"Les inconduites scientifiques sont bien plus communes qu'on veut bien l'admettre" dit le journaliste Ivan Oransky, spécialiste de ces questions. Mais elles dépassent largement le cadre des fraudes avérées.
Le premier cas de fraude scientifique probable est lié aux lois de Mendel, qui ont introduit dans la génétique jusqu'alors balbutiante les notions de caractére "dominant" ou "recessif" d'une particularité physique - en l'occurence petits pois lisses ou ridés - qui ont permis de comprendre les mécanismes de l'hérédité. A l'aide de croisements sur plusieurs générations entre les deux variétés de petits pois, ce moine scientifique a démontré qu'à la première génération, tous les petits pois portaient le phénotype "lisse", ce qui prouvait le caractère dominant de ce caractère. Mais le croisement de ces petits pois entre eux faisait réapparaître le phénotype "ridé" dans la proportion d'un quart dans cette deuxième génération. De ces observations naissent les lois de l'hérédité.
Mais des statisticiens se sont penchés sur ces résultats et en ont conclu à une forte probabilité qu'ils aient été "arrangés" : en effet, sur le nombre relativement bas des effectifs, les proportions parfaites 3/4 - 1/4 obtenues étaient hautement improbables. Gregor Mendel ayant une réputation d'honnêteté avérée, on pense qu'il a eu le tort de mettre ses jardiniers au courant de ses hypothèses et que ce sont eux qui ont donné le "coup de pouce" nécessaire pour les confirmer, créant à l'insu de l'expérimentateur le biais qui allait entacher ses résultats. Mais les chemins de la connaissance sont parfois tortueux : car il se trouve que l'intuition était juste et a été confirmée ultérieurement avec les études de Morgan sur la drosophile. Ses lois ont aussi établi que deux parents aux yeux bleus (caractère récessif) ne peuvent pas avoir un enfant aux yeux bruns (caractère dominant) et que ces mêmes parents, s'ils sont tous deux du groupe sanguin O, n'auront pas d'enfants d'un autre groupe sanguin. Si les statisticiens ne s'en étaient pas mêlés, cette fraude présumée serait passée inaperçue.
D'autres cas "d'inconduite scientifique" sont à mettre au compte de l'ambition, par exemple celle de voir ses travaux couronnés par le prix Nobel : ainsi, on sait aujourd'hui que Watson et Crick - prétendus découvreurs de la structure de l'ADN - ont eu le prix Nobel aux dépens d'une chercheuse - Rosalind Franklin - dont ils se sont procuré les travaux à son insu. Cette usurpation a été favorisée par la mort prématurée de celle-ci. C'est elle qui aurait dû avoir le Prix Nobel, même si elle était décédée, car, à l'époque, la clause prévoyant que cette distinction ne pouvait être attribuée qu'à des personnes vivantes n'était pas encore inscrite dans les statuts.
Les intérêts économiques ou l'orthodoxie dogmatique sont aussi une motivation puissante de manquement à l'éthique scientifique : pour le premier point, on peut citer les exemples de Total Energie et de Monsanto, qui ont été jusqu'à corrompre des chercheurs pour occulter les effets nocifs de leurs produits sur le climat et la santé humaine. Et le plus évident exemple de la perversion idéologique de la science fut le cas de Lyssenko, généticien officiel de Staline, qui construisit une théorie inspirée de Lamarck (transmission héréditaire des caractères acquis) contre Darwin (sélection naturelle) et alla, avec l'appui du maître du Kremlin, jusqu'à faire envoyer au goulag les opposants à ses théories .
Parmi les exemples cités ci-dessus, il y a des manquements caractérisés à l'éthique scientifique, mais la vérité peut aussi être plus insidieuse : dans les années 1970, chaque article scientifique était soumis à l'esprit critique d'un ou deux relecteurs, qui refusaient l'article ou l'acceptaient, sous réserve de corrections éventuelles. Ce mode d'évaluation, consacré par la formule "publish or perish", poussait les auteurs à publier le plus possible et de façon hâtive. Mais nous parlons d'un temps où Internet n'existait pas ! Aujourd'hui vient s'ajouter une compromission d'évaluation par des pairs, les auteurs "ayant suggéré à l'éditeur des noms de relecteurs avec de fausses adresses mail qui renvoient à des comptes mails de chercheurs amis", auxquels, le cas échéant, on peut renvoyer l'ascenseur. C'est donc tout le système d'évaluation d'un article qui est dévoyé et c'est peut-être pour s'adapter à cette nouvelle situation qu'a été mise en place une possibilité de rétractation qui n'existait pas dans les années 1970. Que ce soit maintenant possible doit être considéré sans aucun doute comme un point positif dans la recherche d'une meilleure déontologie scientifique. Mais les difficultés de fonctionnement des commissions chargées de ces rétractations et le coût qu'elles engendrent rendent le système très lourd et peu efficace. Ainsi en est-il des articles de Didier Raoult sur l'Hydrochloroquine : Médiapart a été parmi les premiers médias à publier les témoignages de collaborateurs de l'équipe marseillaise, faisant état de "falsification de résultats biologiques" dans le but de démontrer à tout prix l'efficacité de l'hydroxychloroquine. Le journal le Monde va plus loin en écrivant que les articles sur l'hydroxychloroquine s'inscrivent dans une lignée de travaux discutables de l'institution marseillaise.
Interrogé sur la question "quels sont les motifs pour retirer un article", le journaliste répond que les deux-tiers des rétractations concernent la falsification ou l'invention de données, ainsi que le plagiat. Une autre "innovation" est la mise en place "d'usines à articles", qui proposent leur production à des auteurs en mal de publications. Une école dentaire indienne était aussi montée dans les classements en "faisant signer massivement par des étudiants des articles enrichis de références bibliographiques citant cette école". Ces comportements s'expliquent encore une fois par la règle "publish or perish", mais aussi par un système d'évaluation en vigueur dans les années 1970, selon lequel la "significativité" d'un article dépendait du nombre de fois où il était cité dans des publications ultérieures et tout scientifique qui ne publiait pas assez était voué à la disparition.
La science n'échappe donc pas à la part de lumière et d'ombre qui est la caractéristique de toute activité humaine et peut conduire à une dévalorisation de la recherche aux yeux du grand public. Mais Ivan Oransky nous dit à juste titre qu'il est toujours plus dangereux d'affirmer que les mauvaises choses n'existent pas : bien sûr, les complotistes de tout poil à l'esprit critique extrèmement obtus peuvent se servir de ces déviances pour prétendre que la science "ne marche pas". Mais c'est oublier la rapidité avec laquelle, grâce à un vaccin qui a pourtant été largement décrié sur les réseaux sociaux, l'épidémie COVID a été plus rapidement jugulée qu'aucune autre dans l'histoire. C'est oublier que ces résultats ont été obtenus par les bienfaits d'une révolution : la biologie cellulaire, qui commence précisément au moment de l'usurpation de Watson et Crick. Et c'est se prendre au piège de ses propres contradictions, car Oransky rappelle que les détracteurs du vaccin anti-COVID ne juraient que par l'Ivermectine, dont beaucoup d'articles ont fait l'objet d'une rétractation. Aussi, si un renforcement des sanctions préconisé par le journaliste (perte d'une bourse, remboursement de crédits, voire sanctions pénales en premier lieu applicables aux "collaborateurs" de Total et de Monsanto pour mise en danger de la vie d'autrui) est souhaitable pour éviter un dévoiement des méthodes scientifiques, ne faut-il pas oublier que grâce aux progrès accomplis par la médecine, on vit plus vieux, on est beaucoup moins malade et beaucoup plus tard et que la mortalité infantile a quasiment disparu.