croit justifier  l'usage du 49-3 par le simple fait qu'il est dans la constitution et que c'est donc la démocratie. Tandis que le blocage des sites, ce n'est pas dans la constitution. A la première phrase de cette déclaration, on peut opposer une citation du Guignol de l'Elysée au moment où le gouvernement Villepin faisait passer en force le CPE au moyen du même 49-3 :
"Le 49-3 est une brutalité. Le 49-3 est un déni de démocratie". Ainsi, ce qui est un déni de démocratie quand on est dans l'opposition devient légitime quand on est au pouvoir !
A la deuxième phrase, on peut opposer l'article 35 de la déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen : "quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est pour le peuple le plus sacré de droits et le plus indispensable des devoirs". Le blocage des raffineries est une forme d'insurrection à laquelle le pouvoir répond en envoyant sa police, comme c'est d'ailleurs le cas dans toutes les situations insurrectionnelles.

Et nous en arrivons à la conclusion : la violation répétée des lois républicaines conduisant à l'absence de débat sur les différents articles de la loi El Khomri, la désinformation systématique pratiquée par le pouvoir et une certaine presse à sa botte, l'interdiction de s'exprimer par la manifestation, les menaces contre les parlementaires qui ont des velléités d'opposition, sont les ingrédients qui conduisent à une dérive autoritaire, pour ne pas dire totalitaire. Prétendre que le 49-3 respecte la démocratie sous prétexte qu'il est dans la constitution est tout simplement un sophisme, car les exemples ne manquent pas de pays qui ont des institutions parlementaires et qu'on ne peut cependant considérer comme des démocraties.

Cela ne fait aucun doute, l'usage du pouvoir par ce gouvernement socialiste est une trahison : d'abord parce que les électeurs de François Hollande ne l'avaient pas mandaté pour qu'il promulgue une loi qui rende les salariés taillables et corvéables à merci. Ensuite parce que, dans les états de droit, le rôle du pouvoir est de protéger les citoyens des abus de la classe dominante. Or non seulement il ne le fait pas, mais il crée un boulevard pour que la droite, revenue au pouvoir l'année prochaine, promulgue des lois encore plus destructrices que la loi El Khomri. L'étiquette même de ce parti qui se prétend socialiste est une forfaiture et une imposture.

Si une coalition entre syndicats de salariés et d'étudiants rallume la guerre contre le pouvoir en septembre, ce ne sera que légitime. Mais les syndicats et surtout les citoyens en seront-ils capables ?

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